Des gamines – des Kevina – ont investi le lavomatic en passe de devenir la dernière permanence à la mode. Il y a les bouteilles de soda, les paquets de gâteaux et les cigarettes fumées les unes après les autres. Mais il y a bien pire : les conversations. Et autant je peux m’éclipser le temps du lavage, autant je préfère rester là le temps du séchage, l’occasion de constater, aussi, que, ça y est, je suis sans doute passé de l’autre côté : je suis le vieux con de l’affaire.
Renonçant à la relecture que j’avais emportée avec moi et sur laquelle il m’était tout bonnement impossible de me concentrer, j’ai sorti mon carnet pour prendre des notes.
J’ai pris le temps d’y réfléchir, j’ai essayé de m’en souvenir, mais je n’y suis pas parvenu : vraiment, étions-nous aussi caricaturaux ? D’accord, les années « collège » étaient assez pathétiques, notamment sur le plan vestimentaire, puisque c’était tout de même le triomphe (éphémère, heureusement) du fluo et des smileys, des chaussures en toile bariolées et des casquettes à rayures. J’allais oublier les pin’s. Mais à 15 ou 16 ans ? Nos conversations étaient-elles aussi ineptes ? Se peut-il qu’une surconsommation de fer (à cause de la viande de cheval, of course) ait un effet aussi terrible – aussi délétère comme dirait l’auteur que je corrige et qui emploie ce mot toutes les deux lignes – sur les nouvelles générations ? Autrement dit, le monde devient-il de plus en plus con, ou c’est juste moi ? Ne répondez pas tout de suite. Ne répondez pas du tout.
Contrairement à un ami que j’apprécie pourtant beaucoup et qui la place au cœur de son œuvre naissante, je n’ai jamais aimé l’adolescence, cet état larvaire dans lequel les parents (le plus souvent) maintiennent les mômes tout en feignant de déplorer qu’ils y traînent aussi longtemps. Il me semble que si j’avais un enfant, j’aurais recours à des méthodes assez radicales pour réduire autant que possible cette phase absurde. J’essaierais de réintroduire une espèce de rituel de passage. J’hésiterais certes à l’envoyer sur un bateau pédagogique, mais peut-être qu’il irait planter des arbres dans un désert (pas trop investi par les barbus) pendant six mois. Ça nous ferait un peu de répit, à son père et à moi. Je lui paierais peut-être aussi (sans le lui dire) une prostituée ou un gigolo pour le ou la déniaiser en douceur – ça vaut bien les chiottes du bahut, non ?
Je dis cela en étant finalement bien content de ne pas avoir à devoir confronter mes principes à la réalité, car je ne ferais sans doute pas mieux que les autres : je m’attribuerais tout le mérite si les choses tournent bien et je m’en prendrais à cette société imbécile/inhumaine/fascisante/laxiste, à la famille/à l’école/aux mauvaises fréquentations (rayer les mentions inutiles) si les choses tournent mal. Peut-être même achèterais-je la paix familiale à coup d’appareils coûteux et vaguement sectaires, de chaussures thermoformées et j’en passe. J’essaierais d’être un copain en espérant que ça suffise.
Pour revenir aux Kitties montées en graine, il était question d’un type à qui l’on pouvait beaucoup pardonner parce qu’il était canon. Peut-être en rajoutaient-elles aussi, parce qu’il y avait un vieux chelou, avec son linge, là, qui notait des trucs dans son carnet de bouffon (pardon, de boloss). Mais quand même, « piquer des trucs aux potes, ça s’fait carrément pas ». « Trop pas même », ont ajouté les autres. ‘Tain, elles allaient finir par l’afficher devant tout le bahut en disant à tout le monde qu’il chourait des trucs dans les soirées. Ouais, mais qu’est-ce qu’il était mignon tout de même, c’keum !
Manifestement, il y avait un conflit d’intérêts et les hormones nourrissaient le débat.
Mon adolescence a été assez solitaire. Et je crois que si cela a malheureusement enkysté certaines phobies sociales, bien des contraintes m’ont été épargnées, tous ces rapports de force pour obtenir le leadership du groupe, toutes ces pénibles prescriptions en matière de goûts musicaux ou littéraires.
Finalement, elles ont tacitement convenu de laisser tomber. Une l’a suggéré et les autres l’ont suivie, parce que, vraiment, il était trop mignon (et sans doute célibataire). Je me suis dit qu’il ne serait pas le premier mec à beaucoup se faire pardonner avec son torse, sa gueule d’ange, sa chute de rein, que sais-je encore. J’ai pensé à Mistinguett, à son Homme, et à la vieille tradition des mecs qui obtiennent tout ce qu’ils veulent ou à peu près…
En repartant, je leur ai dit au revoir. Elles m’ont jeté un regard de poisson mort. Depuis des semaines. Vraiment, j’étais trop un vieux chelou.