samedi 15 décembre 2012

Il est des choses que je ne peux plus dire qu'ici...

Je crois parfois m’absenter et assister à mon présent depuis une espèce d’ailleurs, comme si j'avais été abandonné à une extrémité de ma personnalité : lors des nuits d’insomnie, nombreuses ces derniers temps, j’ai peur de finir par ne plus rien éprouver au-delà de la tiédeur - ce qui serait mon sauvetage et ma malédiction -, et de mimer le reste avec des souvenirs d’émotions. Quelque chose en moi a peut-être largué les amarres. Cette impression ne dure pas, mais cette distance me fait un peu peur, comme si je craignais, un jour, de ne pas revenir de mes indifférences. Qu'on ne se méprenne pas, ce n'est pas la vie d'autrui qui m'est étrangère, c'est bien ma quotidienneté. Est-ce que mes amis s’en rendent compte ? 

Quand je relis le texte sur lequel je peine, une tentative assez difficile, peut-être vaine, de redonner un peu de cohérence à mes déboires médicaux, je retrouve la trace de ce phénomène par endroits. Mimer. Extrapoler à partir de ce que je pense avoir été. Alors évidemment, pour quelqu’un qui ne croit pas à la transparence, à peine à la cohérence, ce n’est pas si grave me direz-vous. Mais tout de même, parce que j’essaie d’écrire au plus près de ce que j’éprouve, je m’interroge : le rythme de telle phrase ou de telle autre dit-il encore ce que je ressens ; d'ailleurs le disait-il, d’une façon ou d’une autre, au moment de l'écrire ?

Je me prends même à douter : ai-je été greffé ? Vraiment ? Ce type qui raconte en plaisantant, qui mobilise à l’occasion tous ses ressorts comiques, qui est presque indifférent, qui polit pathétiquement cet épisode de sa vie, comme il l'a fait avec d'autres, est-ce vraiment moi ? Encore moi ?

Juliette est morte, et Jean-Philippe. Du cœur tous les deux. Ça, pour époustouflant de cruauté que ce soit, c’est vrai, c'est toute une épaisseur qui me couvre. Quand je pense à eux, je sais ma continuité : je dois être le même, puisque ces peines sont nichées en moi, intactes. Ça me racle la mémoire et les yeux et la peau, à tel point que j'éprouve même les plus grandes difficultés à les évoquer avec nos amis ou même nos connaissances communes. Je préfère ne pas parler d'eux.

Quand certains jours fatigués ou inquiets, je redécouvre ce que sont les souvenirs, la persistance mémorielle de ce qui est perdu à jamais (quoi qu’on en dise), quand ces jours-là les voyages dans le métro semblent durer des heures, je me prends à espérer un peu de répit avant que ce qu’il me reste d’avenir un peu heureux, réel ou imaginaire, ne soit emporté. 

Car je pense avoir franchi tout ce que je pouvais franchir, et si intellectuellement je sais que tout ce qui me reste – tout ce qui nous reste – devra être arraché, lambeau après lambeau, je pressens que la toute fin de mes forces n'est plus loin. Je crois que je refuserai la prochaine douleur, même si je ne sais pas comment. Je dirai non. Et alors elle s’évanouira. Ou bien moi.

mercredi 12 décembre 2012

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse – 3e nuit

Si vous avez manqué le début : 


Je pris le parti de musarder le long des quais, autant pour égarer un peu mon temps – un luxe – que pour calmer la sourde rage que cet imbécile de commerçant avait fait germer en moi avec ses remarques inappropriées, son air suffisant de spécialiste, spécialiste – autant le dire carrément – en rats crevés : y a-t-il vraiment de quoi adopter des airs aussi condescendants ? Et puis quel cinéma à propos de l’âme des rats ! L’avait-il dit, oui ou non ? Pourtant, il me le semblait bien… En mon for intérieur, quelque part derrière la rage, là où bouillonnaient toutes les réparties qui m'avaient échappé, grommelaient des forces plus noires encore, qui lui promettaient les pires malédictions. Pourtant, le ciel était bleu et pur, aurait dû pouvoir garantir la paix de l’esprit, ce d’autant que, dans ma poche, je jouais avec ma promesse (de bois et de métal) de nuits à présent apaisées. Tout de même, il était invraisemblable qu’un événement somme toute aussi mineur – je pouvais retourner les choses dans tous les sens, il ne s’agissait que d’une souris agitant mes placards à la recherche de nourriture – ait pu à ce point ébranler mes nerfs. Ces réflexions et mes pieds, ainsi que quelques considérations impossibles à retranscrire ici tant elles étaient désordonnées, m’abandonnèrent finalement devant mon immeuble où l’employé des postes m’attendait. Avec un télégramme de D.

Dans mon appartement, je me servis un verre d’eau plate et me calai confortablement dans mon sofa. Je lus le télégramme : « Bien arrivé STOP Mission plus intéressante que je ne l’imaginais STOP Espère ton mystère résolu STOP Longue lettre suit STOP Tendrement, D. »

Après avoir armé le piège à souris et l’avoir posé dans un coin de ma cuisine, je descendis déjeuner dans le petit restaurant tout proche, emportant avec moi du papier et quelques livres. Je comptais bien mettre à profit le temps libre offert par cet arrêt maladie pour travailler à mon projet de roman, ce qui requerrait une sérieuse documentation. Le serveur, qui avait développé avec moi une certaine familiarité que la joliesse toute juvénile de ses traits autorisait, s’amusa des titres des ouvrages que j’avais apportés, me demandant à plusieurs reprises si j’envisageais de quitter mon emploi pour devenir exorciste, où était mon balai, si les fantômes portaient quelque chose sous leur linceul et j’en passe. En dépit des taquineries du serveur et de la conversation inintéressante de quelques quidams, bruyants à défaut d’être intelligents, l’après-midi, studieux, s’étiola sans incident majeur, et je rentrai chez moi à la tombée du jour, intellectuellement épuisé, animé toutefois d’une certaine fierté, à mesurer le travail accompli. La soirée, consacrée à la dégustation de jus de légumes, à la lecture du journal et au classement des notes prises, ne parvint pas à m’emporter au-delà dix heures. Je m’allongeai parfaitement détendu et ne tardai pas à m’endormir.

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Quelle heure pouvait-il bien être ? Je n’eus pas même le réflexe de regarder ma montre pour le savoir. J’allumai la veilleuse et restai un très court instant dans mon lit, à essayer de recouvrer mes esprits, à tenter de rationaliser ce qui se produisait : régnait dans ma cuisine une agitation effarante ! On aurait dit qu’un esprit-frappeur s’amusait à y froisser des tombereaux de papier. Chaussé de mes espadrilles, saisissant un objet contondant qui traînait opportunément dans les environs pour les stricts besoins du scénario, je pénétrai dans la cuisine.

Était-ce à cause de la pression qui retomba brutalement ? Était-ce à cause de son air tout à la fois paniqué et ahuri ? Je ne sais… mais la petite souris grise que je découvris affolée dans ma poubelle, où elle était tombée je ne sais comment, déclencha ma subite hilarité. Elle me regardait de ses petits yeux noirs, et je voyais son cœur battre la chamade sous la peau. Elle se mettait à courir en tous sens, à la recherche désespérée d’une improbable issue, puis s’arrêtait de nouveau. Son œil me fixait, dedans la poubelle, au comble de sa panique animale. Je fus pris de pitié. Et puis, autant l’avouer, je ne savais pas comment la tuer, sauf à jeter le piège dans la poubelle et à espérer qu’il se refermât malicieusement sur elle. Surtout, je voyais cette petite créature dans la plus grande détresse, et qui ne voulait après tout qu’un peu de nourriture à l’heure des premiers frimas de l'hiver… Je pensai également aux mignonnes et coquines souris des livres pour enfants, humanisées de façon si charmante. Si ravissantes et amusantes, quoi qu’en disent ces puristes qui ne souhaiteraient que l’interdiction pure et simple de lectures semant, selon eux, la confusion symbolique dans les cerveaux encore gourds de nos chères têtes blondes. Enfin, je pensai aux surmulots de mon enfance, que j’arrachais des griffes de notre chatte, Michounette. Ma décision était prise. Je renonçai au rôle de bourreau – au risque de décevoir Michounette – pour endosser celui de sauveteur. Il était donc près de cinq heures du matin lorsque je descendis l’escalier de l’immeuble, ma poubelle sous le bras, sentant presque à travers la paroi les battements de cœur du petit rongeur en mode colibri. Comment oublier sa joie, manifestée par une course effrénée vers le premier caniveau lorsque je libérai le rongeur ! Ô que ne puis-je conserver intacte cette image en ma mémoire, afin de pouvoir m'en saisir, heureux réconfort, à l'heure de la dernière !

Outre ma fierté d’adopter l’attitude juste, j’éprouvais une tranquille assurance : il me semblait en effet que, sur un plan tout karmique, mon geste était susceptible de me réconcilier durablement avec l’univers.

Quelques instants à peine plus tard, allongé entre les draps, pas peu fier de mon incommensurable générosité, hésitant à prendre un livre ou même à commencer la narration de cette bien belle aventure humaine – une histoire édifiante qui apporterait la preuve, à rebours du bien triste fait-divers scandinave, qu’hommes et parasites peuvent vivre en bonne harmonie… – quand soudain, un bruit terrible se fit entendre dans la cuisine. Un clap sec suivi d’un terrible cri presque surnaturel. Cette fois, sans plus de précautions, je m’élançai dans la cuisine, trouvai miraculeusement l’interrupteur, accoutumai mes yeux à la lumière crue, mais... n’habituai que difficilement mon cœur au morbide spectacle… Car dans une mare de sang (à échelle de souris), la tête enserrée dans le piège de métal, les yeux grand ouverts sur l’injustice de ce monde, adressant à mon intention toute l’incompréhension du monde animal, une souris était morte à l'instant, appâtée par le petit morceau de chocolat (ami lecteur cardiologue, ce n’est pas ce que tu crois) que j’avais déposé sur le piège !



ENTRACTE
Pendant ce temps-là, dans une autre dimension, à une autre époque, à la veillée du club des « Ados souriceaux » :

- C’était par une nuit sombre et orageuse, peu de temps après la fête que les humains appellent Halloween. Jean-Louis et Pamela avaient fait le mur et avaient décidé de faire l’amour, au chaud de la tuyauterie de la cuisine d’un inverti…

- Pfff ! Jean-Louis et Pamela ?! C’est trop des prénoms des années vingt !

- Mickey, veux-tu bien te taire ? Tu veux que j’appelle tes parents pour qu’ils viennent te chercher ?
FIN DE L'ENTRACTE



Dès lors, il me fut tout simplement impossible de retrouver le sommeil. Le moindre bruit me faisait sursauter, car je croyais entendre courir le long des plaintes, tout près de mon lit, une cohorte de souris vengeresses, prêtes à déferler à l’occasion d’une attaque éclair. Il n'était plus question de petites souris riantes d’illustrés pour enfants. Mes visions se peuplaient à présent de rats grimaçants, rependant la peste et le choléra, qui détruisaient les villages et en dévoraient les habitants. Des rats qui courraient dans les rues pavées trop étroites, assoiffés de sang. Les rats du joueur de flûte de Hamelin… Et moi seul contre eux… Car s'il y avait deux souris dans ma cuisine... pourquoi pas cent ?

samedi 1 décembre 2012

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse – 2e journée

Si vous avez manqué le début : 

Au réveil, j’avais un peu mal au cœur… « Révélateur ! me dis-je, de l’état de nerf dans lequel je suis ! Après tout, peut-être le médecin n’a-t-il pas tort. »

J’étais là depuis quelques instants à occuper mes pensées de considérations médicales, à regarder le plafond, à me demander par instant comment j’allais occuper cette première journée des congés généreusement octroyés par mon directeur quand soudain, irritant mes tympans et venant de la cuisine… mon Dieu… ce même bruit, le même grattement que celui qui nous avait tirés du sommeil, D. et moi. Par une sorte de réflexe, je lançai mon espadrille – achetée avec sa sœur dans l’une de nos belles provinces – à travers la pièce. Mû par ma vigueur matinale, à peine freinée par la résistance que lui opposait l’air de la pièce, l’objet repoussa la porte de la cuisine déjà entrebâillée et alla s’écraser, en un claquement sec, quelque part entre le réfrigérateur et le four. Un petit couinement aigu s’ensuivit, qui illumina mon visage déjà brillant (ami chercheur en pharmacologie, il va falloir travailler sur ces effets secondaires !). C’était donc cela… Ce n’était donc que cela… Un rongeur ! Un rongeur tentait d’élire domicile chez moi !

Dans la cuisine, je découvris en effet un petit morceau de ce pain sans sel dit azyme (c’est-à-dire non consacré pour les croyants déiphages), dont sont friands le peuple déicide et les salinophobes de mon espèce, morceau qui semblait porter des traces de petites morsures. Passé l’étonnement de n’avoir rien découvert la veille, un rapide examen sous le microscope me le confirma quelques minutes plus tard : la forme des morsures ne laissait guère de doute… J’avais bien affaire à une Mus musculus.

Après mes ablutions et une rapide collation, j’enfilai mon manteau et sortis de chez moi. Au vieux kiosquier mahométan, j’achetai le journal que je feuilletais distraitement tout en marchant jusqu’à l’arrêt de l’autobus de la ligne 69. Confortablement installé, je soumis mon attention à une lecture plus consciencieuse. La page internationale du journal attira plus particulièrement mon attention : en Scandinavie, plusieurs villages avaient été complètement détruits du fait d’une invasion de rongeurs. Ils avaient dévoré plusieurs personnes âgées ayant du mal à se mouvoir et quelques enfants en bas âge, pourtant suspendus au plafond en l’absence de leurs parents. « Las !, s’exclamait le reporter, les parents avaient toutefois manifestement sous-évalué ou l’appétit des vermines ou leur capacité à faire la courte échelle ou les deux à fois. » Quelle histoire effroyable ! Je restai songeur… Un camion de livraison d’un magasin de meubles en sapin, fabriqués justement en Scandinavie, n’était-il pas resté stationné devant mon immeuble le jour même des premières manifestations… Mon Dieu… Et si mon appartement était le point de départ d’une invasion parisienne ? Et si se préparait dans mon petit chez moi la destruction de tout le pays ?

À travers la fenêtre de l’autobus, je voyais déambuler les quidams, pour certains de lourds sacs de courses au bout des bras, ou bien des enfants… Et ces deux vieillards, là, qui promenaient canne et caniche, tous bientôt mêmement dévorés ! Pauvres fous ! Pauvres innocents ! Pauvres vieux ! Un instant, j’eus envie de me jeter hors du bus et de prévenir la foule. Mais me croirait-on seulement ? Rien n’était moins sûr… Mais alors, que faire ? N’était-il pas plus sage, à des fins de prophylaxie, de tout simplement mettre le feu à mon appartement et d’aller prendre un peu de repos dans la clinique du docteur Blanche ? J’en étais arrivé à ce point de mes réflexions livrées à elles-mêmes et à la grande pente de l’esprit lorsque je reconnus mon arrêt.

J’étais passé de nombreuses fois devant sa devanture sans croire devoir un jour faire halte dans sa boutique. Des rats empaillés, d’une taille monstrueuse, revenus de Dieu seul sait quel cénozoïque, pendaient à des crochets de boucher, et les réclames, écrites en lettres d’argent, stipulaient sur la vitrine : « Ici, les rats dératent » et « Un chat vaut mieux que deux très gros rats ». Une petite pancarte, qui pendait du cou d’un des rats empaillés disait même : « Passe ton chemin, Mickey ! »

De l’extérieur, l’échoppe semblait fermée. Il y faisait affreusement sombre et le jour pourtant blanc peinait à franchir l’opacité grasse de la devanture. Pour tout dire, l’endroit n’inspirait ni confiance ni respect, mais je me décidai tout de même à pousser la porte. Il me fallait une solution, bordel de merde ! Pardon.

Le déplacement d’air souleva du sol et des nombreuses étagères la plus récente couche de poussière, et une petite clochette retentit lorsque je refermai la porte. Pour autant, personne pour m’accueillir derrière le lourd comptoir en bois et, après quelques toussotements visant à signaler ma présence au commerçant sans doute occupé dans l’arrière-boutique, je pris le parti de patienter en regardant le dos des ouvrages éparpillés sur les rayonnages. Il y avait là une Histoire de la mort-aux-rats à travers les âges, un Guide touristique du village de Hamelin et de ses environs, Le Complot Walt Disney, Sam Savage ou la Grande Imposture… J’en étais à feuilleter Les Malades de la peste dans la peinture, lorsqu’une voix d’une inquiétante douceur se fit entendre à quelques mètres de mon dos. Elle dit distinctement, bien que chevrotante, et avec une irritante lenteur : « Alors tu es là, petit sacripant… Mais viens… N’aie pas peur… Viens… Monte sur la table… » M’étant vivement retourné et tout près à corriger ce butor décidément trop confiant, la compréhension soudaine du malentendu m’arracha un soupir de soulagement et un sourire, et fit retomber aussi sec ma colère. Un gros matou était sur le comptoir, étirant sa divine paresse, exhibant insolemment au monde choqué son trou du cul. Son maître sembla alors enfin me remarquer et s’adressa cette fois à moi : « Que puis-je pour vous, Monsieur ? » Sans entrer dans les détails, je lui expliquai la situation : des rongeurs peuplaient ma cuisine. Après avoir longuement dodeliné en signe d’empathie, l’homme, un vieillard chenu au sourire édenté, commença à me désigner l’une après l’autre les nombreuses fioles qui étaient soigneusement alignées derrière lui. Ce poison-ci, disait-il, était déjà employé à la cour de Charles VII – et avec le plus grand succès : il tuait les rats presque instantanément ! Toutefois, il présentait le défaut de repousser ceux dont l’odorat était le plus fin. Celui-là, ajouta-t-il en m’en désignant un autre, était surtout utile pour la prévention, repoussant, avec une seule goutte, des hordes entières…

Son verbiage semblait ne jamais devoir prendre fin, tant le sujet le passionnait, et j’avoue n’avoir suivi qu’avec un intérêt modéré ce qu’il disait, jusqu’à ce que quelques mots me firent réagir et reprendre immédiatement le fil de son discours… « … agit sur l’âme même du rat ! »

« Pardon ?, l’interrompis-je, choqué au plus haut point ? Qu’avez-vous dit ? Avez-vous prétendu que les rats avaient une âme ? »

Changeant d’attitude, se ravisant presque, il prit un air fort contrit et me renvoya, sans même sembler s’en rendre compte, la question : « Comment pouvez-vous prétendre une chose pareille, jeune blasphémateur !, me dit-il d’une voix à présent haut perchée. Bien sûr que non ! Les rats n’ont pas d’âme, et je doute que vous en possédiez une vous-même en main propre pour tenir des propos aussi insensés ! Vous mériteriez que je vous dénonce aux autorités ecclésiastiques. »

Et pour mettre fin à l’entretien, il sortit de dessous le comptoir une tapette – un modèle des plus communs – qu’il posa lourdement. « Ceci fera très bien l’affaire, dit-il. Cela coûte trois euros. Payez et sortez ! »

Je mis l’objet honteux dans ma poche, lui jetai presque ses trois euros au visage et repartis aussitôt, bien décidé à placer la tapette là où était son destin : dans le placard.