vendredi 7 août 2009

Une soirée sans Gewurtz'

Tuer un peu le temps à la gare de Gif, à regarder la lune ronde, à retrouver la mémoire de l'humanité étonnée par ses incessants changements de forme, par les taches sombres - des lacs ? les constructions des Sélénites ? les immenses champs de blé ? Combien de vers, de légendes nourries par cet astre parmi les plus beaux, parce qu'accessible peut-être, parce que visible sans qu'il ne brûle l'œil. Sa lumière pâle éclairait faiblement les nuages. Et qu'elles sont agréables ces nuits d'été lorsque l'on peut s'abandonner à la contemplation, lorsque nos particules de pensées se diffusent dans l'air encore chaud, en croisent d'autres, parfois très anciennes, parfois même celles d'hommes morts depuis des milliers d'années.

Les pensées que nous échangeons, Juliette et moi, en nous regardant simplement, bruissent encore autour de moi. Est-ce parce que nous avons parlé ce soir, comme tant d'autres soirs, de nos vieilles amours, de la naissance du sentiment amoureux (la façon dont il s'installe, parfois tout à fait discrètement, sur la surface mouvante, rugueuse et souple de cette épaisseur assez étrange, qui appartient autant à notre dedans qu'à notre dehors - tout à la fois le Corps de l'intérieur et l'Esprit de l'extérieur. Une fois n'est pas coutume, nous n'avons pas bu de Gewurtz ce soir et deux bières fraîches ont suffi à me mettre dans un état un peu flottant. Je m'en rends bien compte en alignant ces phrases qui ne veulent pas dire grand-chose. Mais vous lisez tout de même un peu entre les lignes, n'est-ce pas ? Vous pressentez bien comme moi la menace ? Je dois sembler bien inconstant. Un écueil chasse l'autre. Mais comment combler les vides, les ravins au bord des chemins en lacets ? Et malgré tout, il y a une cohérence que j'aimerais pouvoir confier, mais ce n'est pas le lieu, évidemment.

Quel bonheur de connaître Juliette, de pouvoir tout dire, toujours, sans avoir à dérouler le long fil du temps, graisseux de souvenirs tristes, rompu par endroits, rafistolé au petit bonheur la chance, abîmé par ces histoires détricotées ; ou alors fort des bonheurs intacts qui sont la corde qui nous maintient au-dessus du gouffre lorsque le sol semble se dérober. Et Juliette qui a souvent tenu la corde, comme j'ai tenté, à l'occasion, de tenir la sienne. Pouvoir tout dire, ici comme ailleurs, au prix de l'impudeur charmante (pardonnez-moi). Impossible. Et pour quoi faire d'ailleurs ? Est-ce que quelque chose émerge ? Devinez-vous ?