Le jeune homme s'assit sur un arbre
abattu pour reposer un peu les muscles de ses jambes. Dans le ciel bleu
glacé, plus un avion ne passait depuis longtemps déjà, mais il faudrait
des semaines, peut-être des mois, avant que l'on ne perde cette habitude
imbécile de les guetter encore, de croire les entendre.
Il
huma profondément la paix retrouvée, pour être bien sûr de toujours en
conserver la trace mnésique. Les villes et les campagnes se
réorganisaient lentement. Au-delà des forêts, par-delà les rivières, les
hommes construisaient la vie nouvelle, regardaient, tout comme lui,
l'horizon victorieux. Et partout, les enfants retrouvaient les jeux de
la rue, couraient pour le plaisir.
Le
jeune homme entendit, au loin, le murmure d'un chant qui s'élevait peu à
peu. Un village était tout proche. Il sortit de sa poche un morceau de
pain rassis qu'il faisait durer depuis plusieurs jours. Il le mâchouilla
longuement, sentit le pain détrempé de salive coller à son palais, dans
le bonheur renouvelé de la nourriture suffisante.
Il
sortit sa flûte et accompagna le chant des villageois. Il touchait au
but de son voyage : là-bas, au bout du chemin de terre qui traversait la
forêt, l'attendaient les champs et quelques vieilles machines qu'on
pouvait encore faire fonctionner. Sinon ? Bah, sinon, il attellerait le
moins vieux des bœufs. Et si tous étaient morts, il creuserait lui-même,
avec les bonnes volontés qui ne manquaient plus, les sillons de la
terre. De quelles nuances de brun se colorierait-elle, quelle odeur
aurait-elle, ici, autrefois nourrie de l'humus abondant ? Quels légumes,
quels fruits leur offrirait-elle ?
Le
jeune homme sentit courir dans ses muscles de liane l'impatience. Il
rangea sa flûte dans sa poche et reprit sa route. Bientôt il repensa à
son bel amour qu'il avait dû quitter au lendemain de la Révolution. Sur
les fibres nerveuses, innombrables, de ses doigts, glissait la mémoire
des doux cheveux noirs, le blanc de la peau. Et il lui fallut peu
d'efforts pour retrouver le sel de ses lèvres.
- Quand nous retrouverons-nous ?
- Bientôt...
Et il l'avait embrassé au milieu d'une foule qui criait encore, qui chantait.
« Viens,
nous devons y aller », lui avait lancé un compagnon qui achevait de
coller des affiches sur lesquelles on pouvait lire : « Aujourd'hui la
victoire, demain le bonheur » et qui annonçaient la réunion du soir dans
le palais abandonné aux hommes et aux femmes.
Le
jeune homme vit apparaître, après un virage, les premières maisons et
lâcha un cri de surprise : une éolienne était déjà construite.