Fin mars
Après
environ trois semaines strictement passées allongé sur mon lit, dans
l’interdiction de plier les jambes, l’une parce qu’y est posé un
cathéter fémoral, l’autre à cause du ballon de contre-pression, je me
vois autorisé, non pas à me déplacer, mais, l’un et l’autre m’étant
ôtés, à me laisser couler dans le fauteuil attenant au lit : le
processus de sevrage commence et avec lui l’espoir de noter une reprise
un peu plus soutenue de mon ventricule gauche : le cœur ne peut
fabriquer que très peu de cellules cardiaques et il le fait à une
vitesse dérisoire qui plus est, mais les médecins s’estiment en droit
d’espérer que les cellules du ventricule ne sont pas toutes
définitivement détruites, mais pour quelques-unes au moins,
« sidérées », magnifique terme, étrange, qui évoque l'animal immobile
devant les phares de voiture, mais l’alchimie également [...].
Dans
le fauteuil, je me sens mieux, non pas que les forces reviennent. Faire
ma toilette est toujours aussi long, parce qu’épuisant : ma fréquence
cardiaque, déjà à 120 lorsque je suis allongé, prend 15 ou 20 points et
ma saturation tombe. Je lave mon visage. Pause. Mes bras. Longue pause…
Mais
dans le fauteuil où j’essaie de rester le plus longtemps possible, je
me sens mieux, parce qu’il est plus facile pour moi d’y croire à la
guérison, parce que je respire un peu mieux surtout.
On
m’y laissera une semaine environ, tout en diminuant progressivement
l’oxygène que je reçois en permanence : de six litres, je passe à cinq,
puis à quatre… sans parvenir à descendre en dessous de deux, et il faut
l’augmenter dès que l’on me couche, même avec le lit incliné à 45° : une
infirmière de nuit en a fait l’expérience, croyant pouvoir remettre mon
lit à l’horizontale pendant que je dormais, elle a débarqué en courant
dans ma chambre tant ma saturation était en train de s’effondrer.
Pareil :
le dosage de dobutamine, injectée en continue par seringue électrique
est progressivement réduit et si je ne ressens pas d’amélioration
spectaculaire, ces tentatives me réconfortent.
Oui
mais. Oui mais ma tension s’effondre encore et ma pression systolique
ne dépasse plus 9 et se rapproche parfois du 8 : on me recolle au lit.
Les
difficultés respiratoires s’aggravent encore : on me réveille
maintenant la nuit pour la VNI, les échographies ne montrent aucune
amélioration et, surtout, on augmente presque quotidiennement la dose de
dobutamine, au point qu’elle est maintenant supérieure à celle que je
recevais initialement. Les reins résistent plutôt bien, de même que le
foie, mais je me sens tout de même lentement m’enfoncer : mon ironie
s’émousse, je respire de plus en plus mal et je devine l’inquiétude
grandissante sur le visage des médecins. Le mot greffe – entendu pour la
première fois au début de mon séjour, puis mystérieusement absenté – ce
mot-là revient avec une insistance plus ou moins grande selon les
médecins, d’autres persistant à me dire que l’on retentera un sevrage
plus tard, mais revient tout de même de plus en plus souvent : même
Olivier, l’infirmier du matin, me demande comment je vis cette
possibilité de plus en plus vraisemblable, si j’ai déjà rencontré la
coordinatrice des greffes, etc.