tag:blogger.com,1999:blog-38647764534584590882024-03-13T21:20:13.175+01:00Mes pas dans ceux des errantsMes pas dans ceux des errantsChristophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.comBlogger192125tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-84817515359137213392024-01-01T00:01:00.008+01:002024-01-02T10:05:54.854+01:00Bonne année 2024 !<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhv_aOF-AGdRH97m1tN2S_24wfKQUlU8HLlzIZ7vbhMWWCh7k39Tkl4uroPZ1Wu4MxaKCOzjMtloYa1fW7eFee1WBgXd7LV-fPk8PfEQHeBMVn6upyJSARSHguUf_Jlw8yPrAqeEehhyce3K8a3gxJz3T3J9KIpgIIu5phECBaT96JGzMtwwRV46QAvqlif/s850/Bonne%20anne%CC%81e%202024.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="850" data-original-width="633" height="613" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhv_aOF-AGdRH97m1tN2S_24wfKQUlU8HLlzIZ7vbhMWWCh7k39Tkl4uroPZ1Wu4MxaKCOzjMtloYa1fW7eFee1WBgXd7LV-fPk8PfEQHeBMVn6upyJSARSHguUf_Jlw8yPrAqeEehhyce3K8a3gxJz3T3J9KIpgIIu5phECBaT96JGzMtwwRV46QAvqlif/w455-h613/Bonne%20anne%CC%81e%202024.png" width="455" /></a></div><br /><p></p>Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-51658888995450398772023-01-01T14:16:00.000+01:002023-01-01T14:16:03.637+01:00Bonne année 2023 !<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEixwGbpp87tR6AwqHzC0qnUCmyuEz325mr4wzXn8YlHmE1onc3GxmpX7bYRjyXRijS-5nRdqaeSi028TeOpLbzNWER0oDWm5vqhnymVT3_nAhPrLK7lJsVDyaNgIap5yFS_fRjErt47kIuJUp_mXutqPRnFVoKP036Pef8iYUEu_EHZqVJVxHx_qAhRJA" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img alt="" data-original-height="2268" data-original-width="1361" height="640" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEixwGbpp87tR6AwqHzC0qnUCmyuEz325mr4wzXn8YlHmE1onc3GxmpX7bYRjyXRijS-5nRdqaeSi028TeOpLbzNWER0oDWm5vqhnymVT3_nAhPrLK7lJsVDyaNgIap5yFS_fRjErt47kIuJUp_mXutqPRnFVoKP036Pef8iYUEu_EHZqVJVxHx_qAhRJA=w384-h640" width="384" /></a></div><br /><br /></div><br /> <p></p>Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-74688181735643033822022-01-06T20:58:00.002+01:002022-01-06T20:58:52.253+01:00Bonne année 2022<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEg_5DHAiDuoSgOlPKFPy4dDICp6n36T3T8c36ePJwxE0OSkUDJZCKVNzaH7LruzSo2ChSoyYWT8zhnElSujK5AM2MICKD52-1TjvEDn8yHRNOQW8OSGHkDi-ghNEi6ertRYixOxuj3IjwpKTvEln5Jgsih7jd5eMrlgyhtzwkHbawNG1rEoSOBptnoMIA=s2234" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="2234" data-original-width="1665" height="400" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEg_5DHAiDuoSgOlPKFPy4dDICp6n36T3T8c36ePJwxE0OSkUDJZCKVNzaH7LruzSo2ChSoyYWT8zhnElSujK5AM2MICKD52-1TjvEDn8yHRNOQW8OSGHkDi-ghNEi6ertRYixOxuj3IjwpKTvEln5Jgsih7jd5eMrlgyhtzwkHbawNG1rEoSOBptnoMIA=w298-h400" width="298" /></a></div><br /> <p></p>Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-87819225713073999032021-01-01T00:00:00.001+01:002021-01-01T00:00:03.221+01:00Bonne année 2021<p> </p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://1.bp.blogspot.com/-dRAeQCQYi9Q/X-4dPlF2n4I/AAAAAAAAANY/TUyGRVqbcqgmcrobgD3zg6eGDRamvGcDQCNcBGAsYHQ/s929/Bonne%2Banne%25CC%2581e%2B2021.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="929" data-original-width="747" height="532" src="https://1.bp.blogspot.com/-dRAeQCQYi9Q/X-4dPlF2n4I/AAAAAAAAANY/TUyGRVqbcqgmcrobgD3zg6eGDRamvGcDQCNcBGAsYHQ/w427-h532/Bonne%2Banne%25CC%2581e%2B2021.jpg" width="427" /></a></div><br /><p></p>Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-14327403474264203732019-12-31T23:59:00.000+01:002019-12-31T23:59:00.565+01:00Bonne année 2020<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-CtA9c4gIWjk/XguQYzPJo4I/AAAAAAAAAKQ/qvxOra2TP_EWT7CuaI0bpb-x3WxIQ7NrgCNcBGAsYHQ/s1600/Carte-de-voeux-2020.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="879" data-original-width="537" height="640" src="https://1.bp.blogspot.com/-CtA9c4gIWjk/XguQYzPJo4I/AAAAAAAAAKQ/qvxOra2TP_EWT7CuaI0bpb-x3WxIQ7NrgCNcBGAsYHQ/s640/Carte-de-voeux-2020.jpg" width="388" /></a></div>
<br />Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-18030802267143810172019-05-31T19:10:00.004+02:002019-05-31T19:58:04.466+02:00Marie DepusséIl y a quelques semaines de cela, le hasard des algorithmes mettait sur mon chemin un article du <i>Monde </i>annonçant la mort de Bernard Sichère. Je n’avais guère entendu son nom depuis l’époque des mes études à Paris VII. Je n’ai jamais suivi son enseignement, mais son caractère jugé difficile, sa mauvaise humeur en somme, et son intransigeance, nourrissaient nos conversations au café. Je me demande si ce n’est pas pendant son cours que Juliette avait été victime d’un attentat : un élève qui venait d’être exclu pour tricherie, ouvrait une à une toutes les portes du couloir 24-34 pour y balancer des œufs par vengeance aveugle, et Juliette avait compté parmi ses victimes. Je me souviens également d’un chargement de nourriture et de bouteilles avant un trajet en voiture entre chez lui, du côté de Nation, et chez un ami de Marie Depussé, vers Glacière, Marie qui fêtait son départ en retraite. Je me souviens également d’une journée d’étude organisée toute fin 1999 par Francis Marmande - « Littérature, cinéma, philosophie : où va-t-on ? » - ou quelque chose comme cela. Marie Depussé avait fait une intervention sur Clint Eastwood - interrompue par quelques crétins qui jugeaient scandaleux que l’on parle de celui qui avait incarné l’inspecteur Harry, donc un promoteur de la violence, donc une caricature d’amerloque, donc un odieux impérialiste, donc un quasi nazi. J’avais aussi découvert ce jour-là <i><a href="https://www.youtube.com/watch?v=YP7fujJLC_Y" target="_blank">Au début</a></i>, de Pelechian, avec l’incroyable musique de Sviridov, que j’ai souvent revu à l’époque de la rédaction de ma thèse pour me donner du courage. Je ne me souviens plus du sujet de l’intervention de Bernard Sichère, mais il avait projeté pour illustrer ses propos la photo de deux beaux jeunes hommes torse-nu - photo tirée d’un film, crois-je me souvenir, pensez aux jeunes hommes d’un film italien des années cinquante ou soixante. Bernard Sichère s’était tourné vers la photo projetée, et submergé par la nostalgie, il avait lâché « J’ai été comme ça, vous savez ». C’était indécent, c’était pathétique, c’était d’une confondante sincérité, c’était tout à fait estimable, c’était tout cela à la fois.<br />
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Peu de temps avant d’apprendre sa mort, j’étais repassé devant Jussieu après une promenade au Jardin des plantes et avant d’aller au Grand Action. J’évite de repasser devant Jussieu, parce que je ne peux pas m’empêcher de penser, singeant finalement Sichère, « J’ai été jeune dans cette université vous savez... ». Surtout, revenir dans ce quartier me fait trop penser à Juliette. Le café où nous avons passé tant d’heures est devenu une banque puis rien du tout. La petite guérite attenante où une gentille dame nous vendait ses crêpes n’existe évidemment plus. Pour le dire simplement, je pense que je ne me remettrai jamais vraiment de la mort de Juliette.<br />
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Après avoir lu l’article qui retraçait son parcours philosophique, universitaire et politique, ce dernier l’ayant mené du maoïsme au christianisme - comme quoi son intransigeance et sa rigueur s’exerçaient davantage à l’égard de ses étudiants que des dogmes auxquels il souscrivait -, j’ai voulu avoir des nouvelles de Marie Depussé. Les étudiants qui suivaient son enseignement et l’appréciait étaient affectueusement surnommés les depussistes par Francis Marmande. Je n’avais plus rien lu d’elle depuis <i>Les morts ne savent rien</i> et je n’avais pas dû la revoir depuis 2005. Ça m’a beaucoup troublé de découvrir qu’elle était morte en 2017. Ça m’a presque blessé de constater que je m’étais à ce point éloigné de cette période de ma vie, de mes lectures de l’époque, de mes curiosités, de mon temps libre, et que j’étais accaparé - englué, me suis-je demandé - par d’autres nécessités au point d’ignorer qu’était morte une enseignante qui avait à ce point compté pour moi, dont j’avais tant aimé les lectures intelligentes et sensibles, les inflexions de voix, mystérieuses et pleines de sens, lorsqu’elle parlait de Duras, de Jouve ou de Woolf. Je me suis soudain senti comme dépossédé de mon passé et de ma vie. Dans la nuit qui a suivi, j’ai rêvé de Juliette, qui était vivante. Ça a duré comme ça quelques heures, à me demander quel était ce chemin que je suivais et qui me laissait si peu de temps libre. Et puis le téléphone a sonné alors que j’étais au boulot. C’était un demandeur d’asile qui m’annonçait qu’il avait eu son statut à la CNDA.Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com3tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-40313893390030902872019-01-02T12:10:00.002+01:002019-01-02T12:10:42.038+01:00Bonne année 2019Et avec un peu de retard cette année...<br />
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<a href="https://4.bp.blogspot.com/-Q8uFuIKB03Y/XCyb-rWZnzI/AAAAAAAAAIM/_nfwqpyzPLkQZVhal3HLnDTvQMn_EPBVACLcBGAs/s1600/Carte%2Bde%2Bvoeux%2B2019.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="400" data-original-width="756" height="210" src="https://4.bp.blogspot.com/-Q8uFuIKB03Y/XCyb-rWZnzI/AAAAAAAAAIM/_nfwqpyzPLkQZVhal3HLnDTvQMn_EPBVACLcBGAs/s400/Carte%2Bde%2Bvoeux%2B2019.jpg" width="400" /></a></div>
<br />Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-90181634502822540712018-01-01T00:01:00.000+01:002018-01-01T00:01:49.068+01:00Bonne année 2018 !<div class="separator" style="clear: both; text-align: left;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-b_I0NcspurI/Wkku0RBJi2I/AAAAAAAAAHo/E4Zjov-8Nykky1gPUCzajDQlKhnP39_zwCLcBGAs/s1600/Bonne-anne%25CC%2581e-2018.png" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1589" data-original-width="1600" height="395" src="https://1.bp.blogspot.com/-b_I0NcspurI/Wkku0RBJi2I/AAAAAAAAAHo/E4Zjov-8Nykky1gPUCzajDQlKhnP39_zwCLcBGAs/s400/Bonne-anne%25CC%2581e-2018.png" width="400" /></a></div>
<br />Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com7tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-8933411697929169422017-02-01T14:45:00.003+01:002019-05-31T19:38:03.559+02:00Dans la salle d'attenteIl s'agit d'une grande salle qui peut contenir une cinquantaine de personnes. Beaucoup d'hommes, souvent jeunes mais pas toujours ; des femmes seules aussi, et des familles, des petits enfants qui jouent, des grands-mères sans âge dont on se demande comment elles ont fait pour arriver jusqu'ici.<br />
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La plupart des visages sont fermés, concentrés ou éteints peut-être. D'autres semblent étonnés d'être là, dans cette grande salle d'attente, avec des gens dans la même situation qu'eux - en demande d'asile – et qui pourtant leur ressemblent si peu, compagnie d'hommes et de femmes qui viennent du monde entier. Certains faisaient le vœu de la France, d'autres sont arrivés là un peu par hasard, au gré des trains, des camions, des bateaux, du tarif des passeurs. Des histoires intimes, des pays aussi dissemblables que possible, et pourtant des destins devenus semblables par la force seule de l'administration et de la « gestion européenne des flux migratoires ».</div>
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Les officiers de protection s'égrènent un à un à l'entrée de la salle et appellent les demandeurs d'asile soit par le numéro qui leur a été donné à l'entrée, soit par leur nom - et je souris intérieurement en me disant que les demandeurs d’asile ont intérêt à vite comprendre comment leur nom se prononce dans la bouche exotique française. Officier de protection, c’est le titre. A-t-on à un moment ou à un autre expliqué à toutes ces personnes qui attendent qu’ « officier » ne veut pas dire « police » ni préfecture ? Pareil : leur a-t-on bien dit que s’il y avait un moment dans leur vie où ils devaient tout raconter – les blessures, les humiliations, les peurs, les violences – et forcer leur pudeur, c’était celui-là ?</div>
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Dans un coin, un monsieur semble réviser. Il me donne l'impression de s'assurer qu’il sait bien par cœur le récit précédemment envoyé à l'Ofpra et qu'il pourra le restituer dans son intégralité sans se tromper sur les dates ou sur les lieux géographiques. J'ai envie de me lever pour aller discuter avec lui, lui expliquer à quel point il fait erreur, mais j’ai peur de le désespérer.</div>
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Dans la salle, certains remplissent les critères internationaux de la demande d'asile : ils ont été persécutés dans leur pays ou risquent de l'être en cas de retour ; ou alors ils fuient un conflit. D'autres sont là pour simplement tenter leur chance à l’Ofpra, le bluff de l’asile en bandoulière, parce qu’ils ont une famille ou un village à nourrir, guerre (larvée) ou pas ; parce qu’ils n’ont rien à manger ; parce qu’il n’y a pas de travail et pas d’argent au pays. Quelques-uns sont même partis par goût de l'aventure, parce que le départ pour l'Europe est une réponse folle à la poussée d'adrénaline, la même qui pousse la jeunesse d'Occident à se hisser à tout ce qu’elle trouve, à essayer tous les engins à roulettes, à tester toutes les drogues.</div>
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Dans la salle maintenant pleine à craquer, beaucoup – la plupart en fait – sont les visages qui manquaient aux silhouettes massées dans les embarcations précaires. </div>
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Combien manquent à l'appel ? Combien devraient être dans la pièce plutôt qu’assassinés dans le désert, emprisonnés et brutalisés en Libye, noyés en Méditerranée, morts étouffés à l'arrière des camions ou sur les routes de l’Europe centrale, écrasés sur les autoroutes du nord et d'ailleurs ? C’est une question que je me pose souvent lorsque je vois la file des demandeurs d’asile devant l’association. Combien de fantômes dans la file ? Parfois, c’est difficile d’avoir même à se poser la question. Et puis c'est intenable d'être un Blanc qui aide des Noirs, encore, je veux dire d'être dans cette répétition, dans cette posture, dans ce rapport-là quand on connait les liens passés et présents entre l'Europe et l'Afrique. Disposer du savoir, du savoir-faire, donner des conseils, demander à entendre les histoires, poser des questions, douter pour affiner le récit, faire émerger la sincérité, et répondre parfois « Je suis désolé, je ne crois pas à ton histoire, je ne peux pas t'accompagner. Je vais t'orienter vers une autre association. » Je connais bien des révolutionnaires de café ou des étudiants de socio qui m'accableraient pour cela. C'est intenable comme posture, en effet, et la petite satisfaction morale ou psychologique que l'on en retire quand tout se passe « bien » est méprisable. C'est intenable mais il faut la tenir.</div>
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Je trouve le temps long, l'officier a déjà 45 minutes de retard. Eux, les demandeurs d’asile, sont résignés. Ils ont fini par comprendre que le temps de l'administration s'étendait presque à l'infini : entre trois mois et douze mois d'attente avant d'être convoqué à l'Ofpra, entre un mois et dix-huit mois d'attente avant d'avoir le résultat...</div>
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Le monsieur continue de murmurer en regardant ses papiers. Je me dis qu’il a peut-être acheté son récit plusieurs centaines d'euros aux portes des 18e et 19e arrondissements – « Tu verras frère/cousin, avec cette histoire, c'est sûr, tu auras ton statut. Tu l’envoies à l’Ofpra et après tu l’apprends par cœur. » Le pire, c’est que parfois des demandeurs d’asile ont des histoires vraies qui leur permettraient d’obtenir le statut, mais ils se laissent embobiner – <i>business is business</i>…</div>
<div>
Je regarde ma montre, j’ai le temps d’aller aux toilettes avant que nous ne soyons appelés à notre tour. Les toilettes ne sont pas nombreuses et elles sentent mauvais. Une odeur acide de diarrhée flotte dans l’atmosphère. Débâcle des pays, débâcle intestinale : en dépit de tout ce qu’ils ont vécu et de ce qu’ils vivent, le passage à l’Ofpra en lamine encore certains. Je retourne m’asseoir. Je sens que la pression monte chez A. J’essaie de le distraire avec une conversation légère qui ne le projette pas trop dans l’avenir – l’avenir, ça peut être très angoissant pour ceux qui ne savent pas dans quel pays ils seront dans six mois. Il est question de chocolat, de nourriture – qu’est-ce qu’il a découvert en France ? Que l’on mange autant de salade l’amuse beaucoup. Il reparle de chocolat, décidément, c’est son truc. Et le chocolat blanc ? Ce n’est pas du chocolat, j’en conviens. J'étais sur le point d'aborder la question des fruits lorsque l'officier de protection est venu nous chercher.</div>
Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-34165405188685568542016-12-31T23:59:00.000+01:002016-12-31T23:59:01.857+01:00Très bonne année à toutes et à tous !<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-0u4kUTt_fE0/WGfpNXAf0fI/AAAAAAAAAHE/MnTrvUYMTVIS7BRz4FJC-594zRLKhqrmQCLcB/s1600/R%25C3%25A9solution-no-24---Manger-plus-%25C3%25A9quilibr%25C3%25A9-et-plus-proprement---avc-l%25C3%25A9gende.png" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="640" src="https://3.bp.blogspot.com/-0u4kUTt_fE0/WGfpNXAf0fI/AAAAAAAAAHE/MnTrvUYMTVIS7BRz4FJC-594zRLKhqrmQCLcB/s640/R%25C3%25A9solution-no-24---Manger-plus-%25C3%25A9quilibr%25C3%25A9-et-plus-proprement---avc-l%25C3%25A9gende.png" width="404" /></a></div>
<br />Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-14374723450854016252016-05-15T02:06:00.000+02:002016-05-15T22:11:28.201+02:00« Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. »<div style="text-align: justify;">
Il était très grand et très maigre. Il portait une chemise blanche à manches courtes et il tremblait un peu, de fatigue ou de froid. De fatigue, je crois. Quand je lui ai demandé à quel stade de la procédure il était, il m’a répondu avec une voix tellement basse que je ne l’ai pas compris.</div>
<div style="text-align: justify;">
Faute de place, ils étaient ce matin-là comme d’autres matins une cinquantaine à attendre dans la rue et à entrer au compte-goutte.</div>
<div style="text-align: justify;">
Il parlait tout doucement, les voitures passaient à toute vitesse et ajoutaient un peu de bruit encore à la rue. Je l’ai fait répéter plusieurs fois.</div>
<div style="text-align: justify;">
À l’intérieur, d’autres accompagnants parlaient avec ceux qui avaient déjà pu entrer. Ils prenaient des renseignements, lisaient les courriers administratifs, les convocations, les décisions de rejet, les lettres écrites par les avocats, et décidaient si ce jeune homme ou cette jeune femme face à eux allait descendre dans la salle aménagée en sous-sol pour s’y faire enregistrer auprès de l’association, ou s’ils allaient devoir revenir un autre jour parce que leur situation était un peu moins urgente que celles d’autres peut-être, tous ceux qui attendaient encore dans la rue, comme ce monsieur grand et très maigre qui portait une chemise blanche à manche courte dans cette matinée de printemps déserteur, et qui n’arrivait pas à parler, je finis enfin par le comprendre. Il s’était interrompu et avait enfoncé son pouce et son index dans ses yeux pour s’empêcher de pleurer, en vain. </div>
<div style="text-align: justify;">
Il s’est mis à pleurer silencieusement. J’ai posé ma main sur son épaule maigre, anguleuse. Je l’ai serrée, et j’ai répété comme un con, tout doucement pour que lui seul entende : « ça va aller maintenant, ça va aller ».</div>
<div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Je ne sais pas ce que je ferais si je m’écoutais vraiment. Je commencerais par le prendre longuement dans mes bras j’imagine. Et puis j’irais saccager ce monde qui se tolère.</div>
</div>
Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-70313717506157871532016-03-13T17:33:00.002+01:002016-05-15T02:06:34.994+02:00Deux regards<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Lorsque je passe devant lui le matin avant d’aller travailler,
il est le plus souvent assis sur le petit muret du laboratoire d’analyses
médicales. Il attend avec ses sacs en plastique. À midi, je le retrouve de
l’autre côté de la rue. Il fait la manche debout, sans dire un mot, avec son
gobelet en plastique, devant la boulangerie. Et puis, vers 13 heures, il part
avec toutes ses affaires en direction du métro Pyrénées. </div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Son regard me rend captif. Et pourtant, je ne sais pas s’il
me regarde vraiment, s’il voit au-delà de moi ou si son regard s’arrête aux
paysages effroyables que sa mémoire projette à l’intérieur de sa rétine. Car
son regard est éperdu. Sa détresse vous brutalise. Paris, cette grande ville un peu cruelle (comme elles le
sont sans doute toutes), capitale d’un pays qui n’est plus que le harangueur de
valeurs qu’il n’a pas le courage de définitivement larguer de peur de dévisser
dans les bourses, Paris apprend au promeneur toutes les nuances de la détresse,
tous les regards de la misère – de la fierté coûte que coûte aussi parfois.
Certains théâtralisent – c’est probable –, et comment leur en vouloir… Lui, n’a
plus aucune lueur – malice, espoir, désespoir – dans son regard qui raconte la
cassure définitive, un épisode de son existence monté en boucle et
inlassablement projeté dans sa conscience. </div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Probable que l’actualité du monde et mes jeunes activités
associatives déforment ma compréhension des choses, la dramatisent, suscitent
des espèces d’attente, déforment le réel, mais je ne peux m’empêcher de lui
imaginer un parcours migratoire – des mois sur les routes, les violences, les
cadavres du désert, des meurtres et de la mer, l’arrivée en Europe, des mois,
voire des années d’attente dans l’ombre ou dans un à peu près de la vie. Entre
les traités que ce pays signe et la réalité, entre la réglementation parfois
généreuse que notre pays élabore sous les dorures et le concret, il y a un
monde, il y a plusieurs mondes qui se tassent sous les ponts aériens des
métros, dans les places insuffisantes des foyers ou des centres d’hébergement, dans les bidonvilles. Pour certains, ce sont les plus belles années de la jeunesse qui
croupissent. Un jeune m’expliquait il y
a quelques semaines, aller d’un département à l’autre au fur et à mesure de l’épuisement
de son « crédit » d’hébergement départemental. Parfois il revient à
Paris partager le carton et le bout de trottoir d’amis qu’il s’est fait à
Calais il y a plus de trois ans. J’imagine que certains ne s’en remettent
jamais tout à fait. </div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Je le crois de ceux-là. Mais peut-être est-ce une tout autre
fêlure qui interrompt le regard qu’il lance et qui casse sa voix quand il
remercie. Peut-être ne suis-je que victime de mes associations d’idées. </div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Il y a quelques mois, j’ai bu un verre avec un ami venu
accompagné d’une toute jeune fille rencontrée à l’hôpital. Elle fumait
nerveusement. De temps en temps, elle riait un peu, mais si doucement que ses
longs cheveux châtains ne bougeaient presque pas. Je la regardais souvent, tant
je la trouvais jolie. Elle me rappelait une jeune fille dont j’avais longtemps
été amoureux il y a presque un quart de siècle. </div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Tous deux parlaient sans difficulté des molécules qu’ils
prenaient, les comparaient, en listaient les effets secondaires et évoquait à
demi-mot – aux trois-quarts de mots même – la tentation toujours grande de ne
pas les prendre, de les oublier, pour se départir un peu de la fatigue, de la
bouche pâteuse, des trous de mémoire, etc. et retrouver un peu leur
resplendissante et artificielle puissance. J’étais presque fier de cette
confiance qu’ils me témoignaient, loin de la « bonne observance » que
les souffrants se sentent obligés d’afficher devant les non-malades – à croire
que ce sont les gens en bonne santé qui se donnent du mal pour les tirer de
là...</div>
<br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
De temps à autre, tout le monde redevenait silencieux. Je
sirotais mon café, mes deux amis tiraient sur leur énième cigarette. Le regard
de cette toute jeune fille se dédoublait alors : elle observait quelque
chose à côté de moi, sur le mur, mais sa conscience ne glissait pas le long de
ce fil tendu par le regard et restait au contraire au-dedans. Je pensais au
personnage de Sue, dans <i>Sue perdue dans Manhattan</i>. </div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
Il n’était pas vide ce
regard, il était plein au contraire. Certains paysages de l’âme ne sont faits
pour être observés, et se dévoilent à certains avec férocité.</div>
Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com5tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-32833118545718748642016-01-02T22:41:00.000+01:002016-01-02T22:41:40.827+01:00Bonne année 2016 !<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="http://2.bp.blogspot.com/-PGQ1prjAmAo/VohDxRZkkfI/AAAAAAAAAGk/00RfojYxcnA/s1600/Voeux%2B2016.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-PGQ1prjAmAo/VohDxRZkkfI/AAAAAAAAAGk/00RfojYxcnA/s400/Voeux%2B2016.jpg" /></a></div>Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-21711445508270416112015-12-08T23:29:00.003+01:002015-12-08T23:29:58.258+01:00Paris, 11e<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://3.bp.blogspot.com/-15PBp7zmSLY/VmcxHTMBHcI/AAAAAAAAAGU/bxefac9CN6M/s1600/Paris11e.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="http://3.bp.blogspot.com/-15PBp7zmSLY/VmcxHTMBHcI/AAAAAAAAAGU/bxefac9CN6M/s320/Paris11e.jpg" width="240" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
Je suis parti de chez moi un peu tard – ce qui est fréquent lorsque le rendez-vous est à moins d’un kilomètre à pied. J’avais cette fois comme excuse d’avoir voulu rechercher le numéro de rue de R. et ses codes dans de vieux sms pour ne pas l’emmerder une fois encore. Et puis il me fallait aussi faire une halte pour acheter du vin et des confiseries.</div>
<div style="text-align: justify;">
J’ai commencé à descendre la rue du Chemin vert. J’ai salué le tenancier du bar où je tue le temps lorsque je fais ma lessive. Parfois il m’appelle « tonton », parfois il m’appelle « cousin » (je préfère « cousin », question de coquetterie). Il est dans une galère pas possible à cause du mec qui lui a loué le bar et qui est un escroc sans nom. « L’affaire avance » – il me dit ça à chaque fois –, mais ça pourrait bien se régler un jour en dehors des tribunaux. J’ai bifurqué rue de la Folie-Regnault, au cas où un bus arriverait, qui me ferait gagner quelques minutes tout de même. Mais non. Je suis passé devant le pharmacien si sympa : il a la même voix qu’Étienne Daho, et il est super arrangeant. Rien à voir avec le con de ma rue qui voulait, contre l’avis des cardio, m’imposer un générique pour un des antirejets. J’ai tourné à droite, rue de la Roquette, en me disant que ça faisait un moment que je n’avais pas mis les pieds dans le petit restau de quartier où je vais de temps en temps. La bouffe est tranquille, modeste, et pas chère. Des tajines, des brochettes, des salades. Je trouve incroyablement sexy deux des serveurs.</div>
<div style="text-align: justify;">
J’ai traversé la rue. J’ai continué. Je suis passé devant le restau où je suis retourné, il n’y a pas très longtemps, en compagnie de J. et O. Les très bons classiques de la gastronomie française. J’ai croisé le boulevard Voltaire, j’ai dépassé la rue Godefroy Cavaignac pour acheter, donc, du vin et des confiseries.</div>
<div style="text-align: justify;">
Je suis retourné rue Godefroy Cavaignac. J’ai cru me souvenir du numéro de rue de R., mais non. Je n’ai pas de mémoire pour ces trucs-là. Je peux me rappeler de conversations entières avec les uns et les autres plusieurs années après, la façon dont ils étaient habillés, ce que nous avons mangé, notre place dans la pièce… – mais je suis nul pour les numéros de rue, les noms propres, les codes, les téléphones (quand on me demandait le mien, il m’a fallu pendant des mois, presque une année, prétendre qu’il était nouveau pour me justifier de le chercher dans mon répertoire). Pendant que je farfouillais dans mon téléphone en marmonnant, deux commerçants sur leur pas-de-porte me surveillaient du coin de l’œil. Je suis reparti, le téléphone à la main. J’ai croisé mon voisin du dessous, celui avec lequel nous sommes quelques-uns à partager d’interminables histoires de fuites d’eau. Il tirait un cabas. Je me suis demandé ce qu’il foutait dans le coin, à faire des courses si loin de chez lui. On s’est souhaité une bonne soirée.</div>
<div style="text-align: justify;">
Je suis arrivé bon dernier chez R., mes bouteilles dans le sac, mes chocolats à la main. Étaient déjà là A. et J.-G., J. et G.</div>
<div style="text-align: justify;">
Je me souviens qu’on a parlé du voyage en Inde de G. et R. Je me souviens que certains ont cherché à me provoquer politiquement – on a un certain goût pour les engueulades sans conséquence. J’ai dit en rigolant : « N’insistez pas, je suis trop fatigué pour m’engueuler ! » On a un peu parlé boulot, je crois, et surtout des terres cuites que R. avait rapportées.</div>
<div style="text-align: justify;">
Et puis il y a eu des pétards. Des pétards chinois, a précisé l’un d’entre nous. On s’est quand même levé. A. a dit : « Ce ne sont pas des pétards, c’est une kalachnikov, je connais le bruit. » Alors, on a ouvert la fenêtre. Au bout de la rue, il y avait une voiture en travers et des crépitements lumineux.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ça a duré une éternité. Quelqu’un a dit :« c’est trop long pour être un règlement de compte ». On a eu le temps de questionner nos mémoires de ces lieux familiers pour savoir s’il y avait une synagogue. C’est immonde – je ne sais pas ce que j’éprouve à cette idée, si c’est de la honte ou autre chose – d’en être arrivé à avoir comme premier réflexe, en cas de fusillade, de se demander si des juifs sont visés… « Ça doit être à la Belle Équipe », a dit R.</div>
<div style="text-align: justify;">
Ça s’est arrêté. Puis ça a repris. Une autre éternité.</div>
<div style="text-align: justify;">
Dans la rue, il y avait du monde à la fenêtre. On a entendu des cris qui venaient de là-bas, du bout de la rue. La sidération étouffait un peu ces cris : ce n’étaient pas des hurlements, plutôt une longue plainte.</div>
<div style="text-align: justify;">
Une voiture est passée en trombe, à contre-sens. On s’est dit que c’était peut-être le tireur.</div>
<div style="text-align: justify;">
Une autre éternité. Puis les sirènes.</div>
<div style="text-align: justify;">
On a crié aux gens qui arrivaient dans la rue de se mettre à l’abri, qu’il y avait eu une fusillade. On a allumé la télévision pour mettre une de ces stupides chaînes d’info – un réflexe d’Occidental au XXIe siècle j’imagine. À 21 h 47, j’ai envoyé un sms à D. pour le prévenir – il savait où j’étais – et le rassurer au cas où l’info serait tombée à Berlin. Quelques images très floues, amateurs, et une journaliste en duplex qui parlait d’une fusillade dans le 10e arrondissement et qui renonçait à contenir quelques sanglots au moment de décrire ce qu’elle voyait. On s’est tous exclamé en même temps : « Mais non ! C’est dans le 11e, ils racontent n’importe quoi ! » Au bout d’un moment, une autre information est tombée : d’autres fusillades, plusieurs explosions au stade de France. Puis une prise d’otages au Bataclan. On s’est demandé combien d’annonces de ce genre allaient encore défiler avant qu’ils n’en viennent à parler du 11e et de la rue de Charonne, s’il y aurait, comme ça, une énumération sans fin de fusillades et de bombes.</div>
<div style="text-align: justify;">
J’ai téléphoné à L., qui habite dans le 10e et qui n’est pas du genre à rester chez elle un vendredi soir. Elle était en sécurité. J’ai répondu aux sms de ma nièce. On a eu des nouvelles de B., confiné à l’intérieur du stade de France et qui recevait des infos par ses collègues de l’AFP. On a prévenu P. qui était dans une autre salle de spectacle, pour qu’elle ne rentre pas tout de suite chez elle, quasiment en face de là où nous étions. Elle a été prévenir un des videurs de ce qui se passait.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les sms continuaient à arriver. La famille, les amis. Ça fait bizarre lorsqu’un ami new-yorkais vous écrit : « Qu’est-ce qui se passe à Paris ? C’est horrible, les nouvelles commencent à arriver ici » et qu’un autre envoie un mail dans lequel il explique penser à ses amis français. Je pense que c’est à ce moment que la ligne du temps a commencé à se distordre.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
En 1995, je me souviens qu’avec C., on faisait les clowns quand on entrait dans le métro parisien, surjouant la vigilance. Je revois encore le visage d’une femme d’une cinquantaine d’années qui avait éclaté de rire lorsque nous nous étions annoncés : « Brigade de contrôle des strapontins ! » Il fallait bien ça.</div>
<div style="text-align: justify;">
Car c’était le grand n’importe quoi déjà – Chirac sommé de se convertir à l’Islam.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les écoliers juifs visés, déjà – soi-disant au nom, donc, de la guerre civile algérienne qui allait coûter quant à elle la vie à des dizaines de milliers de civils.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les innombrables alertes à la bombe dans le métro, les amphis évacués, les magasins évacués, les rues évacuées, les militaires à cran dans les gares, le plan Vigipirate qui ne nous a jamais quittés depuis. Il me semble qu’à Paris, c’est à cette époque que l’on a ôté les poubelles « historiques ».</div>
<div style="text-align: justify;">
Le 11 septembre 2001, j’étais chez G., pour écrire un article sur son ordinateur – le mien était en rade. J.-P., qui devait m’apporter un autre papier, avait débarqué, essoufflé, et m’avait à moitié engueulé : « Quoi ? T’es pas au courant ? Allume la télé ! » Nous étions restés sidérés devant les images des avions entrant dans les tours, qui passaient en boucle, inlassablement. La gueule des grands jours de drame de Pujadas qui nous annonçait que l’Histoire – un peu vite enterrée par certains après l’effondrement du bloc soviétique – prenait un nouveau tournant et redémarrait sur les chapeaux de roue.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les gens qui se jetaient dans le vide. La seconde tour qui s’effondrait sous nos yeux. La gueule d’abruti de Bush dans la classe alors qu’un type lui annonçait à l’oreille la tragédie. Dès le lendemain, les journalistes qui parlaient du « 11-septembre » comme d’un nouveau marqueur temporel – ce qu’il fut en effet –, moi qui partais pour ma séance de chimio, un marqueur temporel plus personnel. Les cancéreux silencieux dans la pièce avec leur perf’ dans le bras ou dans le cathéter.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
J’ai dû repenser à tout cela. J’ai demandé à R. de l’alcool un peu fort. J’ai trouvé que sa vodka manquait de goût, j’ai cru qu’elle était éventée. J’ai fait la seule chose raisonnable : j’ai vidé la moitié de la bouteille pendant que, sur nos écrans de télévision et de téléphone, le nombre de cadavres gouttait, pendant que nos amis se signalaient les uns après les autres.</div>
<div style="text-align: justify;">
Vers trois heures du matin, on s’est quitté. A. et J.-G. sont rentrés en scooter dans le 4e, je suis parti en titubant pas mal. Il n’y avait personne dans les rues. J’ai dégueulé en face de chez le pharmacien, mais sur l’autre trottoir – j’ai fait l’effort de traverser la rue, question de respect. Arrivé chez moi, je me suis allongé sur mon lit et j’ai sombré.</div>
<div style="text-align: justify;">
J’ai été malade tout le samedi – l’alcool, c’est plus trop mon truc, et puis mon foie trouvait largement secours auprès des infos.</div>
<div style="text-align: justify;">
Quelqu’un à la radio ou à la télévision a dit : « après les attentats de janvier visant des caricaturistes et des juifs, ce sont des citoyens ordinaires qui ont été visés ». Ça m’a fait penser aux « Français innocents » de Raymond Barre à la suite de l’attentat de la rue Copernic. J’ai songé aux quatre victimes de l’école juive toulousaine, aux enfants poursuivis, abattus à bout portant par un connard encore adulé par de jeunes crétins sur lesquels on pourrait sans doute verser des tombereaux de manuels scolaires, de surveillants, d’éducateurs, de terrains de foot sans parvenir à réparer ou consolider leur structure psychique déglinguée. J’ai pensé à madame Ibn Ziaten et à sa peine. J’ai pensé aux élections régionales et à ce qui nous attendait. J’ai pensé à tous les discours binaires et autant de slogans qu’il nous faudrait supporter, sur tous nos bords. J’ai pensé à tous ceux qui – pour autant sans DeLorean – allaient nous expliquer qu’il ne fallait pas, qu’il n’aurait pas fallu, sans rien pouvoir dire du présent ni de l’avenir. J’ai pensé aux survivants. J’ai pensé aux réfugiés et aux demandeurs d’asile en me disant « ça y est, on a perdu, c’est fini ». J’ai pensé aux votes de ma famille. J’ai pensé aux complotistes. J’ai pensé à tous les livres qu’il me faudrait lire pour maintenir le réel à flot, pour aborder le monde avec le plus d’angles possible – jusqu’à ce que le carré devienne un pentagone et le pentagone un myriagone. J’ai pensé qu’il n’y avait que cela à faire. J’ai pensé qu’on était des boules sur une moquette verte et que des types venaient de donner un coup qui changerait à tout jamais nos trajectoires. J’ai pensé aux fantasmes eschatologiques de Daesh, à sa volonté de revenir à un temps et à un espace antérieurs et heureux comme une légende dorée. J’ai pensé à leur espoir de précipiter ainsi la fin des temps. J’ai pensé au Maghreb comme à la prochaine région visée par Daesh, et aux amis et connaissances qui y vivent ou qui y ont vécu. J’ai pensé à F. qui a quitté l’Algérie avec ses parents pour échapper aux attentats de la décennie noire et je me suis demandé s’il était très angoissé par cette réactivation. J’ai pensé à M. dont je n’ai plus aucune nouvelle et à l’Égypte.</div>
<div style="text-align: justify;">
D. est rentré de Berlin le soir même. Ça m’a fait du bien. Dans la soirée, il a fait une pointe d’humour ironique qui m’a fait tiquer. Je me suis reconnu dans cette blague et en même temps, j’ai mesuré la distance qui m’en séparait momentanément.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Le dimanche après-midi, après une promenade, D. et moi avons retrouvé la bande du vendredi soir, presque complète, à République.</div>
<div style="text-align: justify;">
Les fleurs, les mots, les bougies, les drapeaux, c’est pas mon truc, mais ce n'est pas bien grave : notre sympathie doit s’étendre bien au-delà de notre petit système symbolique pas moins con que celui d’autrui (en aucun cas méprisable). Alors, ça m’a fait du bien de voir tous les moyens que les Parisiens mettaient en œuvre pour s’aider à affronter cela. Les bougies, les mots, les fleurs, les drapeaux, les visages en larmes ou fermés, formaient des centaines de petites facettes du réel. On est resté un moment à discuter, puis on s’est décidé à raccompagner J.-G. et A. chez eux. On a pris la rue du Temple. J’ai dit à D. que j’avais envie de dîner dehors.</div>
<div style="text-align: justify;">
Arrivés à l’angle de la rue de Montmorency et de la rue du Temple, nous étions en train de parler du portrait-robot et des dernières rumeurs qui circulaient. Et tout à coup, on a vu des gens qui s'enfuyaient depuis la rue des Haudriettes vers la rue Michel le Comte, à cinquante mètres de nous. Une voiture qui venait de là-bas a remonté à toute vitesse la rue du Temple, dans notre direction.</div>
<div style="text-align: justify;">
Plus tard dans la soirée, ces gens qui couraient au loin m’ont fait penser à une attaque de zombies. Voilà, voir des gens se mettre à courir dans la rue, ça m’évoquait des zombies – réflexe confortable d’un type jusque-là très en sécurité.</div>
<div style="text-align: justify;">
J.-G. m’a attrapé par le col et m’a jeté dans un renfoncement du mur où plusieurs personnes venaient de se masser. Une femme s’est mise à hurler à sa fenêtre : « Mettez-vous à l’abri, il y a des coups de feu rue Charlot ! ». On a détalé comme des petits lapins rue de Montmorency, mais la femme a recommencé : « Mettez-vous à l’abri, je vous en supplie, ça tire dans le Marais. » Et elle a crié son code. Alors on a fait demi-tour : la porte de son immeuble était maintenue ouverte par l’un des passants qui venait d’y pénétrer.</div>
<div style="text-align: justify;">
On devait être une grosse dizaine à l’abri chez elle, mais D. et R. n’étaient pas avec nous. Mon cœur a commencé à battre très fort. On s’est dit qu’ils avaient dû continuer à courir rue de Montmorency. A. a essayé de joindre R., sans succès. J’ai envoyé un sms, puis j’ai appelé D. en espérant que son putain de téléphone préhistorique déchargé en permanence fonctionne encore. Il était en sécurité chez un jeune couple encore empêtré dans ses cartons. « Il y a une petite fille qui n’arrête pas de pleurer », m’a-t-il dit tristement. J’ai jeté un œil à celle qui était dans la pièce. Elle était très rouge, mais ça avait l’air d’aller. Un hélicoptère tournait au-dessus de nos têtes. La télé était allumée, qui montrait la place de la République soudainement vidée de toute la population. Quelqu’un a dit : « Mon Dieu, il y a des corps ». J’étais assez calme, j’ai regardé de plus près la télé, c’étaient des sacs. </div>
<div style="text-align: justify;">
Je n’arrêtais pas de penser à D. J’avais envie d’être avec lui, je me répétais qu'il était affreux d'être aussi rapidement et aussi simplement séparé de quelqu'un dans les situations d'urgence – bêtement, je n'avais pas douté qu'il me suivait –, mais j’affichais autant de calme que je pouvais. Question d’orgueil, je crois. J’ai hésité à ressortir pour le rejoindre, mais la femme qui nous avait accueillis chez elle n’arrêtait pas de parler : elle avait eu sa fille au téléphone, qui se trouvait dans le Marais, là d’où des coups de feu s’étaient fait entendre. Des flics patrouillaient l'arme au poing disait-elle. En fait, elle répétait inlassablement la même chose, et puis, de temps à autre, elle s’interrompait pour aller crier aux passants de se mettre à l’abri.</div>
<div style="text-align: justify;">
Finalement, un flic est passé en scooter. Il nous a dit que c’était un mouvement de panique, qu’il n’y avait aucun danger. La télé disait à présent la même chose. J’ai envoyé un sms à D. pour lui donner rendez-vous en bas de l’immeuble où il s’était réfugié. J’ai fait la bise à la femme machinalement, comme si je la connaissais depuis des mois, et nous sommes partis à la recherche de R.</div>
<div style="text-align: justify;">
On a fini par le retrouver. Il avait couru sur près de deux cent mètres sans même se rendre compte de l’itinéraire suivi. Je ne voulais plus dîner dehors. On a raccompagné A. et J.-G. chez eux. On a repris nos esprits, on a bu un verre. On a rigolé en pensant que deux heures plus tôt, nous étions à côté d'une banderole qui clamait « Même pas peur ! ». On s'est dit qu'on allait se mettre au cardio-training. Puis nous sommes rentrés tous les trois en métro, des calculs de risque plein la tête...</div>Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-32228740529747353202015-01-01T17:05:00.003+01:002015-01-01T17:06:14.448+01:00Bonne année 2015 !<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-B-wyBmP3vyI/VKVwKT5oi9I/AAAAAAAAAFY/ncRlp8CXOig/s1600/Carte%2Bde%2Bvoeux%2B2015.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-B-wyBmP3vyI/VKVwKT5oi9I/AAAAAAAAAFY/ncRlp8CXOig/s1600/Carte%2Bde%2Bvoeux%2B2015.jpg" height="320" width="310" /></a></div>
<br />Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com8tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-29313741699501106602014-09-29T16:14:00.000+02:002014-10-27T16:15:29.180+01:00Souvenirs d'Egypte et conséquences<div style="text-align: justify;">
C’est un rêve qui m’a ramené ici, je veux dire : sur ce blog. À cause de la peine à mon éveil, traînée toute la journée. Heureusement, j’avais une note un peu ancienne à publier auparavant, histoire de ne pas avoir trop l’air de revenir ici comme un crypto-dépressif.</div>
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J’ai rêvé de M., de sa femme et de son fils. Ils étaient arrivés à Paris, pour fuir leur pays je crois. À vrai dire, il ne me reste pas grand chose du contenu du rêve ; de leur présence, seulement une impression photographique : M. à gauche, le petit garçon au milieu, et la femme de M. à droite. Pendant ces quelques secondes du réveil, avant que le rêve ne se retire complètement, je suis resté à mon bonheur de le savoir de retour à Paris. En moi, quelque chose bouillonnait, qui me révélait par la même occasion n’avoir jamais disparu sous les couches pourtant nombreuses de déconvenues et d’autres bonheurs actuels ou passés.</div>
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Comment expliquer que je revienne si souvent à lui ? Est-ce parce que l’interruption de cette histoire ne nous appartenait pas tout à fait ? Est-ce parce que cette histoire et sa fin ont en leur temps achevé de fixer ma haine des prescriptions religieuses et que, en retour, l’actualisation de cette haine (j’ai fait ce rêve au surlendemain de la dernière Manif pour tous) me tente de revenir à cette histoire ? Est-ce ma fragilité au moment de son départ ? Ma jeunesse ? L’adriamycine à cette époque reçue à hautes doses et qui aurait de mystérieux effets secondaires, adjuvant d’une fixation sentimentale dans mes influx nerveux ? Vous êtes sans doute trop gentils pour trouver ceci absurde ou pathétique. Je m’en charge.</div>
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Dans mon rêve, son petit garçon avait peut-être quatre ans. L’âge qu’il avait effectivement sur la photo que M. m’avait montrée autrefois, lors d’un précédent retour que j’avais imaginé durable. Je suppose que cet enfant doit en réalité avoir une petite dizaine d’années à présent. Il y a mille ans, allongé à côté de M., j’avais rêvé que nous avions une petite fille. Elle avait sa jolie peau et mes yeux clairs.<br /> </div>
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Mon lieu de travail actuel est à deux pas de l’appartement qu’il occupait à Paris. Je passe devant l’épicerie égyptienne où il venait autrefois apaiser son mal du pays. J’ai eu envie d’entrer dedans et de demander au monsieur s’il se souvenait de M. qui venait là m’acheter du tabac à la pomme, de faux papyrus ou des boissons égyptiennes.</div>
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Il n’y a qu’une personne à qui je voulais téléphoner pour raconter ce rêve, c’était Juliette, et elle est morte depuis trois ans.</div>
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Je ne sais pas si mes pages sont plus lourdes à tourner que celles des autres. Je ne pense pas être complaisant. Je ne parle de tout cela qu’ici, vous savez.</div>
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Deux jours avant ce rêve, j’avais vu sa mère chez des amis communs. Je lui avais demandé comment ça allait. Elle m’avait répondu que les choses n’avaient pas été simples dernièrement. Je ne lui avais pas posé de questions, et je m’en étais voulu, mais j’ai souvent envie de pleurer quand je pense à Juliette, alors quand je parle d’elle avec sa mère, vous imaginez les difficultés que j’ai à me contenir...</div>
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Juliette savait comme j’avais eu du mal à me dépêtrer de cette histoire. Je savais comme elle avait eu du mal à démêler certaines des siennes. J’ai d’autres amis, conservés de cette époque, mais elle est la seule qui n’aurait pas soupiré intérieurement en pensant « Nous y revoilà ». Elle ne m’aurait pas posé les mauvaises questions (« Mais attends, c’est bien lui qui… ? C’est bien avec lui que… ?). Elle se serait souvenu de tout et aurait tout affronté. Elle aurait pris nos souvenirs à bras-le-corps, la tristesse et les déconvenues ; nous en aurions parlé sans crainte de voir s’effondrer les mesquines convenances sociales que nous autres adultes élaborons, y compris (surtout ?) entre amis. Il y aurait eu des silences entendus aussi.</div>
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<br /> Et puis on aurait tenté de sublimer tout cela. Autrefois, nous avions trouvé au fond d’une bouteille de Gewurtz’ des similitudes entre cette histoire et le Ravissement de Lol V. Stein. Je ne sais plus pourquoi (l’inachevé ?), mais Juliette s’en serait souvenu ou bien nous aurait resservi un verre pour réinventer nos mythes.</div>
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Elle m’aurait lu quelques haïkus pour finir. Elle m’aurait demandé où j’en étais de l’écriture des <em>Menteurs</em>.</div>
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Alors je viens là, parce qu’elle y venait aussi, et peut-être parce qu’écrire tout cela, ici, est peut-être ce qui m’approche le plus d’un écho de Juliette et de notre amitié qui devait survivre à tout.</div>
Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-86048157493135598272014-09-10T19:25:00.000+02:002014-10-08T19:30:38.549+02:00Condensation<div style="text-align: justify;">
À Marseille, alors que nous étions sur l’une des passerelles du Mucem, une bourrasque de vent a arraché ma casquette et l’a jetée au sol, une vingtaine de mètres plus bas, dans un espace inaccessible. J’aimais bien cette casquette d’un brun lointainement rouge, sans aucune marque visible, sobre. Je ne sais plus où je l’avais achetée. Quoi qu’il en soit, ce n’était pas bien grave et j’en ai trouvé une autre à Bastia, d’une couleur semblable, cette fois avec une inscription à la gloire de l’identité corse – mais assez discrète toutefois.<br />
Quelques heures plus tard, j’entrais dans l’appartement de mon père à Saint-Florent, où je n’avais jamais mis les pieds. Et où il n’est pas.<br />
Les rapports que j’entretiens avec lui sont à la fois très simples et très complexes. Ils ont cessé d’être un peu amers le jour où j’ai décidé que j’en avais passé l’âge. Lui a fait un certain chemin également, un peu étrange, qui l'a conduit à me considérer (c’est évidemment l’impression que j’ai) comme plus petit que je ne le serai jamais, que je ne l’ai été, à cause de la maladie et de la mort qui rôdent autour de moi d’une certaine façon depuis des années : il s’intéresse à présent à ma santé comme il ne s’est jamais intéressé à moi lorsque j’étais enfant. Et en même temps, à la manière dont il me confie ses peines de cœur, ses aspirations, les problèmes qu’il a avec sa nouvelle amie ou avec ses beaux-enfants, j’ai souvent l’impression d’être un copain de régiment.<br />
<br />
J’aime bien mon père. Je l’aime beaucoup même. Bien sûr, il sait m’agacer comme personne avec ses histoires d’ordinateurs sempiternellement en panne sans qu’il ait – évidemment – touché à quoi que ce soit. Il me fait de la peine aussi, dans ces moments-là, parce que je le vois vieillir et s’en agacer.<br />
<br />
Quand j’étais enfant, il était souvent absent toute la semaine – et même parfois le week-end – à cause de son travail, mais un peu à cause de ses maîtresses aussi comme je l’ai découvert plus tard. Je crois me souvenir – mais je me méfie, ce doit être un souvenir que j’ai créé <em>a posteriori</em> – de cette époque où, très petit, avant le plein sentiment de continuité du temps et des choses, je m’interrogeais sur cet homme qui était parfois là, sans complètement réaliser qu’il s’agissait de mon père.</div>
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Fin août, avant que D. et moi n’arrivions dans cet appartement de mon père, les lieux étaient occupés par ma sœur et sa famille venus passer quelques jours au bord de la mer après un périple dans toute la Corse. Mon père n’y était pas davantage. Ma sœur a, elle aussi, toujours eu des rapports à notre père à la fois très simples et très complexes. Mais les stratégies que ma sœur a fini par développer (à l’égard de nos deux parents) sont sensiblement différentes. Nos distances, nos froideurs, à elle et à moi, ne sont pas de même nature. Elle semble avoir atteint un degré d’indifférence que je suis quant à moi souvent encore contraint de feindre (le feindre, c'est déjà une certaine façon de lutter contre l'explosion de rage). Pendant longtemps, j’ai cru que ma sœur possédait une espèce d’arme qu’elle activait à volonté. "Je ne sais pas pourquoi elle est froide comme ça", disait mon père. "Oh, tu sais, c'est difficile de parler avec ta sœur", disait ma mère. Je l'enviais beaucoup, pour cette arme, bien sûr, mais aussi parce qu'elle avait obtenu une espèce de renoncement de nos parents : ils n'insistaient plus. Je crois maintenant qu’il s’agit d’un mécanisme profond et sur lequel elle n’a pas prise.</div>
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<br />
Notre écart d'âge - quinze ans - est trop important pour que je sache quoi que ce soit de son enfance, de sa solitude d’alors, et je n’ai même que de très lointains souvenirs de sa vie sortie de l’adolescence. Entre nous deux, il y a eu une grossesse de notre mère qui n’a pas abouti. Aurais-je été là ?</div>
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Ma sœur est ce qui a obligé notre père à se marier, et moi ce qui l’a empêché de divorcer, comme il me l’a expliqué un jour, au comble du désarroi, alors qu’il me confessait tout de ses amours adultérins, de son envie de se tirer devenue incontrôlable. J’avais alors 16 ans, j'avais un air mauvais en dedans, j’avais mis tout cela en bandoulière à la façon dont les adolescents conservent les griefs à l’égard de leurs parents pour en disposer le moment venu. Avec le temps, tout cela est devenu une espèce de blague. D’ailleurs, j’ai un jour dit à ma sœur que je m’attendais à voir un jour débarquer des demi-frères et sœurs. Ça nous a fait rire, parce qu’on est tombé d’accord pour trouver l’idée plaisante. Elle avait eu la même.</div>
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Quand j’étais petit, j’étais très proche de ma sœur qui était d’ailleurs la seule à me trouver des activités un peu amusantes à faire – du moins tant qu’elle vécut avec nous. Elle est partie à 19 ans de la maison (j'allais faire de même), mais dès qu'elle venait nous voir, elle jouait avec moi, me trimballait au cinéma ou à la base nautique en compagnie de ses amis. Et lorsque ma mère hurlait pour que je range ma chambre, elle m’accompagnait et m’y aidait – et elle finissait toute seule lorsque je trouvais un jouet dans un coin et que je lâchais prise.<br />
<br />
<br />
Je devais avoir sept ans. Nous étions en Ardèche, ma sœur, son petit ami et moi dans le même canoë. Les parents plus loin devant, ou derrière. J’étais entre eux deux, mon gilet de sauvetage orange sur le dos, mon tee-shirt Snoopy en dessous. Ma sœur et son copain étaient épuisés, parce que le vent s’était levé contre nous et que ramer était devenu une corvée après toute une journée passée là. Une bourrasque avait soudain arraché le bob que je m’étais vissé sur la tête et il était tombé à la surface de l’eau, une dizaine de mètres en amont. J’avais crié : « Mon bob ! » Ma sœur, sentant bien la menace – devoir faire demi-tour et aller chercher le maudit bob –, énervée aussi, à cause de la fatigue, de son envie d’en finir, avait rétorqué sèchement qu’on m’en achèterait un autre à la première occasion. Mais j’avais surenchéri, car face à leur effort dont je n’avais pas la moindre idée, s’érigeait une considération impossible à négocier. « Nan ! C’est mémé qui me l’a offert ! » Et c’était mémé, en effet, qui me l’avait offert, un mois plus tôt, lors de nos vacances bretonnes. Ma sœur avait soufflé, avait pesté (elle m'en parle encore à l'occasion), mais elle avait cédé. Nous avions fait demi-tour pour récupérer le bob « Saint-Malo », non sans mal.</div>
Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com7tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-18480355816030819032014-06-10T19:14:00.001+02:002014-06-10T19:14:17.155+02:00Je vais bien...<div style="text-align: justify;">
... mais je manque de temps.</div>
<div style="text-align: justify;">
J'aurais aimé mettre ici de nouveaux petits textes un peu oniriques - ce d'autant que je bosse (très mollement) à l'idée d'un recueil de textes se passant dans les marges de la Guerre - , mais je ne sais pas... l'inspiration fait un peu défaut, c'est vrai, de même que le temps.</div>
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Mais je vais bien, hein !</div>
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D'ailleurs, des examens médicaux très poussés, avec hospitalisation, courant mai, pour fêter les trois ans de la greffe (échocardiographie, biopsie, électrocardiogramme, monitoring nocturne, coronarographie, de quoi saigner un peu plus l'APHP aux quatre veines) ont montré que tout allait bien : j'ai de (fines) artères de jeune homme. Je suis définitivement le type en bonne santé, le teint éternellement rose auquel il arrive toujours des merdes médicales pas possible ! Mais tout de même, consolons-nous, j'ai un peu morflé, peut-être à cause de l'iode, peut-être à cause de l'odeur de l'hôpital, devenue insupportable, peut-être parce que j'étais là, à attendre, avec mes souvenirs organiques et épidermiques... Mais ça va.</div>
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<br /></div>
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Je manque de temps parce que le travail m'épuise - non qu'il soit épuisant - mais parce que la "valeur travail", hé ho hein bon... Pfff. Je l'ai laissée s'éventer. Mais rassurez-vous, mon surmoi autoritaire veille au grain : je travaille, donc, et plutôt consciencieusement d'ailleurs. Vous pouvez me faire confiance et ne pas regretter tout l'argent prélevé sur vos fiches de paie pour me rafistoler. </div>
<div style="text-align: justify;">
Mais quand même, j'ai l'impression qu'on dépense beaucoup d'énergie pour pas grand-chose. </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Et puis surtout, je m'investis de plus en plus pour une association qui me tient à cœur, et que j'ai déjà évoquée <a href="http://les-errants.blogspot.fr/2013/11/le-temps-du-vertige-nest-pas-eternel.html" target="_blank">ici</a>. J'y consacre pas mal de temps ces semaines-ci... Et le blog en pâtit, c'est certain. Mais je suis là, et je vous lis du mieux que je peux. Ce blog n'est pas abandonné, il n'est pas à l'abandon, et je n'annonce pas en douce sa fermeture.</div>
<br />Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com8tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-31472627617395864732014-01-16T23:41:00.004+01:002014-01-16T23:41:46.836+01:00L'ascension de la colline<object data="https://sites.google.com/site/leserrants/stock/dewplayer.swf" height="20" id="dewplayer" name="dewplayer" type="application/x-shockwave-flash" width="220">
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<div style="text-align: justify;">
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://3.bp.blogspot.com/-458U8m_1heo/UthfWVXLw_I/AAAAAAAAADk/t-4-LLdpTok/s1600/Prairie.png" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-458U8m_1heo/UthfWVXLw_I/AAAAAAAAADk/t-4-LLdpTok/s1600/Prairie.png" /></a></div>
</div>
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Ce fut comme une envie irrépressible, l'idée inaccessible à sa conscience d'un sauvetage pour échapper à la réalité. Au hasard de ses errements, sa pensée affolée s'était en effet égarée un instant dans ces lieux reculés où vit l'autrefois des bonheurs infinis et de l'émerveillement ; une envie revenue des temps où le temps lui-même se pensait prisonnier d'une gangue incassable. L'enfance. <br />
<br />
Alors le docteur sortit de chez lui sans fermer la porte et il ne se retourna pas lorsque la bonne l'interpela pour lui demander s'il serait rentré pour l'heure du dîner, soit qu'il ne l'entendît déjà plus, soit qu'il fût trop bouleversé et ne voulût pas se faire démasquer. Elle haussa les épaules, ramassa la lettre tombée à terre près du fauteuil où le docteur aimait à se détendre, et elle l'observa longuement, un peu interloquée, tandis qu'il entamait l'ascension de la petite colline. Ce genre de fantaisies n'était pas dans ses habitudes mais enfin... <br />
<br />
Il chercha un peu, mais ne retrouva pas, le sentier serpentant qu'il se figurait être une route, du temps qu'il était petit. Alors il monta tout droit, car la pente était moins raide que dans son souvenir, et heureux malgré tout de sentir que ses jambes, ses poumons et son cœur, toute la machinerie déjà vieillissante de son corps, ne l'abandonnaient pas. <br />
<br />
Il aima retrouver la sensation de ses pieds foulant les herbes hautes du pâturage, s'enfonçant même par endroits dans un moelleux tapis de verdure ; et c'était bon de sentir sur la peau ce soleil de printemps presque à son zénith (au pied de la colline, la bonne protégeait ses yeux de la lumière avec sa main et surveillait la progression du jeune docteur en se demandant quelle mouche avait pu le piquer). <br />
<br />
Pendant une petite poignée de temps, à peine un battement de cœur ou de paupière, le docteur éprouva même une forme de bien-être comme s'il venait de s'éveiller vierge de toute douleur, tout à ce bonheur éphémère de la première seconde d'éveil. Mais presque aussitôt la tristesse retrouva le chemin de sa trachée et la serra puissamment. C'était une tristesse épaisse et forte, faite de réalité incorruptible, de passé perdu, de regrets et d'hébétude noire. Portant secours à l'âme abimée du docteur, cherchant à distraire son attention, son corps lui dit cette fois qu'il avait soif, et que seule devait compter cette sensation. Et en effet, s'éloignèrent un peu les souvenirs, la lettre et le visage de Tomáš. Ils n'étaient guère que dans les coulisses, bien sûr, tout prêts à revenir, mais le docteur put à nouveau déglutir. Il s'assit pour se désaltérer près du petit torrent qui descendait mollement la pente. Il but quelques gorgées – cette eau n'avait pas son pareil pour vous rafraichir, répétait son grand-père qui le couvait d'un regard doux. <br />
<br />
Le docteur abandonna sa veste. Il avait chaud et se sentait bien trop démuni pour ne pas écouter les exigences de son corps, puis il reprit son ascension. Ainsi quitta-t-il la bonne société des hommes. <br />
<br />
Plus haut, à mi-chemin du sommet, il dénoua sa cravate, la froissa et la roula, puis il la lança dans les branchages d'un arbre autour duquel sa sœur, ses frères et lui avaient tant couru. D'ailleurs, à bien y regarder, la terre était encore tassée là où leurs pieds l'avaient tant de fois foulée. Quelles choses curieuses et tragiques que le temps et la mémoire... Il ôta sa chemise blanche dans un geste rageur, son bras gauche s'étant coincé dans la manche ; il la jeta à terre et la foula du pied en grimaçant de satisfaction. Enfin, il déboutonna son sous-pull et il éprouva alors un léger trouble : le torse orgueilleusement arcbouté contre le vent léger et le ciel était celui de son adolescence, il en était presque certain. <br />
<br />
Il se retourna, pour contempler la vallée s'étiolant dans ses tendres velours verts et bruns, mais aussi pour s'assurer que demeuraient inviolés les contreforts séparant ces quelques villages encore paisibles du reste du monde, là où les hommes s'entretuaient. Si le docteur n'avait pas vu de ses propres yeux les cadavres empilés dans les carrioles, s'il n'avait pas passé des mois à soigner les blessés, du mieux qu'il le pouvait, avec pour consigne de ne pas s'attarder auprès de ceux qui, de toute façon, ne seraient plus jamais en état de combattre, s'il ne savait pas tout ce qu'il savait, il aurait pu aisément croire à la paix et à la douceur de la création. <br />
<br />
Un oiseau plongea du ciel pour attraper un insecte et reprit son vol. <br />
<br />
Comment se pouvait-il qu'un Dieu tolérât le chaos de ce monde ? Cette guerre qui durait depuis toutes ces années... Ces jeunes gens de tous les camps qui mourraient par milliers sans même plus assez de force d'ailleurs pour entretenir la haine inculquée par leurs maîtres, ceux qui revenaient défigurés ou amputés... Tomáš... Comment se pouvait-il que Dieu, ce Dieu autrefois si impatient, qui se mêlait de tout dans les livres anciens, qui avait détruit tous les mondes, qui les avait tous rebâtis, ne fit rien cette fois alors même que c'était en Son Nom que l'on se battait ? Pourquoi ne venait-il en aide de personne pour séparer définitivement les vainqueurs des vaincus ? Pourquoi ne sauvait-il pas même les innocents ? Bien sûr le pasteur aurait la réponse à tout cela et à tout le reste... Il serait question de mystères insondables, de divin silence, de responsabilité, de dangereux orgueil, de relativisme des anciennes écritures, de la Faute. Mais tout de même... Et si Dieu s'était désintéressé de Sa créature, à quoi bon le convoquer encore ? Le docteur tomba à genoux, il fut pris d’abord d'un tremblement puis eut un bref sanglot, la supplique de son corps pour que cesse le déferlement d'émotions qui tempêtaient dans sa tête. <br />
<br />
Alors le docteur prit une grande inspiration pour emplir ses poumons de cet air éternel fredonné et éparpillé par les arbres alentour, et il ferma les yeux, emportant avec lui la cartographie du ciel, de gros nuages qui dessinaient des milliers de formes extraordinaires abandonnées aux enfants et aux poètes – les uns et les autres avaient presque entièrement disparu ces dernières années. Il emporta la lumière, orange au prisme de ses paupières, en dépit de la douleur que cela lui causait : il avait trop vu d'incendies pour aimer encore cette couleur. Il emporta la brise qui lui caressait le visage et le torse. Il emporta les odeurs retrouvées dans ce paysage qui ignorait tout de la sauvagerie et redécouvrit même, pour les y ranger, les petites boîtes de bois tendre où il conservait encore le parfum de sa mère, les chèvrefeuilles du jardin, les tartes aux fruits – tout ce dont il aurait besoin pour couvrir les effluves métalliques du sang. Il emporta les oiseaux du ciel, les rongeurs invisibles, craintifs et curieux, qui furetaient dans ses traces, et les milliards d'insectes qui labouraient la terre, et qui la laboureraient encore même sans plus aucun homme vivant. <br />
<br />
Dans sa somnolence, le docteur vit une image lentement revenir du passé : à l'université, le vieux professeur S., tout rabougri sur son estrade, esquissait sur le tableau noir, de sa main tremblante, les premiers embranchements de l'évolution. Et Tomáš, deux rangées plus bas, se retournait pour lui adresser un sourire magnifique, un sourire qui avait jeté dans l'ombre le reste du monde, un sourire qui l'avait tant ravagé que, cette fois, il n'avait pu davantage ignorer les désirs profonds de son ami, pas plus qu'il n'avait pu écarter les siens, tous ces désirs qui s'étaient croisés et enlacés, virevoltant sous la coupole bleue et jaune de l'amphithéâtre. Dans sa rêverie, le docteur eut un léger sourire, ému que cet instant ait été conservé comme une relique, heureux et désespéré tout à fois que le visage de Tomáš soit comme emmuré dans sa mémoire... alors même qu'il mêlait à présent ses entrailles à une terre inconnue. En dépit de toute la souffrance que cela suscitait, le docteur ne put s'empêcher d'imaginer le beau visage de celui qu'il n'avait jamais osé aimer, couché dans la terre, les yeux ouverts, emportant avec lui pour toute image une dernière scène de ce chaos. <br />
<br />
Il était beau pourtant ce monde, et patient, qui avait mis tout ce temps à naître du néant, à étendre la vie si précieuse dans toutes les anfractuosités de l'évolution. En contrepoint, le scandale humain et son gâchis extraordinaire étaient plus éclatants encore, et plus stupide ce qui l'animait. <br />
<br />
Une lézarde courrait à la surface autrefois lisse de l'âme du docteur, depuis qu'il avait reçu la lettre de la mère de Tomáš annonçant au meilleur ami la mort de son fils. C'était une lézarde qui hésitait à suivre bien des voies, qui aurait pu tout à la fois le conduire lui-même à la mort ou à la vengeance aveugle – l’empoisonnement d’un puits, la trahison d’une armée –, une lézarde qui le mena à cet instant à la colère. Car il voulut soudain être roi, ne serait-ce que pour ordonner l'exécution de ceux qui les avaient livrés à l'appétit du monstre, tous ces croyants qu'il voulait à présent voir à genoux, souillés par la honte et le désespoir, la face enfoncée dans les plaies béantes, le regard plongé dans celui de la mort et... <br />
<br />
Le docteur perçut nettement le craquement de son âme, un bruit terrible et mat, de ceux qui, en montagne, arrachent les gens à leurs tâches, à leurs travaux et les jettent à leur fenêtre, terrifiés de découvrir quel versant est précipité dans la vallée. En un instant, sa foi, celle que lui avaient inculquée le pasteur, ses parents, les parents de ses parents, tous les hommes et les femmes de la vallée, avait disparu. <br />
<br />
<br />
<br />
Le docteur arriva au sommet de la colline et s'allongea dans l'herbe. Sous l'effet de la fraicheur, sa peau se contracta, ainsi que sa mémoire la plus récente. Les centaines de corps, les centaines de visages vus ces derniers jours, les yeux grand ouverts, tous fantômes déjà, partirent à regret se réfugier pour échapper à... leur dernier anéantissement peut-être. Seul demeurait le visage de Tomáš qui lui souriait tristement depuis ses souvenirs. Le docteur se mit à pleurer calmement sur son ami qu'il ne reverrait plus – et certainement pas dans un autre monde, lui disait le reliquat de colère pas encore échappé par les larmes –, sur leurs conversations d’autrefois, sur tous ces instants qui n'appartenaient plus qu'au passé, sur tous les instants qui auraient dû advenir. Il pleura aussi de dépit et de rage sur les défilements de son corps, cette trahison à son cœur qu'il ne pourrait jamais racheter. Il pleura sur ses lâchetés à ne pas répondre aux avances répétées de son ami – alors même que lui-même ne rêvait pas d'autre chose que de le prendre dans ses bras et d'écraser dans un soupir ses lèvres sur les siennes. Le docteur se souvenait tous les moments passés seuls, à marcher et à suspendre leur conversation sous la frondaison ou bien aux abords de la rivière, tous ces regards transparents qu'il s'était refusé à voir. <br />
<br />
« Il n'a pas eu le temps d'aimer d'autres que vous et moi », disait la mère de Tomáš dans sa lettre. <br />
<br />
Le docteur, allongé sur le dos, étendit ses bras en croix et attendit que le monde vienne l'étreindre pour le consoler. </div>
Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com21tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-72818856730362001202014-01-01T00:00:00.000+01:002014-01-01T00:00:00.125+01:00Bonne année 2014 !<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-0b-4aBHr9dA/UsMOXCccqDI/AAAAAAAAAAs/lGWX0LUNwjg/s1600/Carte-de-voeux-2014.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="400" src="http://2.bp.blogspot.com/-0b-4aBHr9dA/UsMOXCccqDI/AAAAAAAAAAs/lGWX0LUNwjg/s400/Carte-de-voeux-2014.jpg" width="366" /></a></div>
Christophehttp://www.blogger.com/profile/17294084807877860866noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-87928563728396411452013-12-24T17:03:00.000+01:002014-01-06T10:37:12.504+01:00La victoire de la mémoire<object data="https://sites.google.com/site/leserrants/stock/dewplayer.swf" height="20" id="dewplayer" name="dewplayer" type="application/x-shockwave-flash" width="220">
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<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: justify;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-7I__B84fIKE/Uri-2qBTchI/AAAAAAAAAdM/QNAyhpx9aKA/s1600/Mer.png" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-7I__B84fIKE/Uri-2qBTchI/AAAAAAAAAdM/QNAyhpx9aKA/s1600/Mer.png" /></a>Le jeune homme était sur le quai. Avec tous les autres, il suivait des yeux les gestes des hommes qui détachaient les amarres du bateau sur le point d’emporter au loin marins et explorateurs. « Sans doute pour toujours... », répétaient inlassablement les vieux.</div>
<div style="text-align: justify;">
Bien des visages étaient pâles, les autres étaient de toute façon penchés sur les tristesses rentrées en dedans ; et tous craignaient le moment où les liens qui les unissaient à leurs proches embarqués seraient arrachés par le navire s'éloignant. <br />
Pourtant, dans le regard du jeune homme chatoyait une force inconnue et belle, qu'une femme, postée tout près de lui, prit pour de l'orgueil. Mais ce n'était pas cela, non. Simplement, il savait – c'était pour lui une évidence béate, une certitude qui rendait bien des choses supportables – que s'il restait arc-bouté et immobile pendant tout le temps qu'offrait le monde, pendant tout le temps caché, pendant tout le temps perdu... alors les temps abdiqueraient. Ainsi, il contraindrait le présent. <br />
Un vieux lui lança un regard mauvais, cherchant dans la physionomie du jeune homme les traces à venir du renoncement. Il n'en trouva pas, mais il ricana tout de même, assez fort pour être entendu, car il était pour lui évident que, tapie dans la tête de ce petit arrogant comme dans toutes les têtes, la résignation était toute prête à éclater.<br />
Pour l'heure, le jeune homme triomphait : la mer était d'un calme heureux. Aucun vent n'accompagnait le navire, lequel s'éloignait de fait si imperceptiblement qu'on aurait pu le croire immobile. Tout concentré qu'il était, le jeune homme prit un moment pour remercier sincèrement les dieux du vent et de la mer pour leur complicité ; il leur adressa même un poème improvisé qui ressemblait à une de ces chansons d'autrefois. Il était question de soirées éternelles, de parfums tièdes, d'épaules brunes sur lesquelles les têtes s’endorment et de divinités souriantes qui restent là, à les veiller tous les deux avec bienveillance. Le jeune homme leur promit les belles offrandes du ciel et de la mer. Pourvu qu'ils le protègent. Qu'ils protègent son compagnon de la fin du monde.<br />
<br />
Mais la nuit finit par monter peu à peu en poussière des entrailles de la terre, et sa brume se déposa sur la voûte du ciel, ne laissant guère encore apparaître que de minuscules points lumineux qui scintillaient avec beaucoup de peine. Puis à son tour, le vent s'échappa des grottes, du creux de la terre, là où des milliers de petites créatures argentées, sans âge, plus vieilles que les dieux eux-mêmes, et qu'aucune prière ne peut jamais contraindre, jouent, et crient, et courent à perdre haleine quand l'envie leur en prend.<br />
Alors le navire disparut finalement de l'horizon, sans plus d'ombre et sans reflet, sans plus d'existence peut-être que s'il n'était qu'un... Le jeune homme retint le mot, mais il mesura l'importance de la lutte qu'il lui fallait livrer et il prit peur. Il concentra dès lors toutes ses forces autour de sa tristesse qui était infiniment plus vraie que tout ce qu'il avait éprouvé jusqu'alors, qui était plus vraie que le monde même, qui était plus violente que tout le temps, qui serait un présent éternel. <br />
Mais autour de lui, les uns et les autres échouaient. Des pères posaient leurs mains ridées sur les bras des femmes qui, pour certaines, s'autorisaient alors à pleurer. Sans se concerter, les hommes prirent les mères et les filles par la main et tous rentrèrent chez eux dans un silence qui pesait un poids infini sur les épaules.<br />
On l'avait dit au jeune homme : un jour, sa peine elle-même ne serait plus qu'un... souvenir, son bonheur ne serait plus qu'une mémoire, et il devrait se montrer reconnaissant, au moins, de pouvoir encore contempler tous ces petits morceaux du passé au moment des premiers frimas de la vieillesse. On lui avait répété que la sincérité ne pouvait contraindre le temps, que la mer et ses divinités mourantes mentaient, que l'océan étale était une allégorie cruelle, que la vérité du temps était celle des rivières que rien ne retient jamais. Quelques jours auparavant, une très vieille femme avait même comparé le présent à un cadavre titubant. Le jeune homme l'avait fixée et avait vu, dans le blanc de ses yeux, fichés tous les éclats de peines passées, aussi n'avait-il rien répondu, se concentrant plutôt sur la pression qu'exerçait la main de son compagnon sur son bras pour qu’il s’apaise.<br />
<br />
« Quelle stupidité que ce monde ! », hurla soudain une jeune femme encore présente. Et elle se tut aussitôt, stupéfaite de sa propre colère, et un peu effrayée aussi par sa révolte.<br />
Derrière le jeune homme, deux vieux commencèrent à deviser sur la tragédie des départs, et sur le temps et les distances, ces maléfices lancés autrefois par des dieux qu'on n'avait jamais su apaiser depuis. « Un de mes fils est sur ce bateau ». « Moi, c'est mon plus jeune frère ».<br />
Le jeune homme restait silencieux, mais ses forces déclinèrent rapidement. Bientôt, en effet, des morceaux éclatés de son amant apparurent à l'intérieur de lui : des boucles sur le front, son regard en train de rire, ses lèvres lorsqu'il souriait, une moue qu'il faisait lorsqu'il se croyait seul. Puis ces éclats s'évanouirent. Le jeune homme les rappela à lui, et ils revinrent un instant avant de disparaître encore. Les souvenirs... Les souvenirs étaient là et le présent avait fui sans qu'il puisse le retenir. Il sortit alors soudain de sa torpeur. Il avait froid, il avait mal. Il s'allongea sur le sol et ramassa ses membres autant qu'il le put pour se mettre encore un peu à l'abri.<br />
<br />
Derrière lui, les deux vieux n'avaient pas cessé de parler. Ils évoquaient ce qui attendait les voyageurs au terme de leur périple, aux limites de notre étrange monde en forme de disque : y avait-il les monstres marins dont les récits faisaient une description précise bien que personne jusqu'alors n'en soit revenu ? S'agissait-il de bêtes plus féroces encore ? Ou bien les bateaux étaient-ils tout simplement emportés, avec l'océan débordant du disque, hors de la réalité ?<br />
<br />
<b>Edit </b><br />
<i>Peintures suggérées par la <a href="http://azeizdazeiz.canalblog.com/" target="_blank">Plume</a> : </i><br />
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<a href="http://1.bp.blogspot.com/-ForBRXOQ6dk/Usp42nGPIBI/AAAAAAAAABA/epc2FCujdC0/s1600/C.D.+Friedrich+1.jpeg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-ForBRXOQ6dk/Usp42nGPIBI/AAAAAAAAABA/epc2FCujdC0/s1600/C.D.+Friedrich+1.jpeg" height="245" width="320" /></a></div>
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<a href="http://2.bp.blogspot.com/-aqAJF2RHzX8/Usp43FvqsYI/AAAAAAAAABE/1eRKjS2FLl8/s1600/C.D.+Friedrich+2.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-aqAJF2RHzX8/Usp43FvqsYI/AAAAAAAAABE/1eRKjS2FLl8/s1600/C.D.+Friedrich+2.jpg" height="250" width="320" /></a></div>
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Unknownnoreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-92199515000971988102013-12-21T00:36:00.002+01:002013-12-21T00:36:54.566+01:00Et pendant ce temps-là, dans les établissements publics... (partie II)<div style="text-align: justify;">
Bien qu'en étant éloigné de la Réserve pour l'instant, je suis encore de très près ce qui s'y passe et, depuis l'extérieur, l'ubuesque y est plus scintillant que jamais.</div>
<div style="text-align: justify;">
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<div>
<div style="text-align: justify;">
Jusqu'à l’an passé, nous avions un directeur pharaon. Il était éructant, impatient, colérique, omniscient, omnipotent et, en conséquence, parfaitement épuisant. La moindre de nos pensées devait passer au filtre de sa suprême clairvoyance. Il fallait batailler sur tout (mais au moins avait-il une indéniable connaissance du droit administratif et de la réglementation). Ajoutons que son très grand sens politique facilitait nettement ses manipulations et ses jeux à trois ou quatre bandes. Il connaissait parfaitement les arcanes ministériels et l'ensemble des acteurs de son champ. Il instrumentalisait volontiers sa garde rapprochée, disant aux uns et aux autres ce qu'ils voulaient entendre, à commencer par des horreurs confidentielles sur leurs pairs. Entre deux savons sévères. Tout cela avait des airs de cours et de fin de règne (et, certains jours, de fin du monde, croyez-moi !) dans une petite baronnie (je renonce à la comparaison antique). On croyait ne jamais voir la fin de ce système délirant (le circuit de circulation des parapheurs vaudrait à lui seul une note), on s'impatientait. Mais quand il est parti, le directeur de la Réserve nous a dit : « Vous verrez, vous me regretterez, et plus vite que vous ne l'imaginez. »</div>
<div style="text-align: justify;">
Personnellement, je n'en suis pas là...</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div>
<div style="text-align: justify;">
Le nouveau directeur est arrivé. Il venait du champ disciplinaire et affichait une bonhomie qui tranchait nettement avec les allures nerveuses et constamment irritées de son prédécesseur. Il a réorganisé la garde rapprochée, l'occasion de notre premier étonnement : ce directeur, nommé par la nouvelle majorité, promouvait en tant que numéro 2 un chef très (très) lié à l'ancienne. Mais après tout, pourquoi pas : on peut espérer que les mérites transcendent les clivages politiques. Sauf que le numéro 2 est question est une espèce de « brutasse » qui a décidé de longue date de faire prendre à l'établissement une voie qui l'éloigne inexorablement de certaines de ses missions pourtant (encore) assignées par décret. Sauf que les orientations qu'il défend vont à l'encontre des valeurs supposées de notre actuelle majorité et, donc, de notre ministère de tutelle.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
On a un temps beaucoup craint un audit. Et puis non, la nouvelle direction s'apprêtait juste à établir un nouvel organigramme, proposant d'ailleurs d'associer les personnels. Bah tiens... En clair : </div>
<div style="text-align: justify;">
<ul>
<li><i>Temps 1 : </i>Il ne faut pas se précipiter, prendre le temps de la réflexion, annoncer que l'on va écouter tout le monde.</li>
<li><i>Temps 2 : </i>Il faut dégager ensemble des priorités d'organisation des réunions de travail selon un calendrier qui reste à définir.</li>
<li><i>Temps 3 :</i> ...</li>
<li><i>Temps 4 :</i> Pour des raisons d'impératifs de calendrier, la réunion est programmée... hier (il était trop compliqué d'associer qui que ce soit d'autre que la direction, mais on a entendu vos espoirs et vos attentes - en sondant vos esprits).</li>
<li><i>Temps 5 : </i>Voici le nouvel organigramme (nous avons dû faire des choix difficiles), mais si vous interrogez votre cœur, vous savez que nous avons raison.</li>
</ul>
</div>
<div style="text-align: justify;">
On a en réalité vite compris qu'aux rapports de force, ce nouveau directeur préférait le déni. Quoi ? Quels problèmes ? Tout va bien. Quoi, les agents ? Quoi, les instances paritaires ? Hein ? Réglementa-quoi ? Ayez donc un peu confiance ! Est-ce que quelqu'un qui vous dit ne vous vouloir aucun mal, vous en voudrait, du mal ?</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il y a quelques semaines, le directeur a convié ses personnels à une petite réunion. Patelin (je n'ai jamais vu un directeur de prime abord si sympathique), il nous a annoncé sa volonté de suivre de nouvelles pistes, en un mot, de penser différemment. Et, n'en disant guère plus, il a laissé sa place à un orateur invité qui nous était parfaitement inconnu. Lequel s'est avéré être à la tête d'une fondation qui œuvre pour le bien de la Nation. J’exagère, mais à peine. Pour la faire courte, c'est un grand sensible qui souffre trop pour laisser la France s'enfoncer dans le marasme et il se propose donc d'aider (expérimentalement) la Réserve à relever le défi de la modernité, de l'avenir, du bon sens – de tout ce que vous voudrez, en fait, selon la mode du moment. Pendant une grosse demi-heure, on nous a servi un discours d'une rare stupidité, un mélange de lieux communs, d'idées livrées sans lien et d'imprécations. Tout cela pour conclure qu'il ne fallait être attaché à rien (la fin de la rigolade, c'est maintenant) : ni à son poste, ni à ses missions. Ni à son salaire ? Et de nous citer l'anecdote à la source de tout son système de pensée et de valeurs : en Suède, il a fait la connaissance, dans l'hôtel où il était un jour descendu, d'une femme de chambre qui était également standardiste et cuisinière. En prime une bonne grosse allusion à DSK, mais il n'a pas dit si son lit était bien fait et la bouffe correcte, car l'essentiel n'était pas là : « la fille était super contente ! » Préparez-vous donc à exercer des missions sans en avoir les compétences, pour l’acquisition desquelles on vous fera miroiter une formidable formation qui s’avèrera achetée au rabais. Tout en étant payé pareil (le bonheur, ça n'a pas de prix). Préparez-vous aussi à vous faire détester par les collègues sur les platebandes desquelles vous empiéterez – car on n'est pas dans un petit hôtel de province où bossent trois personnes, alors à moins de drastiquement réduire la masse salariale de la Réserve...</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
À la fin de son discours, heureux d'avoir reçu la bonne parole, les yeux enfin ouverts, je n'ai pas pu résister : je me suis levé et j'ai entonné un gospel. Nan, en fait, je me suis contenté de suggérer l'idée par sms à une collègue dont j'ai entendu le rire à quelques rangées de là. Tout de même, je me suis levé, j'ai pris le micro qu'on nous proposait – puisqu'on nous autorisait à poser des questions – et je lui ai gentiment demandé qui l'avait fait entrer. Le directeur m'a fusillé du regard (« C'est tout ce qui vous intéresse ? », m’a-t-il demandé – « Non, mais ça, ça m'intéresse <i>aussi</i>. ») Il n'a pas officialisé ce que je savais pourtant déjà : il y a quelques mois, lors d'une instance paritaire, le bientôt numéro 2 (il était alors sur le point d'être nommé) nous avait vanté les nombreux mérites de cette fondation à laquelle il était affilié, justifiant ainsi sa position : TOUT est DÉPASSÉ, à commencer par le principe même des instances paritaires qu’il faut malgré tout se coltiner parce qu’on n’a pas le choix. </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Dans un des textes qui circulent sur internet, la Fondation explique qu'il s'agit d' « évangélisation ». Il y a des guillemets, bien sûr, mais cela en dit long, tout de même sur leur construction du monde. Tout de même, nous devrons y mettre du nôtre pour la réussite de ce merveilleux projet. Le directeur d'ailleurs nous a expliqué que, seul, il ne pouvait rien. « Même Dieu ne peut pas tout », a-t-il dit.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
En attendant confess', les conversions, la verroterie, tout le tralala, les choses ont bien avancé : en un mois, on leur a trouvé des bureaux où ils ont organisé une permanence afin de recevoir les personnels soucieux du bien commun. Ils étaient d'ailleurs présents au dernier conseil d'administration, tout comme des représentants du ministère d'ailleurs... On a fortuitement appris qu’une « petite convention » avait été signée.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Je dois dire que l'attitude du ministère a de quoi inquiéter. Silence radio. Dans un premier temps, j'y ai vu de l'aveuglement, mais je crois à présent que nous sommes peut-être face à une troisième méthode de liquidation – pour laquelle je n’ai malheureusement pas encore de nom…</div>
</div>
</div>Unknownnoreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-3586125351600433472013-12-12T00:57:00.002+01:002013-12-12T01:03:43.277+01:00Et pendant ce temps-là, dans les établissements publics... (partie I)<div style="text-align: justify;">
L'État, cette grande machine un peu folle, a parfois recours à des stratégies assez honteuses pour démanteler ses établissements publics. <br />
Jusqu'alors, je n'en avais expérimenté que deux : la stratégie du « Le Public ne sait pas faire » et celle du « Ce déménagement est une formidable opportunité (pour moi, élu de province) ». <br />
La première « le Public ne sait pas faire » – qui présente notamment l'intérêt de pouvoir être globale (tout l'établissement est concerné immédiatement) ou saucissonnée (mission après mission) – pourrait être décomposée en huit temps : </div>
<ul style="text-align: justify;">
<li>Le ministère (mais pas toujours le ministre) décide, avec l'entier soutien de Bercy, de se débarrasser d'un établissement.</li>
<li>Les crédits sont largement amputés et les fonctionnaires non remplacés. Le plus souvent au mépris de la réglementation, les recrutements par CDD se multiplient, au prétexte que les postes n’ont pas pu être pourvus par des fonctionnaires (« mais on aurait bien aimé, hein »). Les chefs intermédiaires (de service, de mission) embauchés le sont largement en CDD et ils sont sommés de proposer de nouveaux projets, d'être force de propositions. En général, au moment de leur recrutement, on n'a pas manqué de leur rappeler qu’ils allaient avoir affaire à des dinosaures rétifs à tout changement dont la parfaite connaissance de la structure, loin d’être un appui, sera un frein à desserrer au maximum. Les délires hors sujet requalifiés « projets ambitieux » sont donc les bienvenus. L’avantage évident, c’est qu’en CDD, les chefs intermédiaires suivent aveuglément les consignes (par peur d’être virés), n’exercent pas leur colère (en quoi se transforme systématiquement l’inconfort systémique) contre leurs propres responsables (trop dangereux), mais contre leurs agents.</li>
<li>Pour la mise en œuvre de ses nouvelles ambitions, l'établissement public est vivement encouragé à renoncer à certains de ses services historiques : les économies sur la masse salariale priment, ainsi que le recrutement d’autres chefs, toujours en CDD. C’est généralement durant cette phase que de nouveaux organigrammes apparaissent, soit classiquement « en râteau », soit plus inventifs. Mais qu’on ne s’y trompe pas : il s’agit d’un directeur tout puissant entouré d’une armée mexicaine apeurée qui prend ses décisions en fonction des attitudes du numéro 1 à la table duquel on espère et on craint d’être invité à l’heure du déjeuner. Une chose est certaine : le seuil d'instabilité décisionnelle est d’autant plus vite atteint que la vitesse de recrutement de chefs est élevée.</li>
<li>Les chefs intermédiaires et leurs supérieurs décident de démultiplier les activités pour prouver à l'État qu'ils sont utiles et efficaces bien qu'avec moins d'agents et moins d'argent. Comment faire ? On fait massivement appel au privé, mais malheureusement (ohhhhh....) en bâclant cahiers des charges et contrats. Coûteux plantages garantis. Idéalement, on ne trouve rien de mieux, en cette période d'incertitude, que d'avoir recours à un PPP (un « partenariat » public-privé). Soit pour financer des travaux d’envergure : un agrandissement (pourquoi pas ! après tout l'établissement n'est pas menacé – le ministère l'a suffisamment répété) ou une rénovation. Soit pour externaliser certaines missions jugées non essentielles (généralement l'entretien et la restauration sont les premiers touchés : on remplace des fonctionnaires très mal payés de 45-50 ans par des salariés du privé carrément exploités qui font le ménage à 8 h du matin ou à 18 h après avoir traversé toute l'Île-de-France). Inutile de s'interroger sur les coûts déguisés (dépression nerveuse, maladies professionnelles...) de tout cela : après tout, ce ne sont pas les mêmes lignes budgétaires. Oh et puis merde, les dépressifs, les souffreteux, tout ça, c’est le problème du ministère de la Santé !</li>
<li>Plus rien ne fonctionne correctement, tout revient plus cher, ce qui tournait encore à peu près bien il y a quelques mois est sur le point de caler, on ne sait même pas si les projets initiés six mois plus tôt sont encore d'actualité. Pas de panique : la fin est proche.</li>
<li>Le ministère de tutelle ramène finalement sa fraise, comme au sortir d'un long rêve, multiplie les déclarations qui s'avéreront contradictoires selon que l'on s'adresse à un dir’ cab’ ou au ministre. Mais on promet une écoute attentive, l’étude minutieuse et bienveillante du dossier et le plus grand respect de... tout ce qu'on veut. NB : il arrive parfois qu'entre-temps une nouvelle majorité arrive aux affaires et dénonce cette technique employée par l'ancienne, mais il ne faut pas se croire sauvé pour autant...</li>
<li>La situation se dégrade encore davantage, le turn-over des personnels atteint un rythme effarant. Les chefs intermédiaires changent constamment, emportent dossiers, fichiers utiles pour plus tard et mystères de leurs classements. Les nouveaux chefs, comme les anciens, ont tout compris mieux que tout le monde, mais ne désavouent ni les projets ni le fonctionnement de leurs prédécesseurs : il s'agit de ne pas prêter le flanc aux attaques des agents quant aux pratiques managériales immédiatement passées et présentes.</li>
<li>Quelques mois plus tard, le ministère prend un air contrit et annonce que les temps ont changé, que les missions ont changé, que les hommes ont changé, que le gouvernement précédent a fait des dégâts irrémédiables, que l'avenir, c'est demain, et le passé, c'est hier. La larme à l'œil, le dir’ cab’ prononce la phrase fatidique : « Le Public ne sait pas/plus faire, mieux vaut laisser le Privé se partager les restes » et annonce la fermeture – selon les ambitions initiales – de l'établissement. </li>
</ul>
<div style="text-align: justify;">
La stratégie du déménagement, elle, se joue carrément à l’échelle nationale (wouah !). Un ministre décide de redynamiser une région (en général, la sienne) et recrute un cabinet d’audit où bosse son gendre, sa sœur, sa maîtresse ou sa directrice de campagne (comment savoir !), cabinet qui devra prouver en quoi ce déménagement est une idée géniale. Gé-ni-ale on vous dit ! On fait une annonce publique, on dit que c'est formidable, que c'est l'évidence même, que c'est une opportunité inégalable, que la Chine a réuni un Congrès extraordinaire pour en débattre. On nous vante les bienfaits du climat de la région d’accueil (je salue au passage les anciens du CNDP qui passeront là par hasard). Et puis, devant la réaction scandalisée des agents, on durcit le ton : faut pas exagérer, on ne les envoie pas en Corée du Nord ! D’ailleurs, les fonctionnaires sont loin d’être les plus malheureux : des millions de chômeurs donneraient cher pour être à leur place ! Les conjoints prendront le train – à quoi ça sert que la SNCF, elle se décarcasse à poser des rails dans nos belles provinces ? On perd donc la moitié des effectifs en route, et on en profite ainsi pour restructurer l'établissement, voire à le réduire à un gros service qui finira bien par mourir tout seul.<br />
<br />
<i>(à suivre) </i></div>
Unknownnoreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-54766507071320681102013-12-09T16:37:00.000+01:002013-12-09T16:37:23.568+01:00Rêves d'or, de Diego Quemada-Diez<div style="text-align: justify;">
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-rptIhjp4GK4/UqXi36BcmDI/AAAAAAAAAaA/WOCkebMhVzo/s1600/21054627_20131104094933167.jpg-r_160_240-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-rptIhjp4GK4/UqXi36BcmDI/AAAAAAAAAaA/WOCkebMhVzo/s1600/21054627_20131104094933167.jpg-r_160_240-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg" height="200" width="150" /></a></div>
<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.292969);">C'est sans doute l'une des nombreuses ambitions et l'un des nombreux mérites de <i>Rêves d'or</i>, tourné chronologiquement et sur les pistes mêmes de l'immigration, que de vouloir être un hommage et d'y parvenir. </span><br />
<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.292969);">Des gamins qui décident de partir avec des espoirs qui ne sont peut-être que l'avatar d'une bravade, des gamins qui ont le rire facile de l'enfance, des sentiments d'adulte pas bien clairs encore, et puis des rêves qui tournent évidemment au cauchemar à force de rencontres malfaisantes parmi les plus déshérités (les bandits de grand chemin qui rackettent, violent et tuent), parmi les plus riches aussi (les milices armées américaines qui les tirent comme des lapins - ça n'a pas beaucoup de valeur la vie d'un non-soi qu'on ne croise pas au temple le dimanche).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.292969);">On aimerait parvenir à se dire que le trait est forcé, mais les témoignages sont connus (si on veut bien les lire) ; mais les chiffres des clandestins qui meurent existent ; mais en Europe, on a Lampedusa, qui est parfois un cimetière à ciel ouvert. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">On peut craindre pour notre confort supposément menacé, on peut raconter les pires dégueulasseries pour se faire élire, on peut dire - sans se faire cracher à la gueule - que les clandestins plombent notre système de santé et qu'on ferait mieux de les foutre à la mer, on peut raconter beaucoup de conneries, en fait, quand on est du bon côté du manche. Mais il y a des hommes, des femmes et des enfants qui, à chaque instant, en ce moment même, disent au revoir à leur famille et qui, pour certains, disparaitront sans que leurs proches ne le sachent jamais. La vie humaine peut atteindre un prix dérisoire quand on la spécule à la baisse. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">On peut toujours se contenter de croire que notre naissance du bon côté est un destin ou une récompense, une volonté divine ou un hasard heureux, une lourde responsabilité ou un c'est-comme-ça-et-on-n'-y-peut-rien (toutes ces considérations ayant été par ailleurs étudiées par les psycho-sociologues de l'attribution causale)... on doit au moins le respect aux clandestins. On le doit à chaque instant. Surtout, on doit exercer notre vigilance à l'encontre de tous les responsables politiques. On doit graver dans le marbre leurs déclarations infâmes à défaut de pouvoir les jeter sur les routes ou dans un bidonville afin qu'ils puissent expérimenter leurs théories sur le mérite.</span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-3864776453458459088.post-82435074426853841112013-11-01T01:39:00.000+01:002014-06-24T10:36:33.461+02:00Le temps du vertige n'est pas éternel<div style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Adolescent, j'ai parfois eu l'impression qu'il n'y avait pas d'issue, que ne se dissiperaient jamais la honte d'être celui que j'étais, la peur absolue de décevoir ou d'être rejeté, que je ne pourrais jamais céder aux injonctions du désir sauf à basculer définitivement dans le désespoir. </span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Pourtant, il y avait en moi les accélérations brutales, le torrent vital, celui que connaissent tous les jeunes gens : mon être profond se lançait sur les chemins de la sincérité lorsque je croisais certains regards, lorsque depuis ma forteresse je m'autorisais à... puis je me ressaisissais et jetais mon esprit à toute force contre les parois de ma tête. Je croyais m'être arrêté au bord du précipice. E</span>t la honte qui revenait toujours. </div>
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<br /></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);"><i>Le suicide, deuxième cause de décès chez les 15-34 ans.</i></span></div>
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<br /></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Je n'éprouvais qu'une certitude : <i>être</i>, simplement <i>être </i>requerrait une lutte que je n'étais pas certain de vouloir mener. Soit je mettais toutes mes forces à me conformer à ce que l'on attendait de moi - et ce qui m'inquiétait alors, ce n'était pas de me renier, mais bien de ne pas y parvenir -, soit je cédais et je rejoignais le groupe des infâmes promis au désastre. J'éprouvais un sentiment de solitude infinie : personne à qui parler. D'ailleurs, je ne sais pas si j'aurais osé le faire si on me l'avait proposé. Je ne sais même pas ce que j'aurais fait si mon meilleur ami m'avait dit être gay. Peut-être aurais-je cru à un piège. Il me semblait que si quelqu'un - quel qu'il soit - venait à découvrir celui que j'étais vraiment, tout pèserait sur moi avec une force telle que je finirais sans doute par m'effondrer sur moi-même. Personne ne pouvait entendre sans me menacer, personne ne pouvait savoir sans m'exposer au pire : humiliations, chantage, dénonciation. Je ne savais pas exactement ce qui m'attendait mais cela promettait d’être épouvantable.</span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);"><i>L'homophobie tue.</i></span></div>
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<br /></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">J'ai grandi dans une famille où la menace physique ne faisait pas partie du quotidien. </span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Ce n'est pas toujours le cas. Des mômes se font foutre sur la gueule par leur père, par leur mère, par leur frère, parce qu'ils sont pédés, lesbiennes ou trans'. Certains se font jeter à la rue à peine majeurs - quand ils le sont. D'autres s'enfuient pour échapper aux coups, aux regards ou au mépris. Certains tentent de se suicider. Certains y parviennent, et rien, jamais, ne les fera revenir parmi nous. Dans d'autres pays que le nôtre, on pourrait même les tuer sans rien risquer légalement. Tant qu'il y aura dans cette putain de structure sociale qu'est la famille autant de connards ou de connasses pour croire pouvoir renier leurs gosses en toute impunité, ne me demandez pas le respect. Il faut oser désacraliser la famille. Il faut oser en inventer une nouvelle. </span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Ma famille n'a jamais représenté une menace et, à l'école où j'allais, j'étais suffisamment invisible pour ne rien craindre. Pourtant, à 13 ans, je me demandais ce que cela ferait de s'ouvrir les veines. Ou bien je regardais dans l'armoire à pharmacie ce que je pourrais avaler. Au cas où. Le moment venu. Alors j'imagine facilement la douleur insoutenable qu'éprouvent certains dont la situation est catastrophique. J'entraperçois la force de la tentation.</span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Dans mon cas, le moment n'est jamais venu. Peut-être parce qu'une toute petite partie de moi, suffisante, avait confiance. Sans doute aussi parce que j'étais assez lâche et que je ne voulais pas ajouter à la honte d'être pédé l'humiliation de renoncer au dernier moment à mon geste. Et puis les choses étaient assez claires : je n'espérais pas le paradis, je ne craignais pas l'enfer, je savais que je ne reviendrais pas sous de meilleurs cieux. Ce qui m'attendait, c'était le néant.</span></div>
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<br /></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Les chiffres concernant le suicide des jeunes lesbiennes, gays, bi et trans' me désespèrent. Ils me glacent. Ils me donnent envie de tout dévaster. Je pourrais déverser une haine inextinguible sur les sinistres guignols publics qui mettent de l'huile sur le feu. </span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">La vie peut être dégueulasse. Elle peut être d'une violence inouïe. Mais il faudrait pouvoir désigner, à ceux qui s'apprêtent à se jeter de la falaise, les joies à venir</span>. Toutes les belles rencontres qu'ils sont sur le point de faire, les fous-rires avec de nouvelles amitiés, le plaisir des regards échangés à danser n'importe comment sur n'importe quoi dans une boîte. La légèreté, enfin. Le premier amour et les suivants. Les amis comme une famille. Mieux que la famille souvent. Et que s'ils doivent apprendre à se passer de leur famille, aussi triste que cela soit, nous serons là.</div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Car peut-être qu'ils devront s'éloigner pour mieux grandir, pour finir de grandir. Certains, il faut les y aider : changer d'air, changer de région, changer de vie. N'importe quoi plutôt que le néant. </span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Qu'une association comme <i>Le Refuge</i> existe me réconforte. Elle est une alternative à certaines issues terribles. Elle est la preuve que notre communauté parfois repue de plaisir peut être autre chose qu'une addition d'individualités dépensières. Elle est la preuve que son égocentrisme - que nous avons tous éprouvé - n'est pas une fatalité et que nous pouvons être un groupe responsable prêt à prendre soin des plus faibles.</span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);"><br /></span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);">Pour soutenir <i>le Refuge</i> : <a href="http://www.le-refuge.org/10ans/nous-soutenir2/mobilisez-vous.html">http://www.le-refuge.org/10ans/nous-soutenir2/mobilisez-vous.html</a></span></div>
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<span class="Apple-style-span" style="-webkit-composition-fill-color: rgba(175, 192, 227, 0.230469); -webkit-composition-frame-color: rgba(77, 128, 180, 0.230469); -webkit-tap-highlight-color: rgba(26, 26, 26, 0.296875);"><br /></span></div>
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