jeudi 22 mai 2008

Je me souviens V (fac)

Je me souviens de mes premières semaines à la fac et de mon sentiment de liberté.

Je me souviens d'avoir révisé mes cours de psychopathologie de l'enfant (le stade schizoparanoïde de Melanie Klein) à Sancerre où nous campions le temps d'un week-end, en famille, et de la réflexion d'une de mes tantes : « tu ne vas pas me faire croire qu'un bébé est autre chose qu'un tube digestif ! ».

Je me souviens des angoisses lisibles sur le visage de tous les étudiants à l'évocation des symptômes de la schizophrénie et des paroles rassurantes de l'enseignant amusé.

Je me souviens d'un job d'été à la piscine où je nettoyais les vestiaires, y compris ceux des femmes.

Je me souviens être sorti avec Caroline, rompant ainsi le cycle de nos amours platoniques.

Je me souviens de cette fameuse soirée, allongé sur mon lit où je tentais de faire comprendre à Hélène, sans trop en dire, que j'aimerais vraiment revoir son si sympathique copain gay.

Je me souviens d'avoir écouté à multiples reprises une chanson de Thiéfaine, Les Dingues et les Paumés.

Je me souviens d'avoir embrassé G., assis sur un tronc d'arbre, sur l'Île du Martin-pêcheur.

Je me souviens de mes angoisses, les premières fois, qui me portaient au bord de l'effondrement.

Je me souviens du café, rue Saint-André-des-Arts, où j'en ai parlé à Juliette, du bonheur que son regard encourageait.

Je me souviens de mes sorties de jeune homo, de mon sentiment de toute-puissance.

Je me souviens du départ de mon père.

Je me souviens du mien, pour l'aventure d'une collocation.

Je me souviens des voisins qui avaient tous signé une pétition pour qu'on quitte l'appartement.

Je me souviens de nos fêtes permanentes.

Je me souviens de cette inconnue mariée qui me téléphonait étrangement et m'avait envoyé de l'argent.

Je me souviens de mon arrivée à Jussieu.

Je me souviens de Marie Depussé.

Je me souviens de Yohanna, présentée par Juliette, de notre longue conversation autour d'une crêpe, de notre trouble devant l'évidence avec laquelle cette amitié s'imposait.

Je me souviens de ma première séparation douloureuse.

Je me souviens de la première fois que j'ai vu Alain, du rêve qui a suivi et qui sonnait comme une promesse infinie, et du nom que je lui donnais entre nous : le funambule.

Je me souviens de l'avoir appelé, quelques mois plus tard, pour qu'il me dise que j'avais raison de partir à Rennes retrouver un garçon rencontré peu de temps auparavant.

Je me souviens d'avoir abrégé le voyage.

Je me souviens d'avoir eu sincèrement peur d'être tombé sur un vrai psychopathe et d'y laisser ma peau.

Je me souviens de mon premier vrai travail et de ma démission avec fracas.

Je me souviens de nos nuits sans fin, avec Juliette et Pierre, chez Carmen.

Je me souviens du jeune travesti au délicieux accent toulousain qui m'avait dit, après m'avoir embrassé : « je suis aussi mignon en garçon qu'en fille, tu sais... »

Je me souviens de M. me demandant timidement s'il pouvait m'embrasser.

Je me souviens d'avoir cru que plus rien de bon ne m'arriverait jamais.

Je me souviens de mon cœur se serrant de peur et de désir au phare de Biarritz.

Je me souviens, le soir de mes vingt-cinq ans, d'avoir pensé à l'inquiétant rêve que j'avais fait étant petit, dans lequel on m'annonçait que j'allais mourir à vingt-quatre ans.

Je me souviens de la boule que j'ai sentie dans le creux de mon aisselle droite ce même soir.

Je me souviens de la tête de la femme du laboratoire qui m'a tendu mon bilan sanguin, et de sa question : « vous revoyez votre médecin très vite ? »

Je me souviens de la fête de la musique passée à la Pitié-Salpêtrière où des musiciens étaient venus distraire malades et infirmiers.

Je me souviens de m'être dit que, malgré les difficiles mois à venir, je ferais tout pour ne pas céder à la mise en scène complaisante du corps malade.

Je me souviens d'avoir échoué, parfois, notamment en me rasant la tête.

Je me souviens d'avoir été fier de ne pas devenir croyant.

Je me souviens de ma dernière soirée avec M., de trois doigts qu'il a serrés fort dans sa main.
 

Commentaires

Joss te dirait : quelle belle liste, on se sent ému en la parcourant...
Moi, j'en finis par me dire que c'est horriblement frustrant de lire tout ça sans pouvoir ouvrir les portes et savoir ce qu'il y a derrière !!! Il faudrait une note pour chacun des 'je me souviens'... Je sais, je suis trop exigeant... Mais j'avoue que je suis particulièrement alléché par l'histoire de "cette inconnue mariée qui me téléphonait étrangement et m'avait envoyé de l'argent".... Raaa ! J'en meurs de curiosité....
Écrit par : Lancelot | 23 mai 2008

:-) (pour la convocation de Joss)
Ce que tu me dis me donne envie d'en refaire une série - mais complètement inventée. Comme un autre possible. A creuser.
Pour la mystérieuse inconnue... oui, c'est une histoire assez amusante, d'autant que mon copain me faisait des scènes !
Écrit par : christophe | 24 mai 2008

Ah oui, une série complètement inventée serait sympa. Pour ce qui est de cette liste, j'aime beaucoup le passage d'un sentiment à l'autre (comme la vie d'ailleurs).
Le souvenir du travesti m'a fait rire^^ mais comme l'a dit "Lancelot", on a envie d'en savoir plus (je demande donc aussi une note pour chacun de ces "je me souviens" ah bah oui!).
Écrit par : Fayçal | 24 mai 2008

Aaaah oui, mais si c'est inventé, c'est plus pareil !!!! ça n'a plus trop d'intérêt justement.... enfin, à mon avis... Pas la peine de chercher à pousser la porte si l'on sait qu'il n'y a pas de réalité derrière...? On peut broder à l'infini, là :
"Je me souviens de ce jour où je m'étais caché dans un placard des vestiaires des rugbymen après leur match"
"Je me souviens de mes voisins qui élevaient des pythons dans leur appartement de 20 metres carrés"
"Je me souviens de ma petite soeur qui a réussi le concours d'entrée à l'ENA à 12 ans"
"Je me souviens de ma chambre dont le mur s'ornait d'un poster représentant un chimpanzé monté sur un tricycle jaune"
"Je me souviens de ma passion pour les gaufrettes fourrées à l'anchois et à la mirabelle..."
"Je me souviens de cet amant qui exigeait de me ligoter nu à un chêne centenaire, avant de revêtir sa combinaison de plongée pour me chatouiller l'anus avec une plume de paon..."
etc etc etc...
(je jure que tout est inventé, rien n'est vécu ! Surtout le dernier ! LOL)
;-))
Écrit par : Lancelot | 25 mai 2008

L'intérêt serait peut-être de simplement construire une histoire en creux, voir comment chacun peut la compléter, se l'approprier... Tenter de la rendre vraissemblable. Mais enfin, c'est curieux comme ça "perdrait de l'intérêt" à tes yeux, comme si la "vérité" apportait nécessairement une valeur ajoutée.
Quant au dernier item, c'est amusant car c'est exactement ce que je proposais autrefois à un amant (à quelques détails près)... ;-)
Écrit par : christophe | 27 mai 2008

lundi 12 mai 2008

Je me souviens IV (lycée)

Je me souviens du bar des sports, des patrons si gentils, du caniche et du piano désaccordé sur lequel nous nous acharnions.

Je me souviens de nos séances de spiritisme.

Je me souviens du cours de théâtre et de la mauvaise pièce que la prof nous avait imposée.

Je me souviens d'avoir joué des scènes de l'Antigone d'Anhouil avec une copine que je trouvais très jolie.

Je me souviens qu'elle était régulièrement enceinte du démon.

Je me souviens du voyage aux États-Unis, de mon correspondant sans intérêt, de ses frères si sexy, de leur mère si étrange et de leur père si sympathique avec lequel j'allais fumer des cigarettes dans le jardin.

Je me souviens de m'être grisé dans les rues de New York.

Je me souviens de la jeune Américaine, tout appareil dentaire dehors, qui croyait que je lui avais acheté un singe en peluche.

Je me souviens de mon premier baiser avec une jeune fille, très douce, gentille, et de mon inappétit.

Je me souviens d'une autre jeune fille, ravissante, au regard magnifique, nettement plus délurée que moi.

Je me souviens d'avoir inventé une histoire d'amour un peu tragique durant des vacances d'été, qui me permettait d'expliquer, sans rien dire, bien des choses.

Je me souviens d'être tombé amoureux le temps d'un regard, et pour longtemps platoniquement, de Caroline.

Je me souviens d'une fille qui était amoureuse de moi et que je n'embrassais que quand j'étais saoûl.

Je me souviens d'une autre fille qui m'avait dit « tu as beaucoup de charme quand tu parles ! » et du fou-rire qu'on avait eu.

Je me souviens d'avoir fait quasiment tous les devoirs d'allemand d'un copain de classe dont j'étais amoureux.

Je me souviens d'avoir gardé son écharpe le temps des vacances de Noël.

Je me souviens d'avoir organisé une grève pour dénoncer son renvoi que je jugeais officiellement abusif et officieusement tragique.

Je me souviens de mes rapports conflictuels avec le prof d'histoire-géo.

Je me souviens de mon premier job d'été avec des enfants à l'histoire familiale déchirante, sous la direction d'une alcoolique.

Je me souviens de m'être disputé avec l'examinatrice qui me faisait passer l'oral d'anglais.

Je me souviens d'avoir crié au scandale en cours de maths lorsqu'on nous a expliqué que, contrairement à ce qu'on nous avait dit jusque là, la question du calcul de la racine carré d'un nombre négatif se posait.

Je me souviens de notre inculture, de ce que nous croyions être la culture.

Je me souviens de mon premier pet'.

Je me souviens des dernières vacances avec mes parents.

Je me souviens d'avoir fait du minitel rose.

Je me souviens de la comédie de ma mère lorsqu'elle avait appris que je fumais.

Je me souviens de mes premiers poèmes – que je n'ai pas déchirés dans un élan théâtral et qui, au contraire, m'ont beaucoup amusé il y a peu lorsque je les ai relus.

Je me souviens d'avoir tenté d'aller dans le public pour y prendre le russe en troisième langue.

Je me souviens de mes sorties, pour chaperonner ma cousine, dans une pathétique boîte de lointaine banlieue, de ses amours sans fin avec les videurs.

Commentaires


-et quelle était la raison de la dispute avec l'examinatrice d'anglais ????
-et pourquoi il avait été renvoyé, l'amoureux germaniste à l'écharpe ????
-et combien il en avait, de 'frères sexy', le correspondant américain sans intérêt...???? (quel dommage, s'il y en avait plusieurs, d'être tombé sur çuilà, hein....)
Écrit par : Lancelot | 13 mai 2008


La raison de la dispute ? Une histoire de in/to my opinion et de in/to my mind. Ca a malheureusement achevé de me dégoûter de cette langue pourtant merrrrrveillllleuse (je flatte mes rares lecteurs majoritairement anglophones !!)
Quant à l'amoureux à l'écharpe, il faut bien avouer qu'il n'en foutait pas une rame ! Mais quelle écharpe !
Enfin, il n'y avait que deux frères sexy - mais c'était bien assez !
Écrit par : christophe | 14 mai 2008

sans chercher à en savoir, plus, j'aime beaucoup ces petits morceaux de vie
Écrit par : joss | 14 mai 2008

Je me souviens III (collège)


Je me souviens que j'ai perdu de vue la plupart de mes copains de l'école primaire, éparpillés dans tous les collèges de la région.

Je me souviens des coupons qu'il fallait découper le matin et le soir pour les donner à l'intransigeant – et somme toute assez crétin – chauffeur de car.

Je me souviens de la prof d'allemand, de sa drôle de tête en forme de poire et de ce qu'elle braillait parfois à mon copain Stéphane : « Du schläfst ! »

Je me souviens de la réflexion de Béatrice (« Oh, les bébés ! ») parce que, un des tout premiers jours de sixième, je jouais au chat avec un copain. Je me souviens ne plus y avoir joué dès lors.

Je me souviens de la prof de physique psychorigide qui avait exigé un cahier à spirales pour pouvoir arracher hystériquement les feuilles si on n'avait pas sauté trois lignes et laissé six carreaux d'espace avant d'écrire le titre.

Je me souviens de la prof de français un peu niaise en sixième que j'ai retrouvée des années après pour les cours de latin.

Je me souviens du prof d'histoire qui mettait parfois une corde à la place de sa ceinture.

Je me souviens d'un voyage scolaire dans le Périgord, de la comédie que faisaient P.-B. et E., amoureux en froid, des efforts des profs accompagnateurs pour les réconcilier, de P.-B. menaçant de se suicider en se jetant dans un ru et du sérieux outré que l'on mettait dans tout ça.

Je me souviens d'une retraite dans un couvent (!), de l'arbre devant lequel, près du cimetière des bonnes sœurs, E. et moi sommes tombés à genoux, choisissant, entre plusieurs puissances possibles, celle de la végétation.

Je me souviens du 45 tours Nothing gonna change my love for you, que ma cousine Sophie m'avait offert pour ma communion.

Je me souviens que ma mère prenait tout ça très au sérieux : essayage d'aubes, répétitions, etc., laissant libre cours à ses élans mystiques un peu délirants.

Je me souviens de confes'.

Je me souviens que P.-B. m'a « puni », pour une remarque qu'il n'avait pas appréciée, en m'isolant du groupe que nous formions avec d'autres moutons autour de sa petite personne.

Je me souviens d'avoir été traité de pédé par C. à cause d'une œillade sans doute plus explicite pour lui que pour moi.

Je me souviens d'avoir été profondément malheureux cette année-là, d'avoir éprouvé dans toutes ses nuances le sentiment de honte.

Je me souviens d'une extraordinaire prof' de français en troisième qui m'a donné envie d'être psychologue, qui m'a aidé, peut-être, à mettre un peu de distance.

Je me souviens de m'être fait agresser par cinq six garçons plus âgés dans une rue discrète et d'avoir défendu coûte que coûte (malgré le coup de boule un peu malheureux de l'un d'entre eux, finalement tombé sur le cul, et la lacrymo) le Walkman que ma sœur m'avait prêté.

Je me souviens du ravissement dans lequel me plongeait la vue de deux copains de classe, redoublants.

Je me souviens d'une boum assez inintéressante chez une camarade de classe et du débat pour savoir comment nous appellerions cela (boum ? soirée ?).

Je me souviens d'avoir perdu en un été le poids excédentaire que j'avais patiemment emmagasiné depuis la sixième : je quittais le collège.
Je me souviens de ma déterminante rencontre avec Juliette, une amie plus âgée de ma cousine, qui n'a cessé de m'accompagner depuis.

jeudi 8 mai 2008

Des retrouvailles


Retrouvailles. Ce matin, O. dort encore, Paris est ensoleillée. Coup de fil à mon directeur de thèse. « Avez-vous eu le temps de bien la lire ? » « J’ai bien survolé ». Il faudra que je m’en contente et tant mieux : la journée est trop belle pour que je me livre pieds et poings liés aux angoisses universitaires. Rendez-vous est pris pour un dîner jeudi prochain. « S’il fait beau, on essaiera de se trouver une terrasse. » J’aimerais bien aller chez Bichi, si son restaurant existe toujours. 
Je croise ma gardienne dans l’ascenseur qui vient de nourrir les chats du huitième. « Il faut bien s’entraider ». Je lui explique qu’une amie anglaise, à qui je vais sans doute laisser mon appartement un de ces soirs, glissera les clés dans la fente de la porte de sa loge le lendemain matin. « On manque de grosses pierres sous lesquelles cacher les clés ». En disant cela, je pense à la statue de l’éphèbe qui orne l’entrée du sauna tout proche. Mais il est insoulevable. 
Je traverse le passage des Panoramas. Le gentil monsieur du restaurant indien passe un coup de balai devant son établissement. Quelques boutiques, cafés, sont sur le point d’ouvrir mais avec une indolence reposante. Un peu de monde sur le boulevard. Les touristes traînent leur plaisir, la carte à la main. Au moins, depuis que la station Rue Montmartre a été rebaptisée Grands Boulevards, ne s’attendent-ils plus à être aux pieds de la butte à la sortie du métro. 
Je flâne dans le passage Jouffroy, puis dans le passage Verdeau. Je repère un ouvrage anglais sur le constructivisme russe. Il faudra que je repasse un jour d’ouverture. 
Je m’installe rue Cadet pour boire un café, ouvre un carnet, un peu perturbé par la conversation animée de bobos qui évoquent des problèmes d’appartements de 180 m2. Un petit vieux rabougri, inquiétant au volant de sa voiture, peine à monter la rue soudain surélevée d’un demi-centimètre. Ça fait un peu peur : le moteur de sa voiture pourtant pas vieille fait un bruit de tous les diables. Il est immatriculé dans les Hauts-de-Seine. Est-il vraiment venu seul jusque-là ? Il a l’air de ne même plus avoir la force d’appuyer sur l’accélérateur, ce qui est par contre plutôt rassurant. Peut-être a-t-il fait une fugue… 
Retrouvailles chaleureuses avec Paris qui n’est pas, qui n’est pas toujours, comme on le dit parfois, ce monstre froid. Certes, on peut y être parfaitement anonyme et seul sans troubler qui que ce soit. Pour peu que l’on se sente abandonné, la solitude de ces milliers d’individualités abîmées – les petits vieux, les hommes et les femmes de tous âges, d’ici ou d’ailleurs – vous saute au visage et vous visserait volontiers les genoux dans l’asphalte. Mais aujourd’hui, grâce au beau temps peut-être, tout semble momentanément et assez honteusement apaisé.
Commentaires 
Cette note me fait un peu penser à "Ulysses" de Joyce, où les pensées de Leopold Bloom vagabondent en même temps que ses déambulations dans Dublin...
J'aime ce Paris que tu décris, celui où il fait soleil et l'on regarde les gens depuis une terrasse de café..
Écrit par : Andesmas | 11 mai 2008
Ah Joyce... je crois me souvenir que V. Woolf était plutôt opposée à ce que Léonard le publie... Quant à Karl Radek, il vitupérait le « tas de fumier où s’agitent des vers, fixé à l’aide d’un appareil de prise de vue, à travers un microscope »
Comme quoi, même les grandes dames peuvent se tromper et les membres du Komintern dire des conneries ! ;-)
Plus sérieusement... merci pour tes encouragements.
Écrit par : christophe | 14 mai 2008

mardi 6 mai 2008

Je me souviens II (école primaire)

Je me souviens de mes premières vacances en Ardèche durant lesquelles j’ai appris à nager.

Je me souviens d’avoir joué au docteur avec ma cousine plus jeune.

Je me souviens d’avoir été officiellement le fiancé de Suzy, Évelyne, Sandrine et Marine.

Je me souviens d’un garçon plus âgé qui a essayé de m’embrasser.

Je me souviens avec bonheur de toutes mes institutrices.

Je me souviens d’avoir fait perdre ma classe à un jeu ayant pour thème l’astronomie en répondant Sirius à la place de Soleil.

Je me souviens d’avoir pris beaucoup de plaisir à faire une petite tapisserie pour la fête des mères.

Je me souviens d’avoir pensé « qu’il est beau » en regardant mon copain Olivier jouer au foot.

Je me souviens du film Hitcher et de la peur que j’ai eue.

Je me souviens des courses de vitesse que je faisais à béquilles, avec ma jambe dans le plâtre.

Je me souviens être resté coincé six heures dans un train à l’arrêt avec ma grand-mère.

Je me souviens d’une petite tempête qui a fait s’écrouler sur moi en pleine nuit la tente où je dormais.

Je me souviens ne plus vouloir aller chercher de l’eau à la cave à cause du film Amityville dont ma sœur m’avait fait le résumé.

Je me souviens du poster de Snoopy que je ne cessais de copier.

Je me souviens de mon copain Bertrand en larmes parce que sa mère s’acharnait à lui faire apprendre une leçon sur la préhistoire.

Je me souviens du fou-rire de la si gentille directrice qui, lors d’une interrogation orale sur le corps humain et alors qu’elle m’aidait à dire le mot « tendons » (« tend… ? tend… ? »), s’entendit répondre : « tendeur ».

Je me souviens de la remarque indignée d’Évelyne, une camarade, alors que j’exhibais fièrement mon Pif Gadget : « Tu lis des journaux communistes ! »

Je me souviens de la réponse de la même Évelyne, décidément très réactionnaire, à mon innocente question de savoir pourquoi certains catholiques n’aimaient pas les Juifs : « Parce qu’ils ont tué le Christ ! »

Je me souviens d’avoir cessé de croire en Dieu.

Je me souviens de la mort de mon oncle Gino.

Je me souviens de l’annonce de la mort d’Isabelle et de ma réponse aussi paniquée qu’inadaptée : « Et alors ? »

Je me souviens de l’escalier qu’on m’a fait monter alors que ma jambe cassée n’était pas plâtrée.

Je me souviens d’avoir gagné un petit et humiliant nécessaire de couture à un cross où je n’avais guère brillé.

Je me souviens d’une très gênante visite médicale scolaire durant laquelle j’ai pris ma mère en grippe.

Je me souviens des parties de billes avec mon père dans le salon.

Je me souviens que deux camarades de classe sont tombés dans le bassin – après avoir tout fait pour – à un goûter d’anniversaire, et de la crise d’hystérie d’une des mères.

Je me souviens m’être battu avec Alexis.

Je me souviens d’avoir écrit « le soleil est notre propre espoir de vie » sous une peinture (!) faite en classe.

Je me souviens des boulettes de papier toilette que nous lancions au plafond après les avoir trempées dans l’eau – et de nos fous-rires dans l’attente fébrile de leurs chutes. 

Je me souviens d’un voyage scolaire à Lyon.

Je me souviens d’une pièce de théâtre où je tenais deux rôles : le fermier et le cochon.

Je me souviens d'avoir voulu être une fille.

Je me souviens d’être passé d’une maigreur maladive qui paniquait ma grand-mère à un début d’obésité.

Je me souviens d’avoir parlé du néant avec Stéphane.

Je me souviens des enquêtes policières que nous menions au bord de la rivière, Bertrand, Alexis et moi.

Je me souviens des terribles histoires de noyades que l’on me racontait.

Je me souviens d’une institutrice que nous appelions Skeletor et qui semblait avoir cent ans.

Je me souviens d’une chanson très « catho de gauche » qu’on nous faisait chanter (« Oui, nous referons un monde, pleins de fleurs et de colombes, un immense champ de blés, où il fera bon s’aimer. »).

Je me souviens d’avoir fait tomber le magnétophone du petit ami de ma sœur et d’avoir éprouvé une immense angoisse tout le temps qu’a duré sa réparation.

Je me souviens d’avoir joué à l’instituteur avec ma voisine qui avait eu une fracture du crâne et avait un peu perdu la mémoire.

Je me souviens de lui avoir inventé un médicament à base de lait et de cannelle.

Je me souviens de m’être réfugié chez elle lorsque la chienne de ma grand-mère, Puce, est morte d’un arrêt cardiaque.

Je me souviens de la petite chienne que ma sœur avait trouvée à Paris, Uxie, et de la réflexion de ma mère en la voyant pour la première fois : « Oh, on dirait un rat ».

Commentaires
Ce que j'aime, dans ces deux notes, c'est comment des bribes de sens peuvent créer du sens. J'aime imaginer les liens qui se tissent et se détissent entre chaque "je me souviens", et comment le vide de l'entre-deux peut laisser une place à nos propres souvenirs. Car finalement, ce que tu racontes là nous renvoie aussi à notre propre enfance... Alors merci! 
Écrit par : Andesmas | 11 mai 2008
 
Tu sais, c'est un petit "exercice" très agréable à faire...
Écrit par : christophe | 14 mai 2008

lundi 5 mai 2008

Je me souviens I (école maternelle)

Joe Brainard (1941-1994), I Remember, Actes Sud, 2002 (1970).
Georges Perec (1936-1982), Je me souviens, Hachette, 1978.

Je me souviens avoir couru dans le sable et être tombé la main sur une guêpe ; j'ai été voir ma grand-mère, en pleurs, en expliquant qu'une « vilaine Maya » m'avait piqué.

Je me souviens d'avoir joué à être poursuivi par les crabes que j'avais ramassés avec mon père en Bretagne et que nous avions relâchés.

Je me souviens de la pièce sombre et poussiéreuse où l'institutrice nous emmenait faire la sieste ; il y avait un grand téléviseur recouvert d'un drap : je me demandais quels enfants en profitaient.

Je me souviens de ma mère revenant un vendredi soir et m'annonçant, alors que je regardais les Maîtres de l'Univers, que je ne reverrais pas Pepsi, notre vieille chienne malade que le vétérinaire venait de piquer.

Je me souviens du goût et du contact poisseux des Coquelicots que je mangeais chez ma grand-tante Suzette.

Je me souviens de l'étang de Bléneau où nous allions parfois camper, avec oncles et tantes, et de la comédie que je faisais pour ne pas en faire le tour à pied.

Je me souviens avoir uriné une fois en même temps que mon père dans les toilettes.

Je me souviens de l'effroi et de la honte éprouvés au réveil quand on a fait pipi au lit.

Je me souviens du contact sur ma peau des maillots de bain en éponge.

Je me souviens de ne m'être jamais vraiment posé la question de savoir d'où venaient les bébés.

Je me souviens d'avoir éprouvé un certain trouble devant un documentaire sur l'haltérophilie, regardé chez une vieille et lointaine cousine du nord, de sa remarque (« Qu'est-ce qu'il a ce gamin-là à regarder ça ? ») et de la gêne qui en a suivie.

Je me souviens de la collection de figurines schtroumpf de mon cousin, et de ses reproductions des vaisseaux et personnages de la Guerre des étoiles (à l'époque, on ne disait pas Star Wars).

Je me souviens du grand serpent empaillé qui était chez eux, dans l'escalier.

Je me souviens d'un ami de vacances qui s'appelait Steeve Denis.

Je me souviens de la cour d'école où nous ramassions de petits cailloux blancs, un peu translucides, que nous croyions être des diamants.

Je me souviens avoir fait semblant, avec Stéphane, de jouer au piano sur le petit décrochement du mur de la maternelle.

Je me souviens du bonbon qu'on nous donnait après un laborieux cours de solfège.

Je me souviens d'avoir éprouvé le sentiment d'immensité dans le jardin de mes parents.

Je me souviens des blagues que je faisais au moment du coucher en me cachant derrière la porte avant d'appeler mes parents.

Je me souviens d'avoir fait un petit lit à mon chien en peluche Toutou.

Je me souviens de l'odeur des marqueurs de mon père.

Je me souviens d’avoir feuilleté avec mon père, un dimanche matin dans la cuisine, un catalogue de jouets en vue de la seule et unique lettre écrite au Père Noël.

Je me souviens d’avoir choisi un mange-disques orange.

Je me souviens d’avoir écouté jusqu’à l’écœurement Sacré Charlemagne.

Je me souviens de la porte horizontale, en haut de l’escalier menant vers l’étage où se trouvait la mystérieuse chambre de ma grande sœur.


Commentaires

que de sourires en lisant ces lignes. merci de partager ça.
Écrit par : Joss | 06 mai 2008

> Joss, je t'invite à lire les auteurs que j'ai vaniteusement plagiés. En tout cas, c'est toujours amusant de voir que des souvenirs aussi laconiques et personnels trouvent un écho - après déformation, après rattachement à d'autres souvenirs peut-être (et tant mieux) - chez autrui.
Écrit par : christophe | 08 mai 2008

"Je me souviens d'avoir éprouvé un certain trouble devant un documentaire sur l'haltérophilie, regardé chez une vieille et lointaine cousine du nord, de sa remarque (« Qu'est-ce qu'il a ce gamin-là à regarder ça ? ») et de la gêne qui s'est ensuivie."
Je l'ADORE, celle-là. Elle me fait hurler de rire. Surtout d'imaginer l'allure soupçonneuse de la 'vieille et lointaine cousine' en question. IRRESISTIBLE !
Écrit par : Lancelot | 13 mai 2008

La vieille cousine était plutôt du genre peau-de-vache. Un jour je me suis vengé (je pouvais être assez peste, à l'occasion, avec les adultes que je préférais par ailleurs aux enfants de mon âge) : alors qu'elle se maquillait dans la salle de bain de mes parents, je lui ai dit quelque chose comme : "tu peux faire tout ce que tu veux, tu seras toujours aussi moche !". Je n'en avais gardé aucun souvenir mais on me l'a répété...
Écrit par : christophe | 14 mai 2008