vendredi 27 juillet 2012

CPAM : 1 / Greffé : 0

Mauvaise surprise chez le pharmacien hier : l’État a accentué la pression pour un recours nettement plus systématique aux génériques, et si certains médicaments princeps sont « exemptés », notamment dans le cas d’une ALD, ce n’est pas le cas pour un des antirejets. En résumé, je suis supposé accepter le médicament générique que me propose le pharmacien. Si je refuse, je perds le bénéfice du tiers payant, c’est-à-dire cet avantage qui fait que je n’ai pas à avancer l’argent pour des médicaments qui, de toute façon, me seraient remboursés à 100 %. Dans mon cas, cela consiste à avancer un peu plus de 300 euros à chaque fois. Et le pharmacien doit préciser sur l’ordonnance que je refuse (bouuuuh !!) le générique.

J’hésite à me plaindre franchement, parce que j’ai bien conscience de ne pas être dans un de ces pays terribles (ou odieux) où seuls ceux qui en ont vraiment les moyens peuvent se soigner. En faisant quelques gesticulations bancaires (virements opportuns dans un sens puis dans l’autre quand tombera le remboursement), les choses devraient à peu près bien se passer. Mais ce ne sera pas le cas pour tout le monde, et l’on devra alors compter sur la bonne volonté d’un pharmacien acceptant d’encaisser tardivement un chèque... Incidemment, cela veut dire que ceux qui ont le moins de marge de manœuvre financière seront plus tentés d’accepter.

J’explique au pharmacien que, selon moi, les cardiologues refuseront que je prenne un générique (cela avait été autrefois proposé, déjà, à une amie greffée). Je demande : « Et s’il y a la mention “non substituable” dans la marge de l’ordonnance ? » Il fait la moue, mais c’est non. D’ailleurs, ajoute-t-il, il a un client greffé qui en prend et qui se porte comme un charme. Je ne relève pas.

Coup de téléphone passé à l’hôpital, la réponse fuse : « Pas de génériques pour les antirejets ». Mais je sais également d’avance que le pharmacien ne cédera pas, car il en serait alors de sa poche : ça l’aide à être dans une démarche « incitative »…

Ce que je trouve véritablement dégueulasse dans l’affaire, c’est que la totalité de la pression s’exerce, finalement, sur le malade, toujours soupçonné d’être un incontrôlable dépensier et de ne pas jouer le jeu lorsqu’on lui propose un geste « citoyen ».

Car comment les pouvoirs publics peuvent-ils imaginer que les patients aillent de gaité de cœur à l’encontre des recommandations de leurs médecins ? Au-delà même de la charge d’angoisse qui accompagne la prise d’un médicament dont les dysfonctionnements pourraient lui être fatals, la relation avec le médecin repose sur la confiance : ce n’est pas à nous de juger du bien-fondé (ou non) de leur défiance.

Au mieux, le système mis en place relève de la seule incompétence (qui a-t-on donc réuni avant de prendre cette décision ? Ni les coordonnateurs de greffe, ni les sociétés savantes n’ont été correctement consultés en tout cas). Mais après tout, il y a quelques exemples fameux de décisions absurdes. Au pire, le système est l’expression d’un principe pervers qui fait résolument du malade la variable d’ajustement : après tout, pourquoi se priver d’exercer la pression sur ceux des acteurs du système qui sont le moins organisés… Il était sans doute plus difficile d’affronter les spécialistes de la greffe.

Faut-il préciser qu’une fois de plus, dans ce pays, tout part néanmoins de traviole, et que des disparités régionales, entre les différentes caisses, sont déjà apparues, certaines acceptant la mention « non-substituable »…

mercredi 25 juillet 2012

Mon enfance au bord du Mississippi

Enfant, je n’étais pas un super-héros, même s’il m’arrivait de marcher à flanc de volcan ou de me réfugier in extremis sur de salutaires icebergs. Mais, le plus souvent, je n’étais donc que Tom Sawyer, un gamin qui grandissait dans un semblant de campagne et que ses parents laissaient volontiers crapahuter avec ses copains Bertrand, Stéphane ou Olivier.

Entre nous, il était beaucoup question de trésors dissimulés par nos pirates d’eau douce – comprenez : des mariniers peu scrupuleux ayant amassé des fortunes au gré des larcins perpétrés d’escales fluviales en escales fluviales.

Les mariniers aiguisaient ma curiosité et nourrissaient nos craintes : dans ma famille, circulaient des histoires sulfureuses dont les nuances m’échappaient – mais pas l’essentiel –, des histoires qui effrayaient tout particulièrement les femmes. Je suppose à présent que l’on tenait ces voyageurs à une distance (sociale ? symbolique ?) d’autant plus ferme qu’après tout, nous en comptions au nombre de nos ancêtres les plus proches.

Il y avait donc les trésors enterrés par les mariniers, mais aussi les cadavres abandonnés là par quelque fou-furieux (la mort ne pouvait alors appartenir qu’au monde de l’aventure), et je pense que peu d’enfants étaient aussi préparés que nous à tomber sur un squelette – dans les broussailles, dans les sous-bois, dans les herbes hautes au bord de l'eau – ou sur le cadavre boursoufflé d’un noyé. On m’a d’ailleurs tant raconté d’histoires de noyade que je me prends parfois à douter : ai-je vu un noyé, oui ou non ?

Et pourtant, nos bâtons, prudents prolongements de nos mains, ne dénichaient pas le moindre cadavre. Pas le moindre cadavre découvert, tout au moins, car nous ne doutions pas que la vieille péniche vermoulue, celle qui s’enfonçait de mois en mois dans la vase du bras mort, en abritait un des regards, allongé sur une vieille couchette. Et un autre, resplendissant de calcium blanc, attendait sa délivrance dans le terrifiant van qui rouillait, rideaux tirés sur ses secrets. Nous étions bien contents qu’il fut soustrait à notre curiosité par un grillage infranchissable. Sans cela, il aurait bien fallu y aller…

Alors nous enquêtions, inlassablement, arpentant des kilomètres de berges, colportant pour passer le temps les légendes les plus improbables, le plus souvent inventées par nos soins (mais nous mettions une telle passion que l’on peut douter : s’agissait-il vraiment de mensonges ?), notamment à propos du vieux qui faisait peur aux enfants et à quelques autres - qui faisait peur, mais à peine plus que sa femme à moustache... On disait de lui qu’il avait une carabine et qu’il n’hésitait pas à s’en servir sur ceux qui le dérangeaient. On disait d’elle qu’elle enfermait des enfants dans sa cave.

On faisait des commentaires inspirés à propos des traces relevées dans la terre un peu glaiseuse. On inspectait discrètement les péniches à quai dans le chantier qui dégageait une enivrante odeur de goudron. On montait sur l’oléoduc qui passait au dessus de la rivière, en se disant qu’il serait bien dangereux de sauter de là-haut, en ne rêvant que de cela.

De temps en temps, l’un de nous criait : « Courons », avec dans la voix la tension d’une menace imminente, et l’on détalait comme des lapins, poursuivis par tout ce que le canton recelait de dangers, ceux pour lesquels nous avions des mots, et les autres.
 
 

dimanche 22 juillet 2012

Un an

Ce matin, j'aurais tant aimé voir Alice courir dans les ruelles, grisée d'une lumière de mai. Après quel chapelier fou ?
Un an. Tout est intact.