jeudi 29 novembre 2012

Quand le psychiatre décompense...

« Mes chers collègues, monsieur le ministre, De Gavrilo Princip, bras armé de la Main noire jusqu’à l’effondrement des tours jumelles, le XXe siècle, si l’on oublie les ancêtres décabristes, fut celui du terrorisme, celui de la lutte du faible au fort, de l’injustifiable justifié par un bien suprême immatériel souvent fantasmé. Car si pour le pur tout est pur, tout ici-bas peut être justifié, même l’inqualifiable et l’injustifiable. Monsieur le ministre, le terrorisme pose, au-delà de l’aspect opérationnel que vous soulevez aujourd’hui, plusieurs interrogations. La première – et le premier axe de réflexion que je vous proposerai – concerne celui de nos prisons. Nos prisons de France où la (sic) règlement pénitentiaire n’est pas appliqué, où depuis les dernières vagues, les instruments d’un islam politique conquérant qui cherche à conquérir les territoires là où il se trouve : des salles communes, des ateliers, des cellules – où ce règlement n’est pas appliqué : comment se fait-il que dans les centrales de France, les portes ne soient pas fermées ? […] Deuxième axe de réflexion. Vous permettrez de considérer que souvent, le terroriste a un défaut : il n’a jamais rencontré l’autorité paternelle le plus souvent. Il n’a jamais eu de rapport avec les limites et le cadre parental, il n’a jamais eu cette possibilité de savoir ce qui est faisable, ou non faisable, ce qui est bien ou mal. N’y a-t-il pas une certaine contradiction, monsieur le ministre, dans vos propos et ceux de votre gouvernement, alors que vous cherchez désespérément à reposer un cadre, un sens, une symbolique, à dans le même temps vouloir soutenir un projet de loi qui va jusqu’à rayer le mot de père du Code civil, par là même… – je sais bien, poussez vos cris d’orfraie, mais ceci est tout à fait cohérent mes chers amis. Vous provoquez dans les années à venir… vous provoquerez dans les années à venir la confusion des genres, le déni de la différence des sexes et la psychose – et fatalement, cette incohérence idéologique fait que votre système ne peut pas avoir l’efficacité que vous souhaitez avoir. Troisième axe de réflexion. Monsieur le ministre, justement, comment se fait-il que dans le même temps la doxa officielle, qui depuis ces années frappe les esprits, cultive la haine de soi et la repentance en permanence ? Ne serait-il pas intelligent de demander à votre collègue de l’éducation nationale que les enfants de France apprennent d’abord – parce que, souvenez-vous mes chers collègues de ce que disait René Char : « Épouse et n’épouse pas ta maison » et l’ordre est important – par intellectualisme forcené, on a voulu faire apprendre à des préadolescents, alors même qu’ils ne connaissent pas l’histoire de leur propre pays, celle des grands peuples et des grandes nations – quel que soit le respect que nous devons leur porter. Monsieur le ministre, je vous demande donc un minimum de cohérence dans la politique que vous menez sur ces trois axes de réflexions. Il me semblerait extrêmement simple que vous rencontriez enfin votre collègue garde des Sceaux qui n’apporte aucune réponse à la question que je pose sur la sécurité dans les prisons. Monsieur le ministre, nous portons nous, Français, je le rappelais effectivement à dessein, une certaine responsabilité par rapport à la question de la terreur. Il fut un temps, nous avons inventé la terreur de masse ; il fut un temps, nous avons inventé l’extermination des peuples. Je n’ai pas parlé du terrorisme d’État qui s’est répandu pendant le XXe siècle : la famine en Ukraine – et plus tard au XXe siècle en Éthiopie – pour asservir les peuples. Monsieur le ministre, ces quelques rappels historiques ne sont pas faits pour provoquer. Ils sont faits simplement pour qu’ensemble nous puissions réfléchir. Que les déterminants de la sécurité d’aujourd’hui et celle de demain dépendent des actes politiques d’aujourd’hui. Merci monsieur le ministre. »


Nicolas Dhuicq, psychiatre, député UMP de l'Aude, maître absolu de la corrélation, s'exprimant à l'Assemblée nationale le 27 novembre 2012
Sur les méfaits des corrélations abusives, je vous invite à lire ceci.

lundi 26 novembre 2012

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse – 2e nuit

Si vous avez manqué le début :
1re nuit
1re journée

Lorsque j’ouvris les yeux, un visage austère était penché sur moi. Bien qu’il me fût assurément familier, je ne parvins pas immédiatement à y mettre un nom. D’ailleurs, tout mon bureau semblait envahi d’une brume grisâtre, laquelle opacifiait aussi bien que mes pensées, les silhouettes et les sons, qui ne me parvinrent, tout d’abord, que de très loin.

« Il revient à lui », finis-je toutefois par entendre distinctement. Après quelques lourdes secondes consacrées à grimacer et à reprendre possession de mes muscles, je reconnus la voix. Il s’agissait de celle, assurément lugubre, du docteur Kenstein, un chirurgien qui habitait l’immeuble et que Mademoiselle Jeanne, notre secrétaire, dûment autorisée par notre directeur (l’initiative personnelle n’était pas encouragée dans l’établissement), avait sans doute été mander.

« Vous vous êtes évanoui, mon vieux », dit le médecin en fronçant les épaisses broussailles qui surmontaient son regard gris. Excellent diagnostic, pensai-je par-devers moi. Tandis que je promenais mon regard sur cet improbable cénacle administratif – autant de visages ahuris –, iI ajouta : « J’ai dû vous faire une piqûre de camphre ». Puis il fit sortir tout le monde. Le directeur le salua d’un chaleureux « Merci Franck » et referma la porte derrière lui.

« Franchement, votre situation m’inquiète, reprit presque aussitôt le respectable homme de science. Ne pourriez-vous pas partir quelques jours en cure ? J’ai l’adresse de quelques très bonnes pensions et l’air breton semble convenir à merveille à ceux de mes patients qui, comme vous, ont les nerfs déréglés. En outre, votre tension m’inquiète. Sans être encore alarmante, elle est anormalement basse pour quelqu’un de votre âge et de votre constitution ».

« Il est des mystères qui nous dépassent, terrifiants peut-être, que je me dois de résoudre, dussé-je y laisser ma santé », m’entendis-je répondre, piqué au vif de me voir ainsi proposé une pension de famille pour hystériques. Il m’aida à me relever. Je le raccompagnai à la porte de mon bureau, non sans l’avoir assuré de prendre consciencieusement la médication prescrite. Je rangeai rapidement la pièce en désordre et, ayant obtenu le sésame administratif, je rentrai chez moi, rue Morgue, dans le jour déjà déclinant de notre pâle mois de novembre, après être passé chez l’apothicaire.

Je mis à profit ce qui restait de rassurante lumière du jour pour inspecter la cuisine. Je soulevai les sacs, déplaçai les quelques cartons de victuailles, scrutai le bas des placards à la recherche de déjection ou de grignotage. En vain. Nulle trace du passage d’un quelconque animal. De retour dans mon confortable salon-salle-à-manger-bureau-dressing-entrée, je pris place dans mon canapé, posant à côté de moi les ouvrages ésotériques rapportés de chez mon aïeule. Le souvenir était à présent étiolé, mais je me croyais autorisé à penser que, superposée à ma propre image dans le miroir, j’avais bien vu apparaître, revenue de la nuit des temps et des limbes de ma mémoire, je ne sais quelle image diabolique, peut-être, sans doute – il était trop tôt pour le déterminer – entraperçue dans l’un de ces livres achetés autrefois. Il y avait là un traité de démonologie qui recensait les principales créatures infernales, classées selon leur hiérarchie et leurs caractéristiques, le tout agrémenté de gravures sorties de l’âme tourmentée de quelque sorcier ou dément, mais aussi le Petit et Grand Albert, un livre sur la sorcellerie à travers les âges, une méthode d’Allan Kardec et un dernier sur les grandes figures spectrales dûment répertoriées.

Sur le plan spirituel, autant l’admettre, mes jeunes années avaient été très agitées, et ma curiosité naturelle, encouragée par d’audacieuses lectures et par l’influence même de la demeure familiale (l’un des plus beaux exemples seine-et-marnais de style rococo-gothique), m’avait poussé, d’abord au recueillement, dans la petite chapelle du domaine, puis, sous l’influence d’une nurse un peu bohémienne, à l’étude du surnaturel. À son contact – mais en toute discrétion –, je m’étais initié à la cartomancie, au spiritisme et aux rudiments de la magie blanche. Comme tout cela était loin à présent… et si proche pourtant : je le mesurais en feuilletant ces ouvrages qui disaient, mieux que toutes les photographies d’alors ou tous les témoignages que l’on aurait pu recueillir auprès de mes proches, ce que j’avais été avec passion... Se pouvait-il qu’avec ces livres revenus de mon passé, je pusse réveiller quelque énergie endormie, le souvenir errant d’une chose grave cristallisé la nuit dernière ? Pourtant, je ne trouvais pas, dans ces pages feuilletées à la va-vite, de quoi affermir mes soupçons…

Le temps de ces réflexions, la nuit était tombée sur la ville et mon estomac dans mes talons. Je me restaurai d’une tranche de jambon maigre et de quelques crudités avec, pour toute matière grasse, ami lecteur cardiologue, une grosse cuiller à soupe d’huile d’olive. Je fis mes ablutions, avalai le remède du bon docteur et me mis rapidement au lit, pour profiter des dernières pages d’un bon roman. Peine perdue, le sommeil me surprit, presque avec violence.

Je fis alors le plus troublant des rêves. En haute montagne, les pieds chaussés de ces étranges instruments de bois ainsi qu’en utilisent parfois les Savoyards, je dévalais la pente, comme pourchassé par une grande ombre noire que je craignais planant au-dessus de moi. Je voyais le ravin se rapprocher dangereusement, mais j’étais incapable de faire le moindre mouvement utile, ni même de me laisser tomber sur le côté. Alors que je me croyais sur le point de mourir des conséquences d’une chute vertigineuse, je tombais en réalité sur une boîte en bois, à peine quelques mètres en contrebas. Allongé sur cette boîte, un peu assommé tout de même, mais tellement heureux d’avoir survécu, j’entendais alors un grattement régulier depuis l’intérieur de la boîte. Je croyais d’abord à un rongeur en train de grignoter quelque chose, mais je comprenais bientôt : il s’agissait d’ongles et, dans mon rêve, les choses (ainsi qu’elles le sont parfois lors de ces activités nocturnes) étaient parfaitement claires : il s’agissait des ongles d’une femme. Je me redressais alors et ne voyais qu’à cet instant un prénom gravé sur la boîte : Malvina. Malvina. Le prénom de mon arrière-grand-mère…

jeudi 22 novembre 2012

Les penseurs : l'historien

« Il n’y a plus de renouvellement de la population ! À quoi ça rime ? On va avoir un pays d’homos et bah alors, dans dix ans, il n’y a plus personne ! C’est stupide… c’est stupide… Regardez dans l’histoire, la Grèce, bah c’est une des raisons de sa décadence, à l’époque, décadence totale ! Bah bien sûr ! C’est l’arrêt de la famille, c’est l’arrêt du développement des enfants, c’est l’arrêt de l’éducation, c’est l’arrêt de… c’est un danger énorme pour l’ensemble de la Nation ! »
Serge Dassault, marchand d’armes en retraite, sénateur, historien amateur, sur France Culture, 7 novembre 2012.

lundi 19 novembre 2012

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse – 1re journée

1re nuit

J’avais éprouvé les pires difficultés à trouver le sommeil, contrairement à mon acolyte qui avait eu, lui, tôt fait de renouer avec Morphée, à croire qu’il avait été infecté par un parasite exotique, de ceux qui vous plongent dans une sévère narcolepsie. Je m’étais, quant à moi, tourné et retourné dans le lit jusqu’aux premières heures du jour, ayant tour à tour trop chaud ou trop froid, repoussant ou attirant à moi les couvertures, attentif au moindre bruit – en vain –, mais plus encore, victime des affres de mon cerveau qui, en dépit des consignes, s’échinait déjà à trouver des explications et des moyens d’investigation. Devais-je abandonner des morceaux de nourriture (de nature et de consistance différentes) afin de déterminer le régime alimentaire de l’animal ? – en mon for intérieur, j’implorais (à vous, je peux le confier) le Très Haut pour qu’il s’agît au moins d’une créature divine… Devais-je laisser un morceau de fromage (allégé, ami lecteur cardiologue) ? Un verre de lait ? Des biscuits ? De la poule au pot ? 

La journée du lendemain, consacrée à mes activités professionnelles, fut un véritable calvaire. Non que les « cadors » se fissent plus malveillants, plus opportunistes ou plus imbéciles qu’à l’accoutumée – ils étaient manifestement tels que je les avais laissés le vendredi précédent et tels que je les laisserais le soir. Mais, en proie à l’agitation nerveuse, je pressentais que la moindre contrariété pourrait se traduire par les plus vifs accès d’humeur. Comme pour donner raison à mes craintes, j’étais à peine arrivé que ma responsable me convoquait dans son bureau. Après m’avoir confortablement installé dans un fauteuil de cuir, elle me demanda, après moult précautions, après m’avoir assuré de ses plus cordiaux sentiments à l'endroit de ma personne, si je voulais bien m’occuper du dernier livre conçu par la direction, ouvrage promis à être un coûteux four… Je ne pus que rester muet quelques instants, le visage fermé. Au comble de mon self-control (comme disent nos voisins d’outre-Manche), je ne pus que répondre : « je préférais ne pas ». Je me levai et retournai à mon bureau pour y reprendre le cours agité de mes réflexions. 

Que fallait-il faire ? Épandre de la farine par terre afin d’identifier plus aisément les empreintes et les chemins suivis par la bête ? 

Le téléphone sonna. Je vis apparaître le numéro du responsable de ma responsable. Je connaissais la manœuvre : le ton se ferait plus appuyé, la marge de manœuvre plus étroite. Il en appellerait à ma conscience professionnelle. J’effleurai sans guère plus d’émotion le petit bouton portant la mention « Rejeter » et repris le cours de mes réflexions, non sans pester après ce pays qui autorisait le recrutement de tels butors ! 

Devais-je m’équiper d’une de ces petites caméras miniaturisées qui offrent la nuit, derrière les rideaux soigneusement tirés, des images d’une troublante obscénité – mais peut-être aussi, cette fois, le portrait du coupable ? 

Du tube translucide qui dépassait de l’un des murs de mon bureau, un pneumatique tomba soudainement, me faisant sursauter, dans le panier en osier. Je me levai en soupirant, ramassai la petite boîte, l’ouvris et dépliai la missive qui provenait du bureau de la chef du responsable de ma responsable. Je lus en diagonale. Il était question de responsabilités de fonctionnaire, de la Nation, de la Garde républicaine, de l’honneur du serviteur de l’État – mais aussi, de façon plus inintéressante encore, de Jeux olympiques, de médailles et d’avis éclairés sur la question. Je froissai, en ricanant méchamment, le courrier et le jetai dans ma corbeille. 

Fallait-il prévenir quelqu’un ? Courais-je un quelconque danger ? Le gardien, un homme d’âge moyen qui sentait fort l’alcool de contrebande, ou sa mégère, une effrayante guenon qui était à elle seule un vibrant plaidoyer en faveur de l’exogamie, avaient-ils eu vent d’une affaire similaire ? 

On frappa à ma porte. Je reconnus immédiatement le bruit typique du pommeau d’argent d’une canne contre le bois : le responsable de la chef du responsable de ma responsable entendait faire son entrée. Estimant à juste titre que je ne manifestais ni enthousiasme ni vivacité à venir à sa rencontre, il se mit d’ailleurs à vociférer : « C., ouvrez-moi nom d’un chien, je suis votre directeur ! ». 

Je me dirigeai vers la porte, mais, croisant mon regard déformé et sombre, mon visage pâle et mes joues creusées par la fatigue, dans le petit miroir qui surplombait la patère de l’entrée de mon bureau, j’eus un sursaut, ayant peur de comprendre. De l’autre côté de la porte, mon directeur braillait de plus belle, m’agonissant d’injures. Mais j’étais impuissant, comme figé d’effroi à l’idée qui venait de me traverser l’esprit… La cause de ces troubles n'était-elle pas à trouver dans ces livres anciens, rapportés de chez ma grand-mère le jour même, et ayant trait à la sorcellerie et à la démonologie, ouvrages à l’origine incertaine que je comptais compulser en vue de l’écriture d’un roman ?

Pris d'un malaise, je tombai sur le sol.

samedi 17 novembre 2012

Entracte

Quand j’étais petit, je n’étais pas grand (*) et, dans les salles de cinéma – qui portaient des noms comme le Sélect, le Rex ou l’Ermitage –, il n’y avait pas de rehausseurs en plastique : les adultes entassaient leurs vêtements sur un siège et vous posaient au sommet comme une cerise. Si cela ne suffisait pas, des voisins de siège vous prêtaient leurs manteaux. C’était parfois un peu branlant, mais rigolo, et les adultes vous faisaient remarquer, à la sortie, qu’ils appréciaient que vous ayez chauffé leurs vêtements. Faut-il préciser que tout était plus compliqué l’été ? Alors l’été, justement, l’ouvreuse en tailleur, équipée de sa petite lampe torche, faisait particulièrement attention aux enfants, veillant à ce qu’un échalas ne prenne pas place devant eux.

Il y avait un rideau rouge qui coulissait bruyamment pour découvrir l’écran. Parfois le projectionniste, peut-être à cause de ses doigts poisseux de Michoko et autres Raiders (« deux doigts coupe-fin »), coinçait le bouton qui commandait le moteur, et le rideau ne cessait de s’ouvrir et de se refermer. Ça faisait du scandale chez quelques-uns, gonflés de leur importance, et ça faisait rire les autres.

Je tiens à préciser à certains moqueurs que, non, je n’ai pas connu les actualités, mais que si les publicités vantaient des produits d’envergure nationale, elles faisaient également de la réclame pour les commerçants du coin (j’ai connu cela aussi à Paris il y a quelques années) : venez donc dîner à la crêperie, à la pizzeria, à la saladerie (**). Ma sœur, son copain et moi, nous allions manger un hamburger : il n’y avait pas encore de clowns américains, mais on trouvait déjà des hamburgers. Je me souviens des feuilles de salades, des morceaux énormes de laitue qui dépassaient généreusement des pains…

Pendant les publicités, l’ouvreuse repassait, avec son petit panier en osier sanglé derrière le cou. On lui faisait signe de la main et, si l’on était un peu trop éloigné, on faisait passer l’argent de main en main. À l’époque, personne n’aurait eu l’idée de prendre l’argent. À présent, personne n’aurait l’idée de prendre le risque. Au bout de l’allée, elle montrait les différentes confiseries une à une, et on lui faisait signe quand elle désignait celle que l’on voulait. Ma sœur m’achetait des chocolats au lait fourrés. Les carrés étaient prédécoupés, mais il fallait faire attention à ne pas faire trop de bruit lorsque l’on retirait le papier aluminium qui les couvrait.

Après c’était le noir et le film commençait. J’ai sans doute vu beaucoup de films (et d’ailleurs nombre de navets), mais le souvenir le plus précis, c’est le plaisir éprouvés à l'instant où passait une certaine publicité qui fonctionnait comme un code : oui, tu ne rêves pas, tu es bien au cinéma.



Il y a quelque temps, j’expliquais à D. que j’aimais voir les vieux films projetés à l’Accatone pour les rayures sur la pellicule et le son crachotant. Malheureusement, il se murmure que l’Accatone est en liquidation judiciaire...

_______
(*) J’ai toutefois attendu d’être adulte pour montrer mes fesses aux passants.
(**) Certaines publicités sentaient vraiment fort l'amateurisme, mais peu étaient aussi laides que celle pour le musée du Quai Branly manifestement tournée avec un vieux téléphone portable...

vendredi 16 novembre 2012

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse – 1re nuit

Tout commença dans la nuit du dimanche au lundi. C’était une nuit calme et dégagée, qui laissait scintiller un modeste quartier de lune.

Ce fut D. qui me réveilla. « Tu as entendu ? »

Il dut insister, reposer plusieurs fois sa question avant que je ne me résigne à répondre « oui ». Pour qu’il se taise enfin et que je puisse me rendormir. Mais il était trop tard : le doute, effroyable, avait distillé son noir poison en mon âme. Surtout… j’entendis bientôt à mon tour. Cela venait des communs et, pendant quelques (courts) instants, je ne fus pas loin d’être terrifié, car il ne s’agissait pas d’un de ces bruits mécaniques signalant la vie même de la bâtisse – une quelconque machine du voisinage par exemple. Non, c’était un bruit parfaitement aléatoire qui trahissait sans équivoque la présence d’un être vivant. Dans ma cuisine. En pleine nuit.

Afin de passer aux yeux de D. – et aux vôtres – pour le héros du couple (*), je me levai incontinent et me dirigeai, à pas discrets, vers la source même du danger. Sitôt la lumière allumée, le bruit cessa, mais une partie, une toute petite partie du mystère était levée : quelque chose, là, par terre, quelque chose avait folâtré dans les sacs en plastique rapportés de l’épicerie. Je jetai un coup d’œil rapide, je bougeai négligemment les sacs du bout du pied, j’en soulevai même quelques-uns, mais il était trop tard : la chose bruyante et, de fait, bien imprudente, s’était volatilisée, emportant avec elle l’essentiel de ses secrets et de mon sommeil.

Quelle pouvait être – Seigneur Dieu – cette créature ? Nous écartâmes singes capucins et autres chauves-souris : ne flottait pas dans l’air leur odeur si typiquement musquée. La méthode expérimentale nous imposait de n’exclure aucune piste. Était-ce quelque créature maléfique ? Était-ce un insecte géant ? (je ne pus m’empêcher de penser à l’oiseau gigantesque qui seul pourrait m’en débarrasser) Était-ce une mygale ou un anaconda, l’un ou l’autre échappé de l’appartement d’un voisin aux goûts exotiques, un voisin occupant son logis de façon bien peu bourgeoise ! Était-ce un rongeur ?

Il était malheureusement tard et nous étions peu équipés pour agir ; aussi décidâmes-nous de remettre au lendemain la quête d’une explication plausible. D. m’encouragea nettement dans cette voie. Était-ce parce qu’il se savait absent les jours à venir ?



_____
(*) Qui pourrait en douter, m’a-t-on fait remarquer.