samedi 27 avril 2013

D'une enfance l'autre

Assis à une terrasse de café du 12e arrondissement, à midi, un peu gelé mais bravache, je regarde passer un travesti fatigué. Son pas est lourd, à cause des talons peut-être, ou de l’éreintement de la nuit. Une mini-jupe assez laide se retrousse sur des jambes lourdes. Elle semble originaire d’Afrique du nord. Je surveille les regards qui se retournent sur elle, mais non, elle évolue sans heurt dans la rue presque déserte, bousculée par le vent. C’est déjà ça.

Elle a l’air terriblement lasse, d’une lassitude illimitée. Cela n’engage véritablement que moi et ma propre tristesse parchemineuse de ce matin-là, mais je crois entrapercevoir quelques angles de sa vie derrière son maquillage approximatif et son regard absent – l’enfance, la peur, l’errance, le voyage, le temps qui passe, la joie siphonnée par la vie. Quelques instants plus tard, elle repasse dans l’autre sens, une grande canette de bière à la main. Dans ces moments-là, je regrette ma timidité. On aurait pu boire un café. Au moment où j’écris, je déplore ma vanité : qu’aurait-elle eu à foutre, peut-être, de ma sympathie éphémère de samedi matin ?

Tout à l’heure, dans une rue du 3e arrondissement, au feu rouge, un garçonnet de 5 ans, armé d’un pistolet à eau, tire soigneusement sur les voitures qui passent à sa portée. Il a un air d’arsouille, une malice dans le sourire propre aux enfants. Pour rien au monde il n’échangerait sa place à cet instant promis à une éternité de bonne humeur. Et puis non, le feu passe au vert. Sa grand-mère le tire par la manche et son sourire s’efface.

C’était beaucoup pour moi, aujourd’hui, ces deux rencontres. J’ai dû grimper dans un arbre pour m’y mettre à l’abri et ne plus en redescendre qu’à la nuit tombée, lorsque les visages ne sont plus que des masques gris.