jeudi 30 septembre 2010

Ne me secouez pas...

C’était un hiver d’enfance. Dehors, les feuilles ployaient sous le poids de la neige et je devinais les étendues bleues qui crisseraient sous mes pas.
C’était un dimanche et, dans la touffeur de la salle à manger qui réunissait la famille, un adulte proposa d’aller dans la campagne pour, à ski, se faire tracter par le puissant véhicule du petit ami d’alors de ma sœur.
Je passais l’après-midi chez mon ami Stéphane et ma sœur était venue me chercher pour me dire qu’on allait tous se promener.
On est parti chercher les skis au sous-sol et mon père s’était tourné vers moi pour me dire : « Toi, tu feras de la luge ». J’étais déçu, davantage : je voulais moi aussi faire du ski. Je crois me souvenir que je me suis mis à pleurer et que j’ai fait un caprice. La situation me semblait terriblement injuste – moi qui osais si rarement manifester mes envies – et je croyais pouvoir faire plier mon père. Il n’a pas cédé et a fini par me dire : « Puisque c’est comme ça, tu restes ici. »
Je m’en souviens.
Je suis resté de longues minutes seul dans le jardin à pleurer. De colère, d’humiliation, mais d’un chagrin sincère aussi. Il me semblait que je venais de mesurer l’indifférence de mon père.
Je crois me souvenir très précisément de ce que j’éprouvais alors et si je comprends intellectuellement le refus puis l’agacement de mon père, je conserve tout de même – aussi aberrant cela puisse-il être – l’impression tenace, non pas d’avoir alors démérité, mais de n’avoir pas mérité d’être inconsolé.

Ma mère était et est encore coutumière du chantage affectif, et lorsque la scène tourne à son désavantage, elle vous lance à la tête des choses abominables comme le font les enfants quand ils veulent blesser les adultes. Quand je repense à cette anecdote, je crains d’y déceler un trait de caractère de ma mère ; en même temps, je comprends sa douleur.

J’ai rêvé la nuit dernière que j’étais dans le hall d’une étrange maison d’où partait un escalier à la Escher.
G. était là et il était question que nous partions tous les deux en Espagne pour la journée. Cette perspective me rendait vraiment heureux et il me semblait que la joie était la même pour G. Je montais l’escalier, arrivé à la moitié, quand trois jeunes gens se sont approchés de lui et lui ont chuchoté quelque chose à l’oreille, en ricanant. G. a ri lui aussi et m’a lancé : « Tu iras en Espagne sans moi. Je reste ici. » Je ne me souviens pas de la façon dont j’ai manifesté mon désappointement, mais je me suis réveillé comme désespéré : j’avais dû dire des choses terribles et je perdais l’amitié de G. Il m’a fallu plusieurs minutes pour réaliser que ce n’était qu’un rêve et, dans la journée, je me suis souvenu de cette anecdote d’un après-midi d’hiver où j’étais resté à pleurer dans le jardin.

La difficile décision que j’ai prise voilà plusieurs jours et que j’ai mise à exécution hier soir, d’une voix blanche, va sans doute provoquer quelques remugles et laisser remonter les histoires du passé.