mardi 24 avril 2012

Les oreilles n’ont pas de paupières

Mes voisins du 9e arrondissement. Il y aurait beaucoup à dire sur les poussettes, massivement sur les trottoirs le samedi matin, de plus en plus volumineuses – à mesure que je vieillis et que je deviens grincheux ? Pas vraiment, au lycée déjà, nous étions quelques-uns à vouloir nous en débarrasser. De plus en plus volumineuses, donc, à croire que c’est pour plaire aux pères, amateurs dans le cas présent comme en d’autres de belles cylindrées. Certains d’entre eux les tiennent d’une façon tout à fait stylée : ils les poussent négligemment d’une main, la droite, posée sur la poignée gauche. Est-ce là une façon pour eux d’inventer une nouvelle forme de conduite qui les distinguerait techniquement de la gent féminine ? Des fois que. Ou pour avoir l'air encore plus cool au cas où ils croiseraient les copines de leur grand fils ?
Les pères vieillissants, mais toujours fringants, des hauteurs de l’arrondissement – cheveux grisonnants mais rebelles, Converse « taxées » au grand fils (la cool-attitude, c’est justement de les leur taxer en disant : « Vas-y, prête-les à ton vieux reup’ »), s’occupent le samedi matin du petit dernier – Kiel, Gaspard ou Léon – c’est-à-dire qu’ils l’installent en terrasse sans même le sortir de la poussette, pour y lire leur Libé ou leur Inrock’, histoire de ne surtout pas être pris en défaut. Jusqu’à dimanche, ils avaient « mal à leur gauche » : Hollande, trop mou, Mélenchon, trop dur... Qu’il est difficile de renoncer à ses vieux principes hérités du lycée pour avouer vouloir protéger les biens acquis : le loft et la maison de campagne, les vacances en Afrique, chez « les vrais gens ». J’en ai même surpris un qui prétendait au téléphone voter Mélenchon et, à l’occasion d’un second coup de fil, rassurait son interlocuteur : que personne ne s’inquiète et mieux valait encore Sarkozy. 
De temps en temps, entre deux bouchées de leur tartine ou de leur croissant du samedi matin, celui-là jette un coup d’œil à son lardon, la chair de sa chair, le fruit du bonheur et de la maturité, un coup d’œil parce qu’il est soudain pris d’un doute : ouf, c’est bien le sien. Tous les mômes se ressemblent. Plus ou moins.
Il ne sera pas dit que c'est un mauvais père. Tiens, passe une copine à qui raconter – tout de même, quel établissement mal tenu ! – la terrible anecdote de la tartine rassie qu’on lui a servie la semaine dernière et qu’il avait bien espéré ne pas avoir à payer. C’est ce qu’il avait dit à la jeune serveuse qui s’était contentée de le regarder sans répondre, « avec ses yeux de merlan fris… ».
Je m’en souviens, j’étais justement là. Sans doute aurait-il eu plus de crédit auprès d’elle s’il ne l’avait pas mangée aux trois-quarts, sa tartine.

Une jeune femme est là. Derrière ses lunettes de soleil. Elle passe des coups de fil, elle ne fait même que cela. Elle essaie de proposer des rendez-vous à des amis qui ont le mauvais goût d’être occupés. Tout de même, une copine se fait coincer. Elle lui explique avoir passé son week-end à écrire deux nouvelles chansons. Elle en est très contente, dit-elle, ce d’autant que les musiciens qui l’accompagnent ont bien compris ce qu’elle veut dire : « Chacun est moi à sa façon », affirme-t-elle. Faut oser. Quoi qu’il en soit, le premier des textes est manifestement inspiré de son couple qui bat de l’aile (« Je ne vois plus ce qu’il y a de beau dans cette histoire, je ne me vois plus dans le miroir. »). C’est vrai qu’il bat de l’aile : je l’ai entendue, la semaine dernière, faire une scène à son copain (par téléphone) que, malgré tous ses défauts possibles ou probables, je me suis surpris à sincèrement plaindre.
L’autre chanson est pleine des promesses amoureuses d’une nouvelle aventure. Jugez par vous-même : « Prends-moi sans artifice, prends-moi sans dentifrice ». Je n’invente rien. Surveillez bien Youtube.

Mes voisins du 1er arrondissement. Non loin de moi, deux amis pédés, la quarantaine, qui étiolent une conversation que j’espère ne plus avoir à leur âge. L’un des deux explique que son Jean-Charles, au passé de fieffé queutard (il répète « aller voir ailleurs » une bonne cinquantaine de fois), prétend avoir cette fois juré fidélité. Oui mais voilà. Faut-il seulement le croire après toutes ces trahisons passées ? Le type a donc été très clair : « Jean-Charles, tu es un adulte ! ». L’autre opine du chef : « Tu as géré tout cela de façon admirable ! ».
Je crois à un sketch.
L’autre le compare à présent aux victimes de bombardements – rien que ça ! – qui « rebondissent » après le drame. Enfin, ceux qui ont conservé leurs jambes, j'imagine. Ils ont tourné la tête quand j’ai rigolé. Cette fois, je n’ai pas fait semblant d’avoir ri à la lecture d’un sms…

Les mystères de l'univers

Les stylos à bille 
Réfléchissez un peu au nombre de stylos à bille que vous avez utilisés l'année écoulée. Que vous avez utilisés au point de les jeter, complètement vides. Pensez à ceux que vous avez chez vous, à ceux qui dorment au fond de votre sac, à ceux qui sont dans les tiroirs de votre bureau. Pensez à ceux que vous avez achetés, à ceux que vous avez finalement obtenus après des mois de tracasserie avec le service des fournitures.
A présent, pensez à la production mondiale. Pensez au nombre de stylos qui sont proposés à la vente chez les marchands de journaux, dans les papeteries, dans les supermarchés. Divisez ce nombre par, mettons, 60 millions d'utilisateurs. Oui... Il y a un problème... Où passent-ils tous ? Vous en perdez, de temps à autre. Vous vous en faites piquer par vos collègues. Certes. Mais le compte n'y est pas. Où partent-ils ? Les lutins ? Possible... Une organisation secrète de stylos à bille qui pour l'instant vivent terrés mais n'en demeurent pas moins prêts à nous attaquer ? Probable. Vous voilà prévenus.

Le bonjour du caissier
Cette règle me semble immuable : on n'échange un bonjour avec le caissier (ou la caissière) du supermarché qu'au moment du passage du premier article. Faites l'expérience de tenter de le saluer alors qu'il attend que la vieille dame qui vous précède compte ses pièces. Au mieux, il répondra à votre salut rapidement et la politesse sera à nouveau de mise lorsque votre tour viendra : il faudra redire bonjour. Au pire, il fera mine de ne pas vous avoir entendu. Il faut vraiment atteindre un haut degré d'intimité avant de pouvoir s'affranchir de cette règle, et même, il vous faudra vous contenter, pendant de longs mois, du seul échange de sourires lorsqu'il finira par vous identifier dans la cohue de la file d'attente. Est-ce une règle enseignée par les collègues aux nouveaux arrivés ? Est-ce une de ces règles sociales que tous développent spontanément ?

jeudi 19 avril 2012

Le questionnaire

Bon et bien un nouveau petit questionnaire, cette fois de chez Lancelot...

1) Entre « vieux con », « pauvre con », « petit con » ou « sale con » (ou les équivalents au féminin) laquelle des quatre insultes vous paraît la pire, et pourquoi ?
"Vieux con" serait une insulte très vexante si elle devait m'être adressée - c'est déjà assez pénible lorsqu'un ado me vouvoie. "Pauvre con" est très chargée en mépris... "Petit con", ma mère me le disait parfois, sur un ton encore rigolard, mais qui sonnait tout de même comme une menace : la conversation pouvait se dégrader. "Sale con" est peut-être la plus froide, la plus implacable.

2) On sonne à votre porte, vous ouvrez : personne, mais on a laissé une boite sur votre seuil, avec absolument aucune inscription dessus. Qu’est-ce qu’il serait possible, selon vous, de trouver à l’intérieur ? 
Un doigt ? Manifestement, c'est une erreur.

3) Quel est le film le plus minable, le plus ridicule, le plus risible que vous ayez vu ? (mais attention : pas le plus ennuyeux. S’être endormi devant, c’est un critère qui ne peut entrer en ligne de compte)
Il y en a beaucoup, mais celui qui me vient, là, c'est A Single Man : trop de plans serrés sur les visages juvéniles, trop de moues boudeuses, trop de flous hamiltoniens, trop de mohair, trop de violons, trop de tout.

4) Quelle est la chose la plus susceptible de vous faire pleurer à chaudes larmes ?
En la matière, je ne suis pas une référence. Mais là, j'aime bien l'idée de pleurer à chaudes larmes pour une révolution. Souvenir impressionné, du haut de mes 13 ans, de la chute des Ceaucescu.

5) Quelle est la maladie (ou l’infirmité) qui vous terrorise le plus ?
Une maladie musculaire gravement invalidante à moyen terme.

6) Tintin ou Milou ? Astérix ou Obélix ? (ça fait deux questions en une, mais tant pis)
Plutôt Milou, pour ses défauts, et plutôt Obélix, pour l'innocence.

7) Seriez-vous capable de trouver cinq arguments pour justifier la fainéantise ?
Oui, je peux le faire !

8) Quel métier auriez-vous détesté par-dessus tout exercer ? 
Tout ce qui est lié à l'ordre et au pouvoir.

9) Quelle épitaphe aimeriez-vous lire sur votre propre tombe ?
 Celle de Laplume et Cornus est vraiment bien. Mais...
Alors :
"La vie n'est rien qu'une vallée de larmes
Charmant endroit pour passer ses vacances !
Faut être fou pour lui trouver des charmes !
Décidément, je préfère la Provence..."
Brigitte Fontaine

10) L’actuel président de la république débarque chez vous, have et affamé. Que lui servez-vous comme collation réparatrice ?
Je le fais boire, et pas qu'un peu, pour qu'il se mette à table. Mode : "Explique-moi pourquoi t'es comme ça."

Si quelqu'un veut prendre la suite, ce sera avec plaisir.

mercredi 11 avril 2012

Perfect Day

Arrivé à l’hôpital de jour à 7 h 30, je sais que je n’en repartirai pas avant 18 h : de toute façon, je passe la nuit à l’hôpital, deux étages au-dessus, alors il n’y a pas d’urgence, et l’on préfère faire passer les patients qui vont rentrer chez eux. J’accepte cette règle sans problème. Mais aujourd’hui, plus que d’autres jours, je suis fatigué.

Il doit avoir une douzaine d’années. Il a de grands yeux noirs, volontiers rieurs malgré l'attente interminable pour lui aussi, ouverts avec curiosité sur le monde, un petit monde aujourd’hui, et une coupe de cheveux à la mode.

Sa mère est silencieuse et ses jolis traits accusent la fatigue ou alors témoignent de ce mélange de fatigue et de peur. De résignation aussi : elle ne peut pas protéger son enfant de tout. J’imagine que pour des parents, c’est affreux.

Un monsieur est là qui parle au petit garçon sage, qui lui dit ce que sera la vie après : faire du vélo, courir. L’enfant sourit et écarquille les yeux. Par étonnement peut-être, mais plus certainement encore par politesse : cela doit faire des mois, des années qu’on lui promet cela, cette libération encore théorique du souffle, du corps et des mouvements.

Le monsieur poursuit, évoque les médicaments à prendre pour toujours – il faut être sérieux, ne pas oublier les prises. Le petit garçon hoche la tête gravement.

Dans deux jours, sa maman doit repartir en Algérie. Lui restera ici, en France, où il est déjà depuis très longtemps, ai-je cru comprendre. Elle ? Elle a eu toutes les peines du monde à obtenir un visa pour venir voir son fils – je n’entends pas bien, une dame parle fort avec sa fille à côté de moi. Elle parle maintenant de plusieurs années sans que je parvienne à comprendre s’il s’agit du temps qu'il lui a fallu, à elle, pour venir, ou s’il est question du temps qu’il a fallu à son fils pour obtenir le sésame qui allait lui permettre de se faire soigner en France. « Non, non, ces opérations ne se pratiquent pas en Algérie », dit-elle.

Plus encore que l’injustice de la maladie qui frappe l’enfant, c’est la bureaucratie en lutte contre la vie même qui me donne envie de pleurer. De rage aussi. A défaut de pouvoir retourner son bureau sur la gueule d’un préfet ou d’un autre crétin à costume.

Certains jours, je suis fatigué, je l’ai dit.

mardi 3 avril 2012

Ca sent le carton

Je reste de longues minutes à regarder par la fenêtre le toit du théâtre et les petits immeubles alentour. Les toits pointus des passages couverts. Six ans. Je ferai quelques photos lorsque la lumière sera pleine et colorée, peut-être dans les soirées de mai.
Je vais devoir quitter cet appartement, ce qui n’est véritablement ni heureux ni triste, ce qui est juste pénible : quitter un lieu sans l’avoir décidé. Le quartier va me manquer, et l’immeuble, et la vieille gardienne, et je ne suis sans doute pas près de pouvoir à nouveau habiter un appartement aussi central à un prix aussi raisonnable, et il va falloir que je sacrifie sans doute surface et localisation. C’est beaucoup pour se réjouir d’un déménagement à venir…
Surtout, il va falloir se coltiner ces visites qui vous font perdre votre temps (« 27 m2 ? Vous vouliez sans doute dire 27 m3 ! »), et la concurrence… D’ailleurs, visite hier d’un studio près du Père-Lachaise, visite organisée par le propriétaire en personne, un monsieur en costume d’une centaine d’années, très capitaine d’industrie pompidolien, et qui nous fait pénétrer dans son bien au rythme effréné d’un par un, avant de nous faire remplir un questionnaire à mon sens à la limite de la légalité – mais la quarantaine de postulants en présence prouvait bien que le rapport de force ne penchait pas en notre faveur… « Une lettre de motivation », réponds-je à la jeune fille, arrivée après moi, qui me demande ce que je suis en train d’écrire.
Tout cela a l’air d’une farce. « C’est long ! », gémit-elle. Je ne résiste pas :
- C’est à cause du coton-tige…
- Quoi ?!
- Oui, il fait des prélèvements ADN, mais il n’a qu’un coton-tige, alors il le rince entre chaque prélèvement…
Je me demande si j’aurais le courage – au cas où l’occasion se présenterait – de pousser le vieux dans l’escalier. Probablement. Petite humiliation supplémentaire : à bientôt 36 ans, fonctionnaire, je dois demander à mon père s’il accepte d’être mon garant. Comprenant que je suis en quelque sorte son otage, il en profite pour me coincer avec ses problèmes d’imprimante. Très sain. Cette fois, son scanner-imprimante accepte de faire des photocopies, mais pas de scanner… Ah finalement, ça n’imprime pas non plus. Pourtant, l’engin a été changé il y a un mois et les cartouches sont neuves… Serait-ce une bonne chose de tenter de la réinstaller ? « Attends cinq minutes, j’essaie de la réparer juste avec la force de mon esprit… »
J’aimerais qu’il comprenne qu’il pourrait simplement emporter ses papiers jusqu’à la poste du coin et procéder à l’ancienne : photocopies, enveloppe, timbre. Mais il fait celui qui ne comprend pas : tout de même, c’est bien embêtant cette imprimante…
Je n’ai pas eu l’appartement.

lundi 2 avril 2012

Lu dans le Canard enchaîné (2)

De qui, déjà, Michel Audiard disait qu'ils osaient tout ?
« On rit jaune
Grosse blague de Brice Hortefeux dans les couloirs du Parlement européen auprès de Jean-Vincent Placé, le stratège électoral des Verts devenu entre-temps sénateur : 
"Tu devrais venir avec nous, lui a-t-il lancé. A l'UMP, il nous faut un Vert et il nous faut un jaune. Toi, tu es les deux à la fois."
Un peu comme le militant UMP de Seignosse qui était à la fois arabe et auvergnat... »
Le Canard enchaîné, mercredi 21 mars 2012, page 2.