samedi 24 mars 2012

La mémoire de l'eau

Il aura suffi d’un rêve. Un rêve assez cruel pour vous retenir dans le sommeil alors même que tout le corps gémit, à votre secours, pour vous en arracher. Puis dans le demi-sommeil encore, votre corps cherche à se blottir, ou à se cacher, ce n’est pas bien sûr. Le rêve, terrifiant, revenu de l'advenu, avec une autre voix, un autre visage.
Vous ne dépasserez jamais tout à fait la brisure du si que l’on vous a opposé, la pièce sordide de couleurs tendres, les teintes roses à vomir, la porte fermée à double tour sur la nuit qui riait encore de l’alcool, et le lit au fond qui restera toujours comme une paillasse. 
Il y avait une Minnie en peluche sur la table de nuit. Et un réveil ancien.
Pourtant, avoir fait de cela comme du reste, un événement des plus anodins qui doit céder sous le rire, et que vous auriez pu raconter à mille personnes autrefois, feignant d’en partager la légèreté alors que vous en semiez le poids.
Ce souvenir ou le premier de ces rêves, c’est selon, comme une frontière : l’ambigüité, le jeu qui tombe dans le sordide et qui manifeste devant toi, sur toi, ce que tu comprends avoir craint de toujours. Avant même les mots.
Une partie de toi a pu se cacher et te regarder céder.
Alors, plus que d’autres, tu éprouves dans le tremblement le trouble de la prédation, et quand le regard de l’autre parfois s’envoile, ça te glace, cet universel de la violence en lisière.

samedi 3 mars 2012

Lu dans le Canard enchaîné

Je ne résiste pas... Il y aurait de quoi ouvrir un blog rien qu'à recenser ses bourdes, ses malhonnêtetés intellectuelles (si tant est…) et ses coups d’autorité.
« Nadine Morano en bleu de surchauffe
Le lundi 27 février, Nadine Morano aussi était à l’usine. Contrite de ne pas être porte-parole de Sarko, elle s’occupe de sa propre campagne. Nadine avait donc rameuté son collègue du gouvernement Pierre Lellouche, prié de venir, dans la 5e circonscription de Meurthe-et-Moselle, à la rencontre des ouvriers de la sidérurgie. Pas de bol, elle a été informée, peu avant, que l’usine de Neuves-Maisons tournerait au ralenti : le lundi est jour d’entretien des laminoirs… Lundi matin, Morano demande donc que l’usine soit remise en service. Refus de la direction. La ministre prie alors le préfet de Meurthe-et-Moselle de se débrouiller pour rameuter des ouvriers. Un coup de fil au directeur du site, et hop ! des ouvriers sont mobilisés. Une cinquantaine de gars (sur 362), chargés de l’entretien et devant débaucher à 14 heures, acceptent de rester l’après-midi – moyennant le paiement des heures sup – pour regarder passer les deux ministres en blouse grise et casque blanc.
C’est Morano qui régale sur son compte de campagne ? »
Le Canard enchaîné, mercredi 29 février 2012, page 2.



Bon sang, les oubliettes de l'histoire sont toujours occupées quand on en a besoin...

vendredi 2 mars 2012

La première danse ?

J’ai attendu de nombreuses heures assis sur une des chaises du couloir, sans bien savoir pourquoi je la préférais aux confortables fauteuils de la salle de repos, sauf à avouer chercher dans le regard des infirmières la mesure de la gravité : certaines avaient bien naturellement tiqué en apprenant que je venais, suite à la biopsie de vendredi dernier, faire une prise de sang à la recherche des anticorps anti-HLA et voir en consultation le docteur V… Ça sentait le rejet humoral à plein nez. Mais elles sont fortes ces infirmières, puisqu’elles n’ont pas tardé à se recomposer le sourire que je leur connais. De son côté, le docteur T. a pris le temps de venir me rassurer : ce n’était rien, ou pas grand-chose, peut-être moins encore, « mais c’est au docteur V. de l’expliquer », dit-elle…
J’étais calme, comme je le suis le plus souvent, parce que la sidération ne m’a plus quitté, mais aussi parce que, pensée magique oblige, il y a, quelque part en moi, la certitude que si je ne me fais pas remarquer par la poisse lorsqu’elle passe en reniflant dans le couloir, j’échapperai au plus dur.
Dans l’une des chambres de l’hôpital de jour, où sont installés ceux d’entre nous qui vont le plus mal, qui sont les plus fragiles, j’entends le docteur V. qui s’adresse à monsieur B., un vieux monsieur que l’on poussait dans un fauteuil tout à l’heure : « Comment vous vous sentez, monsieur B. ? Ça va bien ? »... Sa voix est forte, parce que le vieux monsieur est peut-être un peu dur de la feuille, et surtout, après un instant silencieux, elle reprend, sur un ton plus virulent : « Mais moi j’y crois monsieur B. ! J’y crois très fort même ! Vous savez, des bien plus mal en point que vous s’en sont tirés ! » J’imagine que monsieur B. a eu un sanglot ou que des larmes silencieuses ont coulé dans les sillons de ses joues, mais je ne pense qu’à la voix du docteur V. Je suis ému par sa conviction, par les mots qu’elle a choisis et qui l’engagent presque… Dans le couloir, les quelques malades et leurs familles se sont tus, tous l’écoutent. Tous nous espérons, si un jour nous devons être dans cette petite chambre, que le docteur V. prononcera ces mots ou quelques autres qui diront aussi bien l’avenir au milieu duquel elle nous voit plantés, inamovibles.
Plus tard, dans son bureau, je n’ai pas osé lui dire à quel point elle m’avait touché, à quel point, aussi, j’aime son hochement de tête confiant lorsqu’elle regarde le moniteur où bat mon cœur avant de dire : « Il est parfait. » Il est parfait, mais quand même : la biopsie a effectivement montré de quoi s’inquiéter légèrement. Mais ce serait curieux, vraiment, que je fasse ce rejet humoral aussi tardivement. Et puis, la dernière recherche des anticorps anti-HLA, faite au mois de décembre, n’avait rien montré. Mais quand même… Va-t-on tout de suite lancer le traitement de choc, au cas où ? Une semaine d’hospitalisation à Tenon, un nouveau cocktail de médicaments et surtout une plasmaphérèse, cinq heures par jour, tous les jours… Je vois bien qu’elle hésite… « En plus, la personne qui lit habituellement vos biopsies était absente… Je préfèrerais qu’elle la voie, elle rentre lundi »… Dans son regard posé sur moi, je devine l’intense activité de son cerveau qui pèse le pour et le contre, et je retrouve exactement le regard, un instant, du généraliste que j’avais en 2001, juste avant qu’il ne décide de m’envoyer faire la prise de sang qui allait lancer la grande machinerie infernale. À un moment, j’ai presque l’impression qu’elle attend que je lui souffle la réponse, ou qu’en tout cas, j’évoque devant elle un de ces symptômes qui l’aideraient à trancher – alors je me contente de sourire, bêtement, et je le lui redis : il n’y a pas pire que moi pour l’examen clinique, parce que je suis incapable de faire le tri entre les choses normales, les troubles épisodiques et les signes inquiétants… « C’est ma première transplantation, vous savez… » Ça l’amuse.
Et puis, le temps reprend son cours normal : elle cligne des yeux, joue un peu avec sa bouche. « On attend lundi, les résultats de la prise de sang et la nouvelle analyse de la biopsie ». Elle a tranché.
Il est presque 16 heures. J’envoie un sms à ** pour lui confirmer la séance de ciné, le dernier Guy Maddin, et je file à Saint-Michel pour acheter des livres, des contes surtout, que je pourrais emporter avec moi lundi soir si je dois être hospitalisé. Les contes, c’est encore ce que j’ai trouvé de mieux pour l’hôpital…



C'est loin d'être le meilleur enregistrement que j'ai entendu...