Journée passée à Fontainebleau, ville des origines, si je
puis dire, puisque j’y suis né, ainsi que la plupart des enfants des environs, ville
où j’ai été à l’école à partir de onze ans.
J’attends ma mère, ma tante et ma grand-mère pour déjeuner, assis
à la terrasse de la brasserie, en regardant passer les Bellifontains et
quelques autres qui, en vingt ans, n’ont guère changé. Vieilles du premier
cercle bourgeois, catholiques, raides – pardon : toniques –, cheveux gris
et courts, dans leurs petits tailleurs sobres, pas toujours bleu marine, pas
toujours en feutre. Elles sortent ragaillardies de la messe, et s’en vont
tancer leurs petits-enfants, trop nonchalants, au repas de famille, une
pâtisserie que l’on peinera à qualifier de douceur dans un sac. Tout de même,
quelle contrariété, le divorce annoncé de l’aîné ! Les maris, dans leurs
costumes marron ou verdâtres, un peu élimés au coude, d’une usure disons
avaricieuse, laissent la messe aux « bonnes femmes » (la rare grossièreté
qu’ils s’autorisent) et sont restés dans leur bureau à ruminer des choses
autrement plus importantes, le plus souvent de vieux cas – médicaux ou notariés
– ou bien pour écrire un courrier au député : il est prévu de se voir,
quelques jours plus tard, lors de la réunion (bon vin et gibier) d’une
quelconque société savante, mais l’usage de la correspondance n’a que trop
tendance à se perdre et il y a de menus services à demander et à rendre.
Quelques mètres derrière, sur le même trottoir, mais à une
distance sociale raisonnable, la petite bourgeoisie commerçante vient de fermer
la boutique. Entre la messe et le commerce, le choix est vite fait,
l’hésitation légère comme la soie. Je les regarde : il faudra bien qu’un
jour quelqu’un se décide à faire une analyse comparative des nuances de blond
chez les teintées de Versailles, de Saint-Jean-de-Luz, du
septième arrondissement parisien ou de Fontainebleau.
J’ai été autrefois à l’école avec les enfants de ces
dernières, parfois de parfaits petits porcs sans éducation, curieux de rien,
que l’on mettait dans des écoles privées parce qu’il n’aurait pu en être
autrement – et l’on annonçait le nom de l’école avec un petit air pincé (signe
d’une fierté contrainte à une assourdissante modestie) aux cousins plus
provinciaux qui, tout de même, s’enquerraient : « Bon sang, qui était
donc ce saint ? »
Les touristes flânent. La part de Chinois dans les consciencieuses
colonnes asiatiques a progressé, aux dépens des Japonais devant l’objectif
photo desquels, autrefois, il nous prenait parfois de jouer, histoire de les savoir
repartir avec autre chose que les seuls vestiges mille fois rapiécés d’une cité
impériale trop jalouse de Versailles pour rester parfaitement digne.
« Il y a un feu d’artifice pour le 14
juillet ? » J’ai posé la question à ma mère, par association d’idées,
en voyant une affiche annoncer celui du mois d’août. Pour la Saint-Louis.
« Tu plaisantes ? Pour une fête républicaine ? »
J’ai si peu de souvenirs de cette ville où j’ai pourtant été
à l’école sept ans que c’en est presque troublant. Est-ce à cause du mépris qui
aiguillait les rêveries de quelques-uns d’entre nous (grands saccages de la
ville, bolcheviques ou surréalistes), lesquelles laissaient si peu de place au
réel ?
Assis à la terrasse de ce café encore, regardant passer
cette foule mêlée de touristes et de résidents, je me suis revu à cette même
place quinze ans plus tôt, et je me suis souvenu, tout de même, du terrible
ennui éprouvé toutes ces années. M’est revenue la mémoire de textes de jeunesse
(poèmes et prose), écrits faute d’oser le anywhere
out of the world ou le saccage véritable, des textes qui mimaient
inlassablement (plus qu’ils n’évoquaient) l’ennui, celui de l’adolescence, qui
disaient le morne intime, plus épais à Fontainebleau encore que dans les
tristes après-midis de ma chambre en novembre. La découverte terrible de la
vacuité lorsque l’enchantement de l’enfance nous quitte et que rien encore ne
peut se déverser dans ce vide.
Ce billet m'a provoqué un frisson dans le dos me remémorant une année d'adolescence passée à Versailles ; année que j'ai toujours décrite comme une plongée dans l'horreur balzacienne.
RépondreSupprimerAh, sa grande rivale... A Fontainebleau, on a tout de même plus l'impression d'entrer chez Chabrol...
SupprimerQuand on citait Fontainebleau chez moi c'était toujours l'occasion pour mon père de mentionner, avec une nuance évidente quoique discrète de plaisir un poil provocateur, qu'à l'occasion de son premier emploi dans une banque de la ville il y avait rencontré Trotsky qui fréquentait le même café que lui. C'était apparemment le seul souvenir vraiment plaisant qu'il en avait gardé. Et moi j'étais tellement fière !
RépondreSupprimerC'est assez excitant comme anecdote ! Je savais que Trotsky avait résidé à Barbizon. Ils avaient discuté ?
SupprimerTu me fais flipper!
RépondreSupprimerAllons bon ! Et pourquoi ?
SupprimerJe ne connais pas Fontainebleau mais le septième arrondissement est l'un des endroits de France où les femmes se teignent le moins les cheveux ! Plus elles sont issues de la haute bourgeoisie, plus elles assument le gris et le blanc de leurs cheveux.
RépondreSupprimerJe te garantis que cette fierté s'est arrêtée à l'entrée de la rue Saint-Do' !
SupprimerJe te crois sur parole !
RépondreSupprimeret j'emporte avec moi la dernière phrase, sur la vacuité des sorties d'enfance, vacuité dans laquelle il est si facile de se noyer avant que les premières terres n'apparaissent au loin.
Cette ambiance m'angoisse par tout ce qu'elle a de morbide.
RépondreSupprimerJe reviens de loin, tu peux me croire.
SupprimerJ'ai l'impression de connaître si bien ce que tu décris ici... J'en suis désolée pour toi.
RépondreSupprimerHeureusement, c'est du passé...
SupprimerFort bien vu, d'autant que je partage tout ça. Durant mon enfance surtout, j'ai été quelque épargné, même si dans la ville ouvrière de mon enfance, il y avait malgré tous des "cas" très ressemblants à tes mangeurs d'osties.
RépondreSupprimerOui, je crois en effet que les proportions peuvent être très inégales selon les villes, mais qu'il demeure toujours un noyau... mais malheureusement, pas toujours un Chabrol.
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