lundi 20 août 2012

Sans titre

Une dame très souriante, toute bronzée, venue là accompagner son mari, dit à son voisin de table : « Tout de même, quelle contrainte, ces médicaments ! » Je n'entends pas la réponse du jeune homme auquel elle s'est adressée, mais tout dans la physionomie de la femme (son hochement de tête, son regard) dit alors la soudaine résignation, faute d'alliance. Cet échange illustre parfaitement les mécanismes de renforcement à l’œuvre : il n'y a pas beaucoup de place pour la dissonance et je nous fais parfois l'effet d'être des pèlerins du Mayflower : nous rendons des grâces en veux-tu en voilà et, surtout, pas le droit de se plaindre : on plante son maïs et on avale sa dinde sans broncher ! Je me demande si rassembler ainsi les malades pour les faire patienter pendant des heures ne relève pas, d'ailleurs, de la stratégie véritable visant le renforcement : nulle place pour le doute ou le relâchement ! Dans le cas contraire, on en repart tout honteux.

Le petit garçon a eu une biopsie - l'une des premières, je pense. Quand je lui ai demandé comment ça s'était passé, il a grimacé et a mimé « moyen » de sa main. Il a ajouté qu'il avait mal au cou. Et la grimace doit être bien en deçà de la réalité... Impasse intellectuelle, psychologique, métaphysique - que sais-je encore - totale : comment peut-on imposer cela à un enfant ? Par « cela », j'entends « maladie » (et non « traitement »), mais je suis bien emmerdé si je dois expliquer ce que je mets derrière « on ». Toutes les réponses me sont odieuses.

Un des infirmiers m'a dit hier qu'il allait bientôt quitter le service pour redevenir mobile (« rejoindre le pool »). C'est dommage, je l'aimais bien avec son sourire toujours prêt à éclater et la façon qu'il avait d'immédiatement me rejoindre dans mes délires. Je crois bien que c'est lui qui m'avait tenu la main pendant la première biopsie, notamment au moment où le cœur « tachycarde ». Nous avons à l'égard des soignants bienveillants une dette terrible, quand bien même « notre besoin de consolation est impossible à rassasier »...

La répétition d'actes de soin, de semaine en semaine ou de mois en mois, crée une sorte d'hypersensibilité chez le soigné : la moindre inflexion de la voix, la plus petite hésitation, le plus anodin haussement de sourcil nous jettent au pied de l’abyme. Pour autant, nous ne pouvons nous souhaiter des actes mécaniques...

dimanche 19 août 2012

D’où vient que le lieu ne comble jamais tout à fait mon rêve du lieu ? – et en écrivant cela, je pense exclusivement au vertige des vallées, à la hiérophanie des hauteurs ou à l'horizon océan.
J’ai longtemps cru, non sans me sentir coupable d’ailleurs, que c’était un caprice citadin ou de blasé. Il n’en est rien. Tout en arpentant l’immense plage normande d’où l'eau s’est loin retirée, je comprends que c’est un problème de temporalité.
Car c’est le minéral en moi qui vibre pour ces lieux, pour leur souvenir dès que j’en suis éloigné. Au plus profond, une impatience millénaire, et un temps pareillement éternel qu’il me faudrait leur rendre (mon usure de pierre à flanc du mont Artzamendi) – ce qui est évidemment impossible. Se serre sur ma gorge la nostalgie d’un temps où sans doute je le pouvais.
>> Naissance des roches

mardi 14 août 2012

Mystère au lavoir municipal*

Je renoue (pour un temps ?) avec l’usage de la laverie. Là où les chaussettes se séparent définitivement. Un lieu généralement folklorique.
Lorsque je vivais encore à Montrouge, une clocharde très avinée s’incrustait régulièrement dans mes lectures. Elle avait une certaine prédilection pour les bandes dessinées. Une fois, deux types un peu shootés avaient cru bon régler un différend à coups de tessons de bouteille… Contourner les pompiers et la mare de sang pour sortir le linge du séchoir en me demandant si c’était bien l’aspirine qui ôtait les tâches d’hémoglobine. Au cas où.
Rien de tout cela pour l’instant. Tout au plus d’ahuris impolis qui ne vous rendent pas votre salut et vous regardent avec leurs yeux de merlan fris. Mais une curiosité- que dis-je : une incongruité qui confine au mystère : la porte du tout petit local où sont stockés les produits d’entretien est munie d’un… œilleton. Et j'espère qu'il ne s'agit pas d'une location, car la pièce est minuscule...
Sommes-nous espionnés par un fétichiste qui espère nous surprendre dévêtus ? S’agit-il là de la cache d’un contrebandier ? Le gérant s’est-il aménagé un moyen de surveiller les incivilités ? Ce placard a-t-il une autre entrée ?
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* : l'expression "lavoir municipal" est de ma tante.

samedi 4 août 2012

Journée à Fontainebleau

Journée passée à Fontainebleau, ville des origines, si je puis dire, puisque j’y suis né, ainsi que la plupart des enfants des environs, ville où j’ai été à l’école à partir de onze ans.
J’attends ma mère, ma tante et ma grand-mère pour déjeuner, assis à la terrasse de la brasserie, en regardant passer les Bellifontains et quelques autres qui, en vingt ans, n’ont guère changé. Vieilles du premier cercle bourgeois, catholiques, raides – pardon : toniques –, cheveux gris et courts, dans leurs petits tailleurs sobres, pas toujours bleu marine, pas toujours en feutre. Elles sortent ragaillardies de la messe, et s’en vont tancer leurs petits-enfants, trop nonchalants, au repas de famille, une pâtisserie que l’on peinera à qualifier de douceur dans un sac. Tout de même, quelle contrariété, le divorce annoncé de l’aîné ! Les maris, dans leurs costumes marron ou verdâtres, un peu élimés au coude, d’une usure disons avaricieuse, laissent la messe aux « bonnes femmes » (la rare grossièreté qu’ils s’autorisent) et sont restés dans leur bureau à ruminer des choses autrement plus importantes, le plus souvent de vieux cas – médicaux ou notariés – ou bien pour écrire un courrier au député : il est prévu de se voir, quelques jours plus tard, lors de la réunion (bon vin et gibier) d’une quelconque société savante, mais l’usage de la correspondance n’a que trop tendance à se perdre et il y a de menus services à demander et à rendre.
Quelques mètres derrière, sur le même trottoir, mais à une distance sociale raisonnable, la petite bourgeoisie commerçante vient de fermer la boutique. Entre la messe et le commerce, le choix est vite fait, l’hésitation légère comme la soie. Je les regarde : il faudra bien qu’un jour quelqu’un se décide à faire une analyse comparative des nuances de blond chez les teintées de Versailles, de Saint-Jean-de-Luz, du septième arrondissement parisien ou de Fontainebleau.
J’ai été autrefois à l’école avec les enfants de ces dernières, parfois de parfaits petits porcs sans éducation, curieux de rien, que l’on mettait dans des écoles privées parce qu’il n’aurait pu en être autrement – et l’on annonçait le nom de l’école avec un petit air pincé (signe d’une fierté contrainte à une assourdissante modestie) aux cousins plus provinciaux qui, tout de même, s’enquerraient : « Bon sang, qui était donc ce saint ? »
Les touristes flânent. La part de Chinois dans les consciencieuses colonnes asiatiques a progressé, aux dépens des Japonais devant l’objectif photo desquels, autrefois, il nous prenait parfois de jouer, histoire de les savoir repartir avec autre chose que les seuls vestiges mille fois rapiécés d’une cité impériale trop jalouse de Versailles pour rester parfaitement digne.
« Il y a un feu d’artifice pour le 14 juillet ? » J’ai posé la question à ma mère, par association d’idées, en voyant une affiche annoncer celui du mois d’août. Pour la Saint-Louis. « Tu plaisantes ? Pour une fête républicaine ? »
J’ai si peu de souvenirs de cette ville où j’ai pourtant été à l’école sept ans que c’en est presque troublant. Est-ce à cause du mépris qui aiguillait les rêveries de quelques-uns d’entre nous (grands saccages de la ville, bolcheviques ou surréalistes), lesquelles laissaient si peu de place au réel ?
Assis à la terrasse de ce café encore, regardant passer cette foule mêlée de touristes et de résidents, je me suis revu à cette même place quinze ans plus tôt, et je me suis souvenu, tout de même, du terrible ennui éprouvé toutes ces années. M’est revenue la mémoire de textes de jeunesse (poèmes et prose), écrits faute d’oser le anywhere out of the world ou le saccage véritable, des textes qui mimaient inlassablement (plus qu’ils n’évoquaient) l’ennui, celui de l’adolescence, qui disaient le morne intime, plus épais à Fontainebleau encore que dans les tristes après-midis de ma chambre en novembre. La découverte terrible de la vacuité lorsque l’enchantement de l’enfance nous quitte et que rien encore ne peut se déverser dans ce vide.