jeudi 28 février 2013

samedi 23 février 2013

C'est pas parce qu'on est malade qu'il ne faut rien faire

Bon, j'ai été malade, ça a duré un moment, mais je suis resté bien au chaud, tout comme mon thermomètre, et comme on ne peut tout de même pas mourir en permanence, il faut bien s'occuper entre deux poussées de fièvre. J'en ai donc profité pour voir ou revoir les films suivants... Quelqu'un veut s'amuser à les retrouver ? (A priori, ils sont classés par année de sortie ; un réalisateur est surreprésenté...).














vendredi 15 février 2013

Une journée aux urgences

Je redoutais de passer ce coup de téléphone, parce que je sais bien que la machine parfois s’emballe, mais j’ai fini par le faire – autant l’avouer, aucun des personnages endossés tour à tour pour affronter les mondes et les choses n’a jamais vraiment été déraisonnable.

Je suis tombé sur l’infirmière M. qui m’a demandé comment j’allais. Par automatisme, par bravade peut-être aussi, je lui ai répondu « ça va et vous ? » et puis je lui ai expliqué : le diagnostic posé par le nouveau généraliste, la fièvre depuis six jours malgré les antibiotiques prescrits depuis quatre, les maux de tête, etc. Elle a pris des notes et m’a dit qu’elle allait choper le docteur V. pour lui en parler et me rappeler en suivant. Un peu moins d’une heure après, elle m’a confirmé ce que je craignais : je devais « filer aux urgences les plus proches » pour leur expliquer la situation. Ils me feraient des examens et on aviserait. La seule et unique fois où j’ai été aux urgences, c’était il y a près de douze ans : j’avais attendu une grosse dizaine d’heures et ça avait débouché sur une chimio. Je dis ça pour l’anecdote, pour le plaisir du mauvais goût aussi, parce qu'au fond ça n’a pas tellement ralenti mes pas. En fait, ce que je craignais vraiment, c’était de m’ennuyer à mourir. J’ai donc emporté avec moi de quoi me distraire et je suis sorti, animé d’une question essentielle : allais-je manger quelque chose avant ?

Il y a d’abord un immense comptoir en demi-cercle d’où émerge une petite dame calme et très avenante. Elle a pris ma carte d’identité, ma carte vitale et m’a demandé ce qui m’arrivait. Quand elle a tapé mon nom sur l’ordinateur, j’ai cru qu’elle allait me dire « bah dites donc, vous connaissez bien la maison ». Et puis non. Elle m’a fait confirmer l’adresse et m’a demandé le numéro de quelqu’un à prévenir au cas où. J’ai donné celui de D. Une première. Elle m’a demandé ce qu’il était pour moi. J’ai dit « mon compagnon ». Une première aussi. Elle n’a eu aucune réaction. En moi-même, j’ai pensé « tout de même, on avance, ça fait du bien. » Elle m’a dit d’entrer et d’attendre sur une chaise rouge.

Derrière les portes battantes, il y avait des chaises, mais toutes étaient occupées, et je n’ai pas pu voir si elles étaient rouges ou non. Le sol était occupé aussi : deux clochards s’étaient répandus. Un des deux m’a lancé un regard torve, et j’ai aussitôt eu l’impression d’être dans un téléfilm – au mieux un documentaire. Plus loin, un panneau indiquait « Salle d’attente » et j’avisais quelques fauteuils vides – mais bleus. J’ai été m’y asseoir, mais au bout d’une dizaine de minutes, un peu inquiet tout de même à l’idée de passer entre les mailles du filet, j’ai été voir un jeune médecin, mignon comme un cœur, qui farfouillait dans des papiers, accoudé à cet autre comptoir. « Oui, oui, vous pouvez attendre ici ».

Je me suis rassis et j’ai sorti un livre que j’ai calé sur mes genoux. J’ai jeté un discret et lent regard circulaire. Un homme d’une petite quarantaine d’années est arrivé. Il aidait une dame à marcher – sa mère –, qui avait un regard halluciné. Il l’a installée gentiment à côté d’un jeune homme très beau, genre mannequin, qui semblait épuisé. Il y avait également un monsieur de soixante-dix ans, très à l’aise, son sac de plastique AP-HP rempli de quelques-unes de ses affaires à ses pieds, un autre monsieur qui toussait très fort, que je n’ai pas pu m’empêcher de surnommer le Schtroumpf à cause du petit bonnet qu’il portait au sommet de son crâne et qui retombait à la phrygienne, une dame qui avait beaucoup de mal à se déplacer, une curieuse femme qui ne tenait pas en place, cachée derrière des lunettes de soleil et un bonnet en laine. Avant même d’avoir fini de promener mon regard, le temps commun s’est aboli.

Au loin, j’ai entendu une femme qui criait : « Mais lâchez-moi ! Je connais très bien la maison, j’ai fait quinze ans de psychiatrie ici ! » Quand je l’ai vue arriver, encadrée par deux jeunes types un peu sévères, je l’ai crue. « Ne bougez pas de là », ont-ils dit sèchement après l’avoir assise. Elle a lentement posé sur chacun d’entre nous, l’un après l’autre, un regard d’une très grande méchanceté, celle des déments, que l’on est tenté d’immédiatement excuser sans pour autant cesser de la craindre. Elle devait avoir une quarantaine d’années. Elle a touché avec son index le genou de son voisin, puis elle a touché la petite bouteille d’eau qui dépassait de la poche de l’homme. Il s’est levé et a été lui chercher un verre d’eau. Elle l’a remercié, puis s’est signée. Sitôt bu son verre d’eau, elle a commencé à déambuler dans le service. Elle allait voir les gens allongés sur les brancards. Elle en touchait certains, se signait à la vue d’autres. Je ne sais pas si elle entendait les guérir, mais elle nous gratifiait régulièrement d’une petite danse, entre la danse irlandaise et le madison. Elle a disparu de mon champ de vision, mais j’ai entendu un infirmier crier : « Ah ne la laissez pas traîner là, elle fouille dans les affaires des gens ».

Et puis un long moment après, on m’a appelé. Une infirmière m’a posé des questions afin d’établir la gravité de la situation. Elle a pris ma tension, ma température, et quelques notes. Elle m’a collé le bracelet et m’a invité à retourner m’asseoir. Quand je suis sorti de son boxe, un nouveau clodo était vautré par terre. Sa ressemblance avec un portrait bien connu d’Edgar Poe m’a frappé.

Entre temps, une vieille femme avait été amenée sur une chaise roulante. Elle avait l’air d’avoir cent vingt ans et le minuscule fil qui, depuis le ciel, retenait sa tête avait manifestement lâché. Son menton était écrasé sur son torse et son regard perdu. Elle est restée peut-être une heure parfaitement immobile, et j’ai pensé à ces faits divers qui racontent les malades morts aux urgences sans que personne ne s’en rende compte. Mais elle a donc fini par s’éveiller. Prétendre qu’elle s’est levée comme un ressort serait beaucoup dire, mais enfin, elle a commencé à déambuler parmi nous, à essayer différentes chaises, à repartir, à entrer un peu partout, à passer derrière le comptoir des infirmières momentanément vide pour tripoter des trucs. Un infirmier l’a raccompagnée jusqu’à une chaise, puis une infirmière, puis la même, puis la même. « Je sens que vous allez me faire cavaler tout l’après-midi, vous », a-t-elle dit avec un large sourire patient dans la voix. C’était triste, mais ça m’a fait rire, parce que la très vieille dame me semblait indomptable. « Mais on sait qui l’a amenée ? » a demandé un médecin qui passait là.

L’autre vieille dame, celle qui avait le regard exorbité, a demandé à mon voisin, un jeune homme pâle, s’il pouvait aller chercher son fils. « Mais il est où votre fils ? » La vieille dame disait « Là », désignant le hasard de cette pièce immense composée d’une dizaine de boxes et d’un comptoir séparé en deux. Il a été chercher une infirmière, une jeune, qui venait de se faire un peu houspiller par une de ses collègues plus âgées. Elle a contenu son impatience en essayant d’entendre ce que la vieille dame marmonnait. Elle lui a expliqué que les accompagnants ne pouvaient rester dans cette pièce et que son fils devait être dans l’autre salle d’attente. Cela n’a évidemment rassuré en rien la vieille dame et elle a conservé son regard terrifié, mais qui était je crois (je l’ai compris après) le masque que lui avait figé une attaque cérébrale. Elle a redemandé à mon voisin, en peinant à articuler, s’il pouvait trouver son fils. « Mais je ne le connais pas votre fils », a-t-il dit gentiment. J’ai pensé qu’elle avait peut-être peur d’être seule ou qu’elle voulait aller aux toilettes, mais n’osait pas demander à un étranger de l’y accompagner. J’en suis à un point de mon histoire médicale que je crois que je pourrais pisser là, devant tout le monde, s’il le fallait, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. J’ai dit au jeune homme de faire patienter les médecins si j’étais appelé, prétendre que j’étais aux toilettes par exemple (je lui ai donné mon nom) et je suis parti à la recherche du fils dans les couloirs. Je suis sorti des urgences et j’ai été voir la salle d’attente des accompagnants. Je ne l’ai pas trouvé. À dire vrai, j’avais un peu peur qu’il ne l’ait abandonnée, mais à mon retour j’ai parlé le plus doucement possible à la vieille dame et je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, qu’il était sans doute parti déjeuner, affamé qu’il était depuis tout ce temps, qu’il n’était pas loin, qu’il reviendrait dès qu’il le pourrait. Je ne sais pas si elle a cru à tout cela, mais elle m’a remercié.

Puis un homme est arrivé. Il ressemblait un peu à Renaud – traits détrempés par l’alcool inclus. Il avait l’air malaimable, semblait plutôt négligé, mais sa coupe de cheveux était impeccable. Ça tranchait étrangement. Il a voulu s’asseoir à droite de la vieille dame qui a fait non du doigt. Elle attendait toujours son fils. L’autre, l’Indomptable, continuait à ouvrir les boxes, provoquant les cris amusés des médecins qui la raccompagnaient à la porte. La Sorcière, elle, avait disparu. J’ai entendu ronfler : un autre clodo s’était allongé par terre de tout son long et dormait comme pour la première fois.

On m’a appelé. J’étais là depuis presque cinq heures. Au début, je n’ai pas bien entendu mon nom, parce qu’un type ne cessait pas de hurler en boucle « Vous ne pouvez pas m’hospitaliser contre ma volonté, je connais la loi, appelez ma femme, faites-moi signer une décharge, je veux sortir ». En entrant dans le boxe, je l’ai croisé sur son brancard. Il ressemblait à Bernard Blier. Une infirmière, très calmement, lui répétait qu’on n’allait pas le laisser sortir comme cela, qu’il n’était pas en état. Il avait l’air paniqué. À défaut de bourreau ou de faucheuse, l’hôpital, c’est vraiment l’endroit où tout de nos élaborations contre la peur, la maladie et la mort s’écroule, l’endroit aussi où l’on se prend dans la gueule l’ardoise de nos déraisons. Pour beaucoup, l’hôpital est une métonymie de la mort.

Le médecin, une jeune femme à lunettes plutôt séduisante avec son allure un peu chiffonnée, s’est excusé de me faire asseoir aussi inconfortablement. Ça m’a amusé, tant de prévenance. Elle a soigneusement tapé sur son ordinateur les réponses aux nombreuses questions qu’elle me posait. Elle m’a ausculté. Elle m’a annoncé la couleur : prise de sang, radio du thorax, échantillon d’urine, attente des résultats et, retour chez moi ou hospitalisation. Elle m’a souri et m’a laissé aux bons soins de l’infirmière qui m’a presque immédiatement allongé sur un brancard. « Je peux marcher… » Mais ça n’avait pas l’air prévu comme ça. Elle m'a collé un masque pour isoler mes germes et me protéger de ceux des autres, elle a chargé mes affaires et on est parti dans les couloirs pour la radio. Il y avait un encombrement incroyable et à déambuler ainsi entre les autres brancards, les médecins, les malades, j’avais l’impression de faire du rafting. La radio n’a pas pris beaucoup de temps. On m’a remonté et on m’a laissé attendre sur mon brancard. J’ai ressorti mon livre. J’entendais une dame – une bénévole – qui s’adressait aux malades, leur demandait s’ils avaient besoin d’une couverture, s’ils voulaient qu’elle prévienne quelqu’un… Un monsieur lui a parlé longuement de la chimio difficile qu’il suivait. Elle l’écoutait avec beaucoup d’empathie. Finalement, on est gentiment venu me dégager de mon brancard : on en manquait. Je suis retourné m’asseoir. Des patients étaient partis, d’autres étaient arrivés.

Un homme s’est impatienté, a commencé par s’agiter sur son siège, mais s’est finalement levé, a apostrophé une infirmière. Il avait une tronche de personnage de Dostoïevski : le regard ombrageux, la voix un peu théâtrale, le sourcil broussailleux. Cela fait déjà quatre heures qu’il était là et beaucoup étaient déjà passés devant lui. D’accord, il avait dû s’absenter une heure pour une affaire urgente, mais ce n’était pas une raison pour le rétrograder sur la liste ! Une infirmière a tenté de lui expliquer que ce n’était pas l’ordre d’arrivée qui comptait, mais la gravité estimée. Tout de même, il n’était pas là pour rien : il saignait du nez depuis deux jours ! Il lui a agité sous le nez son mouchoir en papier où s’égayaient cinq ou six taches de sang. « Mais là, ça ne saigne pas ? » lui a fait remarquer l’infirmière. Il est allé se rasseoir, furibard, non sans rappeler qu’il ne fallait pas s’étonner que des gens s’immolent de plus en plus dans les services publics. Par la suite, il essaiera de monter une cabale avec ses deux voisins (le coin est à éviter), ne cessera de lancer des regards noirs en direction des infirmières et des infirmiers, regards plus noirs encore lorsqu’il les surprendra à rire un instant. S’ils ont l’énergie, le temps ou l’envie de rire, c’est que ces gens ont du temps à perdre !

Une autre femme, qui s’ennuyait sans doute fermement sur son brancard a nonchalamment allumé une cigarette. « Nan mais on aura tout vu, a hurlé l’infirmière. Vous êtes complètement folle ? Vous voulez tous nous faire exploser ? » « Bah quoi », a répondu la femme.

J’ai commencé à fatiguer, parce que c’était le spectacle de beaucoup de tristesse, de beaucoup de douleurs. De beaucoup de bêtise aussi. J’ai senti venir une nouvelle poussée de fièvre, accompagnée du mal de crâne. Alors, j’ai refermé le livre que de toute façon je n’avais fait que laborieusement lire pour reposer un peu mes yeux, à défaut de pouvoir le faire de mes oreilles. Le portable est une invention diabolique et je me suis surpris à me demander si les quelques vies qu’il a peut-être, à l’occasion, permis de sauver, valaient vraiment son invention. De plus en plus fatigué, je réclamais une étude pour confirmer mes soupçons : y a-t-il corrélation positive entre la bêtise des utilisateurs et leur temps passé au téléphone ? Les bribes de conversations qui me parvenaient malgré moi (les oreilles n’ont pas de paupières) m’incitaient à le croire. S’y étalaient d’insupportables réflexes de consommateurs auquel tout est dû.

Pourtant, je somnolais. Beaucoup de patients étaient partis beaucoup d’autres arrivés, qui n’attiraient plus qu’à peine mon regard. Il était 19 h 30 : cela faisait environ sept heures que j’étais là. Ce n’est la faute de personne. C’est comme ça. On aimerait qu’il y ait un médecin par personne dans cet hôpital, mais ce n’est pas possible. Alors il faut prendre son mal en patience et attendre le retour des résultats du laboratoire.

Et puis un petit miracle : le médecin m’a appelé. En entrant dans son boxe, un autre, j’ai admiré son courage, sa force et son sourire. « Les résultats sont plutôt encourageants. Les résultats sanguins n’ont rien montré d’inattendu, la radio non plus. J’ai appelé le docteur V. et on a convenu de diminuer le temps d’un nouveau traitement certains de vos antirejets. » Elle m’a expliqué le nouveau protocole, m’a tendu l’ordonnance. « Si la température n’est pas retombée après-demain, vous revenez aussi sec. Et dans deux jours, vous appelez le docteur V. pour la tenir au courant. Je vous libère. Merci pour votre patience. » Ses remerciements étaient si inattendus que j’ai cru à de l’ironie. Mais au cas où, je lui ai souri et lui ai dit que c’était moi qui la remerciais.

Je suis sorti. Au premier comptoir, il y avait maintenant une trentaine de personnes qui attendaient de pouvoir entrer aux urgences avec leur carte vitale à la main. Je me suis demandé comment la jeune femme ne cédait pas à la panique : on pouvait croire à une attaque de zombies. Je suis sorti sur le boulevard de l’Hôpital. Il faisait nuit. J’ai téléphoné à D. pour lui annoncer la bonne nouvelle. J’ai trouvé une pharmacie encore ouverte. J’ai pensé à ce que j’allais manger. J’avais envie de pizza et de chocolat comme d’une récompense. Je ne m’en suis pas privé.

jeudi 14 février 2013

Saint-Valentin

Il y a quelques jours, j'ai rêvé de Juliette. Je peux me tromper, mais je crois que c'est la première fois. D. et moi nous l'attendions dans le hall d'une salle de cinéma de la rue Champollion. C'est une salle qui n'existe pas, mais dont je rêve souvent : sa pente est incroyable, presque vertigineuse.
Comme elle était en retard, je disais à D. qu'il pouvait aller s'installer et que nous l'y rejoindrions. 
Juliette finissait par arriver, essoufflée comme toujours, et je voyais sur son visage, qu'elle préférait que nous nous allions au chaud dans un café pour discuter un peu. Au bout d'un moment, je réalisais : 
- Mais au fait, dis-moi, c'est comment d'être mort ?
Elle faisait une moue étrange qui disait tout à la fois « c'est pas aussi bien qu'on peut l'imaginer », « j'ai pas trop le droit de parler de cela », etc. C'est ce que je comprenais en tout cas dans le rêve. Alors nous discutions d'autres choses : d'écriture, de lecture, de nos amours, et c'était bien comme cela.
Quand je me suis réveillé, j'étais content : j'avais revu ma vieille amie et elle semblait aller bien. C'était comme voir une amie qui aurait travaillé à l'étranger et que j'aurais pu croiser, par exemple, entre deux escales. Rien de douloureux.

D. m'a dit que c'était un bien beau cadeau que m'avaient offert le sommeil et mon cerveau. Oui. Je les remercie.

14 février, journée mondiale des cardiopathies congénitales.

lundi 11 février 2013

Zombadings

Si vous en avez l'occasion, essayez de voir Zombadings. C'est philippin et ça pourrait bien devenir, dans son genre, une espèce de film culte...
Le début ? Parce qu'il out tous les gays qu'il croise, un petit garçon se retrouve victime d'une malédiction : une fois devenu adulte, il deviendra gay... C'est d'un mauvais goût assumé à peu près absolu...

dimanche 3 février 2013

Neige



Rien n’est plus partagé, peut-être, mais la neige déterre en moi des ressources un peu perdues de bonheur essentiel, un émerveillement de petit enfant ou d’animal. Peut-être parce que je n’ai pas de véhicule, ne suis animé d’aucun sentiment d’urgence, vis dans un appartement chauffé, je peux m’abandonner à la contemplation, sans crainte des conséquences. Au pire, le bus à trois chiffres qui pour finir m’amène à mon lieu de travail ne circule pas et j’ai alors le choix entre rebrousser chemin pour travailler chez moi ou faire le trajet à pied. 

À Paris, regarder tomber la neige, c’est un peu regarder le silence et la beauté s'imposer – surtout en fin de soirée. La nécessaire prudence calme les automobilistes parisiens, et le klaxon disparaît enfin à peu près complètement, comme s’ils avaient peur que le moindre geste un peu brusque ou un peu rageur ne les envoie dans le décor. C’est bon de les voir revenir à moins d’arrogance. Il était tard déjà, mais la neige me donne envie de marcher pour contempler les lumières nouvelles, l’irréel rendu à la rue, parce que la présence humaine se gomme un peu, s’atténue disons ; la ville retrouve sa respiration naturelle et apaisée. 

Le lendemain matin, je suis sorti tôt. Certaines rues, certains trottoirs n’avaient pas été déflorés encore, et j'ai retrouvé le bruit que font nos pieds lorsqu’ils s’enfoncent dans la neige fraîche, ce petit crissement sourd, ce son qui court le long de nos jambes. Au bout d’un kilomètre environ, j’ai reconnu cette chaleur particulière qui envahit dans la neige et le froid. Alors, j’ai eu une terrible envie de montagne, de clichés et de neige bleutée dans des matins silencieux. La chaleur indécente du foyer et, dehors, par la fenêtre, les veloutés blancs que l’on ne foulera qu’avec ce sentiment mêlé de crainte (à cause de ce désordre du monde que l’on cause) et d’excitation propre à la transgression. Sensation lointaine d’être le premier homme, le premier matin ou le premier pécheur.

J’ai repensé à ma grand-mère et aux vacances passées à Lullin quand j’étais petit. Un souvenir de mes six ans : notre descente au village, à pied sur le chemin serpentant. Il était question d’acheter des cartes postales et une bande dessinée. Nous chantions à tue-tête Ah tu sortiras, biquette, biquette, ah tu sortiras de ce chou-là. Je ne rêvais que de couper à travers champs, parce qu’alors je détestais marcher, mais aussi pour éprouver un peu de cette crainte excitante que les enfants font jaillir d’à peu près n’importe quoi : mes petites jambes s’enfonçant dans la poudreuse comme dans des sables mouvants. Mais je n’osais pas réclamer cette faveur à ma craintive grand-mère. Au retour, dans le petit hôtel familial du col du feu, un chocolat chaud sur le comptoir en bois. Et puis de la luge dans le grand champ d’à côté. Le soir, pour tromper mon ennui de ces repas gargantuesques qui n’en finissaient pas, je m’improvisais serveur et j’aidais à débarrasser les tables du restaurant, ou bien j’allais discuter en cuisine avec le vieux patriarche, un vieux Savoyard un peu grognon qui m’aimait bien je crois. La suite du souvenir se dissipe comme un rêve.

J’ai fait un détour pour traverser un parc. Les premiers enfants, hilares, aux visages rougis, courraient dans tous les sens sous le regard complice de leurs parents. Je voulais la montagne, la lumière, la marche et le ski dans des vallées couvertes de sapins. Je voulais voir doucement fondre, aux heures clémentes du jour, les petites stalactites accrochées aux branches.


Je repris la direction de la gare de Lyon. Si je m’étais écouté, je serais parti dans l’heure pour voir la montagne. À la place, je suis sagement monté dans un petit train pour aller chez mon père, à la campagne. C’était un compromis pas si désastreux. Il y avait neigé plus qu’à Paris, et il y neigeait encore. Tout le temps qu’a duré le déjeuner de famille, j’ai trépigné (intérieurement), car je n’avais qu’une peur, qu’il cesse de neiger avant que nous ne soyons sortis de table. Dans l’après-midi, ma sœur, ma nièce et moi avons rapidement abandonné les autres invités pour marcher sous la neige qui tombait encore. Chacun calfeutré dans ses silences, mais aussi lié aux autres par le plaisir enfantin, à cause des rêves et des souvenirs de neige, retrouvés le temps de la promenade.

vendredi 1 février 2013

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse - VII

Si vous avez manqué le début :
V - Troisième nuit
VI - Troisième journée



J’avais nettoyé leurs déjections ainsi que leurs scandaleuses réserves de victuailles, et dans la nuit qui suivit, je m’éveillai en sursaut quelques fois. Il me semblait entendre renifler, marcher, crapahuter, grignoter, couiner – ricaner même peut-être, et pourquoi pas ! –, mais dès que j’allumais la lumière, les parasites se faisaient plus discrets, ou bien mes cauchemars, ou bien les deux à la fois. À force de raison obstinément convoquée, je finis tout de même par me convaincre qu’il ne s’agissait, encore une fois, que du produit d’une imagination qu’il aurait décidément mieux valu brider durant mes jeunes années, et que les traces trouvées avaient été laissées là avant l’éradication des… souris. Convaincu ? Pas au point, sitôt levé, de vérifier la présence de nouvelles traces… que je trouvai pour mon plus grand malheur. Je dus donc me rendre à l’évidence : je n’étais pas débarrassé de ces maudits rongeurs. Pour autant, aucun ne s’était laissé prendre au piège, car ils avaient dû se passer le mot, à moins qu’ils ne sentissent la sinistre odeur du sang de leur frère sur le piège en bois. Mais où ces animaux se cachaient-ils ? Et, s’ils ne faisaient que transiter par mon appartement, par où y pénétraient-ils ? Tout cela tournait en boucle dans mon esprit tandis que je me livrai à mes ablutions. Au risque de me mettre en retard, j’inspectais de nouveau toutes les plinthes, tapotant à la recherche d’une galerie ou d’une niche, mais non, rien, il n’y avait rien. C’était à n’y rien comprendre. Cédant à une impérieuse impulsion, que – autant l’admettre – je laissais germer depuis quelques jours déjà, je recherchai dans ma bibliothèque un ouvrage que je savais en ma possession et qui traitait de grandes querelles scientifiques. Car, à rebours des principes édictés par notre Académie des sciences, je n’excluais plus aucune hypothèse. Sitôt l’ouvrage trouvé, je le prenais sous le bras et quittait mon logis incontinent. Installé dans l’hippomobile, je feuilletai avidement le livre, en quête du chapitre consacré à l’abiogenèse, et le trouvai entre le chapitre traitant de l’éther et celui consacré à la métempsychose.

Les premières traces de la théorie de la génération spontanée remontaient à Aristote et les plus grands philosophes l’avaient soutenue. Comment Descartes, qui avait de façon irréfutable prouvé l’existence de Dieu au moyen des seuls muscles de son cerveau génial, aurait-il pu cette fois se tromper ? Geoffroy Saint-Hilaire, Lamarck, nombreux étaient également ceux de nos scientifiques à n’en pas démordre : certes, le cycle de reproduction de la plupart des espèces animales était semblable ou, disons, analogue au nôtre en bien des points, mais il relevait du bon sens que ne devait pas pour autant être balayée d’un revers de main trop orgueilleux l’existence des infusoires, ces formes de vie plus simples qui apparaissaient, elles, par génération spontanée. Je restai interdit un moment… En vertu des principes scientifiques bien connus selon lesquels il n’y a pas de fumée sans feu et que, tout de même, les voies du seigneur sont impénétrables, ne pouvait-on dès lors imaginer que le créateur ait choisi, pour les espèces les plus viles – et assurément, les rongeurs en comptaient – des modes de reproduction plus archaïques ?

L’ouvrage battait en brèche bien des idées trop modernes pour être honnêtes, et il était positivement passionnant. Mais les petites lettres, l’impression peu soignée, la difficulté et la finesse même des concepts abordés, le chaos de l’hippomobile, tout cela rendait la lecture fastidieuse et, pour tout dire, harassante. Malgré moi, et sans doute enivré par les vapeurs ammoniaquées des déjections de l’attelage, je piquais du nez sur mon livre. Oh, quelques instants seulement, car une bousculade me réveilla. Je remarquai aussitôt qu’une feuille de papier, couverte de quelques lignes tracées d’une fine écriture, avait été déposée sur les pages de mon livre ouvert. Presque automatiquement, je levai les yeux et les lançai sans ménagement aux deux ou trois personnes qui descendaient à l’arrêt, à la recherche de celle ou de celui qui, geste prémédité ou non, m’avait abandonné cette feuille. Parmi elles, j’avisai un homme blond habillé d’un Lederhose, qui était jusqu’alors assis derrière moi, ce qui, bien plus encore que son accoutrement si souvent ennemi, me le rendait suspect. Devais-je me lever et essayer d’attraper l’autrichien quidam ? Mais déjà il tournait la rue et l’hippomobile repartait. Je me rassis et entrepris de lire le texte que le mystérieux voyageur m’avait laissé. J’eus d’abord toutes les peines du monde à en déchiffrer les caractères où perçait, graphiquement parlant, la nette influence gothique, mais après quelques minutes le message apparut :

Cher betit monsieur,

Fous afez raison. Bien des choses de ce monde pourraient être zexpliquées si n’était trop zoufent écartée la – ach ! – théorie de la guénération zpontanée.

Un ami qui ne fous feut pas de mal. Nein.


Que cet homme ait, à quelques nuances près, le même accent que ma femme de ménage, Lydie Strata, était déjà par extraordinaire, mais ce n’était pas cela qui nourrissait mon étonnement mâtiné de rage. Donnerwetter ! comme aurait dit mon prévenant ami, la ville entière avait-elle un avis à donner sur la situation ? Pire, il me semblait qu’un mauvais feuilletoniste s’échinait à me pourrir la vie ! À quoi bon ces rebondissements presque quotidiens ? Quel (charmant) diablotin se jouait de moi ? Était-ce trop demander que de me voir – purement, simplement et rapidement – débarrassé de ces souris ? Ces histoires abracadabrantesques étaient-elles nécessaires ?