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mardi 31 décembre 2019
vendredi 31 mai 2019
Marie Depussé
Il y a quelques semaines de cela, le hasard des algorithmes mettait sur mon chemin un article du Monde annonçant la mort de Bernard Sichère. Je n’avais guère entendu son nom depuis l’époque des mes études à Paris VII. Je n’ai jamais suivi son enseignement, mais son caractère jugé difficile, sa mauvaise humeur en somme, et son intransigeance, nourrissaient nos conversations au café. Je me demande si ce n’est pas pendant son cours que Juliette avait été victime d’un attentat : un élève qui venait d’être exclu pour tricherie, ouvrait une à une toutes les portes du couloir 24-34 pour y balancer des œufs par vengeance aveugle, et Juliette avait compté parmi ses victimes. Je me souviens également d’un chargement de nourriture et de bouteilles avant un trajet en voiture entre chez lui, du côté de Nation, et chez un ami de Marie Depussé, vers Glacière, Marie qui fêtait son départ en retraite. Je me souviens également d’une journée d’étude organisée toute fin 1999 par Francis Marmande - « Littérature, cinéma, philosophie : où va-t-on ? » - ou quelque chose comme cela. Marie Depussé avait fait une intervention sur Clint Eastwood - interrompue par quelques crétins qui jugeaient scandaleux que l’on parle de celui qui avait incarné l’inspecteur Harry, donc un promoteur de la violence, donc une caricature d’amerloque, donc un odieux impérialiste, donc un quasi nazi. J’avais aussi découvert ce jour-là Au début, de Pelechian, avec l’incroyable musique de Sviridov, que j’ai souvent revu à l’époque de la rédaction de ma thèse pour me donner du courage. Je ne me souviens plus du sujet de l’intervention de Bernard Sichère, mais il avait projeté pour illustrer ses propos la photo de deux beaux jeunes hommes torse-nu - photo tirée d’un film, crois-je me souvenir, pensez aux jeunes hommes d’un film italien des années cinquante ou soixante. Bernard Sichère s’était tourné vers la photo projetée, et submergé par la nostalgie, il avait lâché « J’ai été comme ça, vous savez ». C’était indécent, c’était pathétique, c’était d’une confondante sincérité, c’était tout à fait estimable, c’était tout cela à la fois.
Peu de temps avant d’apprendre sa mort, j’étais repassé devant Jussieu après une promenade au Jardin des plantes et avant d’aller au Grand Action. J’évite de repasser devant Jussieu, parce que je ne peux pas m’empêcher de penser, singeant finalement Sichère, « J’ai été jeune dans cette université vous savez... ». Surtout, revenir dans ce quartier me fait trop penser à Juliette. Le café où nous avons passé tant d’heures est devenu une banque puis rien du tout. La petite guérite attenante où une gentille dame nous vendait ses crêpes n’existe évidemment plus. Pour le dire simplement, je pense que je ne me remettrai jamais vraiment de la mort de Juliette.
Après avoir lu l’article qui retraçait son parcours philosophique, universitaire et politique, ce dernier l’ayant mené du maoïsme au christianisme - comme quoi son intransigeance et sa rigueur s’exerçaient davantage à l’égard de ses étudiants que des dogmes auxquels il souscrivait -, j’ai voulu avoir des nouvelles de Marie Depussé. Les étudiants qui suivaient son enseignement et l’appréciait étaient affectueusement surnommés les depussistes par Francis Marmande. Je n’avais plus rien lu d’elle depuis Les morts ne savent rien et je n’avais pas dû la revoir depuis 2005. Ça m’a beaucoup troublé de découvrir qu’elle était morte en 2017. Ça m’a presque blessé de constater que je m’étais à ce point éloigné de cette période de ma vie, de mes lectures de l’époque, de mes curiosités, de mon temps libre, et que j’étais accaparé - englué, me suis-je demandé - par d’autres nécessités au point d’ignorer qu’était morte une enseignante qui avait à ce point compté pour moi, dont j’avais tant aimé les lectures intelligentes et sensibles, les inflexions de voix, mystérieuses et pleines de sens, lorsqu’elle parlait de Duras, de Jouve ou de Woolf. Je me suis soudain senti comme dépossédé de mon passé et de ma vie. Dans la nuit qui a suivi, j’ai rêvé de Juliette, qui était vivante. Ça a duré comme ça quelques heures, à me demander quel était ce chemin que je suivais et qui me laissait si peu de temps libre. Et puis le téléphone a sonné alors que j’étais au boulot. C’était un demandeur d’asile qui m’annonçait qu’il avait eu son statut à la CNDA.
Peu de temps avant d’apprendre sa mort, j’étais repassé devant Jussieu après une promenade au Jardin des plantes et avant d’aller au Grand Action. J’évite de repasser devant Jussieu, parce que je ne peux pas m’empêcher de penser, singeant finalement Sichère, « J’ai été jeune dans cette université vous savez... ». Surtout, revenir dans ce quartier me fait trop penser à Juliette. Le café où nous avons passé tant d’heures est devenu une banque puis rien du tout. La petite guérite attenante où une gentille dame nous vendait ses crêpes n’existe évidemment plus. Pour le dire simplement, je pense que je ne me remettrai jamais vraiment de la mort de Juliette.
Après avoir lu l’article qui retraçait son parcours philosophique, universitaire et politique, ce dernier l’ayant mené du maoïsme au christianisme - comme quoi son intransigeance et sa rigueur s’exerçaient davantage à l’égard de ses étudiants que des dogmes auxquels il souscrivait -, j’ai voulu avoir des nouvelles de Marie Depussé. Les étudiants qui suivaient son enseignement et l’appréciait étaient affectueusement surnommés les depussistes par Francis Marmande. Je n’avais plus rien lu d’elle depuis Les morts ne savent rien et je n’avais pas dû la revoir depuis 2005. Ça m’a beaucoup troublé de découvrir qu’elle était morte en 2017. Ça m’a presque blessé de constater que je m’étais à ce point éloigné de cette période de ma vie, de mes lectures de l’époque, de mes curiosités, de mon temps libre, et que j’étais accaparé - englué, me suis-je demandé - par d’autres nécessités au point d’ignorer qu’était morte une enseignante qui avait à ce point compté pour moi, dont j’avais tant aimé les lectures intelligentes et sensibles, les inflexions de voix, mystérieuses et pleines de sens, lorsqu’elle parlait de Duras, de Jouve ou de Woolf. Je me suis soudain senti comme dépossédé de mon passé et de ma vie. Dans la nuit qui a suivi, j’ai rêvé de Juliette, qui était vivante. Ça a duré comme ça quelques heures, à me demander quel était ce chemin que je suivais et qui me laissait si peu de temps libre. Et puis le téléphone a sonné alors que j’étais au boulot. C’était un demandeur d’asile qui m’annonçait qu’il avait eu son statut à la CNDA.
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