À la station Grands Boulevards, sur la ligne 9, un petit monsieur est en train de nidifier. Il a amassé de nombreux sacs plastiques et des piles de journaux. Le plus souvent, il est assis, un peu éteint, entre ses biens, le regard vide et le dos voûté. En de plus rares occasions, je l'ai découvert calmement volubile : debout, faisant quelques pas hasardeux - mais il ne boit pas -, il tient un discours plein de conviction (ses mains s'agitent un peu dans l'air), et semble réciter à voix basse un vieux poème du temps qu'il était enfant, droit sur l'estrade, face à un public tout prêt à rire (« Mignonne, allons voir si la rose qui ce matin avait desclose sa robe de pourpre au soleil a point perdu ceste vesprée... »). À présent, le public du métro, harassé et oublieux du monde environnant (dont je suis le plus souvent), ne lui jette aucun regard (qu'il ne croiserait d'ailleurs sans doute pas). En le voyant construire jour après jour son nid ou sa cabane, je me dis que le directeur de la station éprouve peut-être le même attendrissement résigné que moi.
Il est tout de même terrible de se dire que, dans le monde, chaque terre a son propriétaire (un particulier, une société, une nation) et qu'il n'est nul sol (ou presque) où poser ses cartons et ses sacs sans qu'un propriétaire ne hurle à la spoliation.
Lorsque j'étais enfant, il y avait un quartier de la petite ville, sur les hauteurs du canal, où vivaient des mariniers tardivement sédentarisés, dans de rares maisons et, pour beaucoup, dans des caravanes flanquées d'extensions en bois, des cabanes couvertes de tôles ondulées. Ils inspiraient généralement de la méfiance ou même de la crainte, et les gens de la ville en parlaient sur un air entendu (« je pourrais vous en raconter ! »). Moi, enfant, je m'imaginais que le Jo l'Indien de Tom Sawyer aurait pu y avoir ses quartiers. Quand un des types annonçait « Je vis au Larris », la messe était dite et l'effet était à peu près le même que celui produit, aujourd'hui, par un jeune type en survêtement qui annoncerait vivre à la Cité des 4000...
Mon arrière-arrière grand-père (au centre), marinier,
sur une péniche où il était journalier
sur une péniche où il était journalier
Il y a quelque temps, j'ai eu l'occasion de repasser devant ce faubourg dit malfamé. Les cabanes, les tôles, les caravanes ont disparu. Des maisons - pas toutes achevées - ont été construites. Ainsi naissent les quartiers des faubourgs, au cours d'une lente appropriation des lieux. Normalisation rassurante. Peut-être les hommes et les femmes qui sont contraints d'habiter, pour l'heure, dans des huttes, des cabanes ou des tentes, au fond des bois d'Île-de-France, qui travaillent pour un salaire dérisoire, ou qui touchent une retraite misérable, connaîtront-ils le même sort.