mercredi 24 juin 2009

Des cabanes où vivent les hommes

À la station Grands Boulevards, sur la ligne 9, un petit monsieur est en train de nidifier. Il a amassé de nombreux sacs plastiques et des piles de journaux. Le plus souvent, il est assis, un peu éteint, entre ses biens, le regard vide et le dos voûté. En de plus rares occasions, je l'ai découvert calmement volubile : debout, faisant quelques pas hasardeux - mais il ne boit pas -, il tient un discours plein de conviction (ses mains s'agitent un peu dans l'air), et semble réciter à voix basse un vieux poème du temps qu'il était enfant, droit sur l'estrade, face à un public tout prêt à rire (« Mignonne, allons voir si la rose qui ce matin avait desclose sa robe de pourpre au soleil a point perdu ceste vesprée... »). À présent, le public du métro, harassé et oublieux du monde environnant (dont je suis le plus souvent), ne lui jette aucun regard (qu'il ne croiserait d'ailleurs sans doute pas). En le voyant construire jour après jour son nid ou sa cabane, je me dis que le directeur de la station éprouve peut-être le même attendrissement résigné que moi.

Il est tout de même terrible de se dire que, dans le monde, chaque terre a son propriétaire (un particulier, une société, une nation) et qu'il n'est nul sol (ou presque) où poser ses cartons et ses sacs sans qu'un propriétaire ne hurle à la spoliation.

Lorsque j'étais enfant, il y avait un quartier de la petite ville, sur les hauteurs du canal, où vivaient des mariniers tardivement sédentarisés, dans de rares maisons et, pour beaucoup, dans des caravanes flanquées d'extensions en bois, des cabanes couvertes de tôles ondulées. Ils inspiraient généralement de la méfiance ou même de la crainte, et les gens de la ville en parlaient sur un air entendu (« je pourrais vous en raconter ! »). Moi, enfant, je m'imaginais que le Jo l'Indien de Tom Sawyer aurait pu y avoir ses quartiers. Quand un des types annonçait « Je vis au Larris », la messe était dite et l'effet était à peu près le même que celui produit, aujourd'hui, par un jeune type en survêtement qui annoncerait vivre à la Cité des 4000...



Mon arrière-arrière grand-père (au centre), marinier,
sur une péniche où il était journalier


Il y a quelque temps, j'ai eu l'occasion de repasser devant ce faubourg dit malfamé. Les cabanes, les tôles, les caravanes ont disparu. Des maisons - pas toutes achevées - ont été construites. Ainsi naissent les quartiers des faubourgs, au cours d'une lente appropriation des lieux. Normalisation rassurante. Peut-être les hommes et les femmes qui sont contraints d'habiter, pour l'heure, dans des huttes, des cabanes ou des tentes, au fond des bois d'Île-de-France, qui travaillent pour un salaire dérisoire, ou qui touchent une retraite misérable, connaîtront-ils le même sort.

dimanche 14 juin 2009

Des rues tièdes

Paris dans l'incandescence des néons. Les voitures qui roulent vers les fêtes. D'autres costumes. La fatigue, l'ennui, la tristesse partout derrière les rires follets et les sourires de feu. Une femme s'amuse ; on dirait qu'elle pleure. La fatigue tombe sur moi comme un voile. Et l'ennui. Et la solitude parmi les autres. Un vieux monsieur en costume passe, ses talons raclent le sol. Sa femme s'agace, range seule, en faisant beaucoup de bruit, la vaisselle. Il a dit qu'il sortait faire un tour. Elle aussi aimerait bien, mais il y a toute cette vaisselle à ranger dans les cris de la télévision.

Ruban dans les cheveux, souffle tiède sur le visage, le vieux monsieur s'est retourné sur la jeune fille à vélo. Il a fini de passer et a tourné à l'angle de la rue.

Les vies anonymes passent sans devoir s'arrêter. Dans le sillon de leurs marches, l'innocence et la joie. Assis près de moi le fantôme de l'envie : les hommes sont très sincèrement beaux. L'ombrage du regard noir, le ventre saillant sous le polo, la démarche vaine.

Méfiance dans les parfums de jasmin. La solitude et la fatigue. Je rentre.

dimanche 7 juin 2009

De la jeune fille à la gare

J'étais à la gare de Moret et j'attendais mon train, assis sur un banc, des contes de Maupassant entre les mains. Une jeune femme aux longs cheveux noirs et au teint un peu olivâtre a fini de monter lourdement les marches du souterrain et elle a posé près de moi une poussette un peu crasseuse dans laquelle était calé, par un sachet de mie de pain entamé, un poupon en plastique à peu près nu. Elle a redescendu les marches. Elle portait une sorte de tenue verte en velours, ses jambes fines et un peu arquées, couvertes par des bas en laine roses imprimés (il s'agissait de l'héroïne d'une série pour enfants) et des souliers à boucle dont la blancheur m'a frappé. Elle est reparue avec une seconde poussette : y avaient été jetés un peu en vrac un sachet de mouchoirs en papier, une demi-pizza sous cellophane et deux ou trois choses que je n'ai pas su reconnaître. Elle s'est assise à côté de moi, très nerveuse, ses doigts sales courant sur ses genoux. Elle avait des traces brunes sur les joues et une moustache de poils drus. Elle a saisi la pizza et a déchiré l'emballage, a coupé de petits morceaux, froids, qu'elle a avalés goulûment.