mardi 26 mai 2009

De l'absence



Retourner sur le chemin de la colline et veiller l'absent chaque jour. Les yeux se portent au loin, sur les contreforts de la montagne, là où la neige marque le temps. Les chiens aboient dans une autre vallée et leurs plaintes résonnent entre les arbres, courent dans les fossés. Dans le vent glacial de l'hiver passent les bourgeons ; et les petits fruits rouges tuent parfois les bêtes dont on ne retrouve rien, sous le tapis de feuilles brunes. À la fonte, les rus descendent en sentier jusqu'au creux de la terre et de petites araignées d'eau, venues de nulle part, du monde au ventre plein, glissent sur les mares, gobées par les grenouilles qui cherchent la force de la ponte. Les cloches sonnent, quelque part dans les vallées, rythment nos vies de paysans, et jamais n'annoncent son retour. Et il resta là dans sa cour, là où venait mourir le chemin, assis sur son banc que couvrait peu à peu le lierre ; parmi les roses trémières, les mauvaises herbes et les buissons épineux sous lesquels, un jour, il disparut.

dimanche 17 mai 2009

De la concupiscence

Le soleil enfin s'impose, par-dessus les toits de Paris et le bleu du ciel flotte quelque part sur les vitres. Furieuse envie de sortir. Marcher, prendre un bus peut-être et me poser quelque part, boire un verre, regarder passer les gens. ... Je redescends la rue de Belleville. Dans une petite rue adjacente, un concert anime la foule. Je me faufile et observe quelque temps les jeunes et les autres qui s'égayent. Lente montée de la concupiscence pour les hommes de Belleville, mais j'abandonne les petits blonds un peu sales et les bruns à la coule - tous s'appellent Manu et jouent sans doute du djembé -, flanqués de leurs Laetitia, Fanny, Aurélie... pour scruter dans les regards, alors que je me suis assis à l'angle du boulevard, le désir désordonné ou inédit, le plaisir réclamé immédiatement. Remonte en moi le souvenir de l'assouvissement un peu brutal, les mains qui s'impatientent, le temps qui manque pour arriver jusqu'à la chambre ou même l'ascenseur. Le bruit mat des boutons qui cèdent dans un coin à peine sombre. Plaisir des yeux - pas seulement - posés sur les torses - pas seulement. En des moments étranges, je baisse la garde et j'avoue la bestialité (envie du rapt et la terrible peur, la réification que baignent mes envies d'écume, le souvenir de l'homme, sa force et sa honte).

vendredi 8 mai 2009

D'un visage revenu de nulle part

 

Je me suis réveillé le cœur détendu par un rêve de quelques secondes à peine, et qui ne m'a rien laissé des instants charmants que je venais de partager avec un jeune homme de 17 ans.
Dans le trajet brumeux du métro, mon regard courant de visage en visage, et Bach à mes oreilles pour donner un peu de tempérance aux minutes à tuer, dans les secousses de la ligne 8, dans les arrivées et les départs des visages inconnus, me sont revenus les linéaments d'un rêve plus ancien dont j'ai fini - regard concentré posé contre la vitre, respiration incertaine - par retrouver la moelle et la douceur. J'étais en week-end à la campagne chez une amie, allongé sur un de ces vieux lits étroits et mous, contre le torse blanc d'un tout jeune homme de 17 ans lui aussi. Il avait de beaux cheveux noirs et quelques mèches ciselaient irrégulièrement l'arrondi de son front. Je me souviens d'une chambre mansardée et du contact du papier peint abîmé et désuet : de minuscules fleurs bleues, serrées les unes contre les autres, sur un fond blanc crémeux. Je me souviens du danger - il était mineur - et de la tranquillité avec laquelle il envisageait l'entrée de notre hôtesse dans la pièce. On s'aimait, disait-il, ce qui suffisait à venir à bout de toutes les peurs, du moins dans les instants suspendus du bonheur de cette chambre. Il renonçait là, devant moi, au doute et à la peur, et le temps de la paix, du mystère de l'autre enfin levé, durerait mille ans. Je m'étais réveillé calme et doux, triste et seul. Étonné aussi : la jeunesse ne suscite en moi que peu d'émotions généralement.
Et j'ai emprunté les couloirs du métro. Ça sentait l'urine, la fatigue, les foyers abandonnés à regret, je dévisageais les hommes et les femmes à la grise mine, sur le point de renoncer au souvenir de ces deux rêves qui se faisaient écho à quelques mois.
Mais alors que je m'installais sur un siège de la ligne 1, détendant mes jambes, appuyant ma joue contre la vitre un peu tiède, est remonté à la surface, des tréfonds de ma mémoire, le souvenir un peu flou d'une scène souvent répétée alors que j'étais en terminale au lycée.
Entre deux cours, Caroline et moi avions l'habitude de nous installer un peu à l'écart des autres, sur un palier. Assis sur les marches poussiéreuses de l'escalier en bois, solitaire, mais à deux mètres seulement de nous, un jeune homme blond, d'un an plus jeune, restait là silencieux à nous regarder à la dérobée, écoutant peut-être ce que nous disions derrière son air un peu triste. Depuis notre bulle, nous n'avons jamais, je crois, songé à lui demander son prénom, ni même, évidemment, s'il voulait prendre part à nos conversations. Mais je sentais son regard et je connaissais la joliesse de ses traits, une belle peau blanche, un lointain cousin, peut-être, d'Hermann, Peter, Helga ou Hans. Et à 15 ans de distance, ma tête ploya sous la peine : la beauté croisée et qui laisse quelque chose d'une brûlure.