dimanche 15 mai 2016

« Ne me secouez pas. Je suis plein de larmes. »

Il était très grand et très maigre. Il portait une chemise blanche à manches courtes et il tremblait un peu, de fatigue ou de froid. De fatigue, je crois. Quand je lui ai demandé à quel stade de la procédure il était, il m’a répondu avec une voix tellement basse que je ne l’ai pas compris.
Faute de place, ils étaient ce matin-là comme d’autres matins une cinquantaine à attendre dans la rue et à entrer au compte-goutte.
Il parlait tout doucement, les voitures passaient à toute vitesse et ajoutaient un peu de bruit encore à la rue. Je l’ai fait répéter plusieurs fois.
À l’intérieur, d’autres accompagnants parlaient avec ceux qui avaient déjà pu entrer. Ils prenaient des renseignements, lisaient les courriers administratifs, les convocations, les décisions de rejet, les lettres écrites par les avocats, et décidaient si ce jeune homme ou cette jeune femme face à eux allait descendre dans la salle aménagée en sous-sol pour s’y faire enregistrer auprès de l’association, ou s’ils allaient devoir revenir un autre jour parce que leur situation était un peu moins urgente que celles d’autres peut-être, tous ceux qui attendaient encore dans la rue, comme ce monsieur grand et très maigre qui portait une chemise blanche à manche courte dans cette matinée de printemps déserteur, et qui n’arrivait pas à parler, je finis enfin par le comprendre. Il s’était interrompu et avait enfoncé son pouce et son index dans ses yeux pour s’empêcher de pleurer, en vain. 
Il s’est mis à pleurer silencieusement. J’ai posé ma main sur son épaule maigre, anguleuse. Je l’ai serrée, et j’ai répété comme un con, tout doucement pour que lui seul entende : « ça va aller maintenant, ça va aller ».

Je ne sais pas ce que je ferais si je m’écoutais vraiment. Je commencerais par le prendre longuement dans mes bras j’imagine. Et puis j’irais saccager ce monde qui se tolère.

6 commentaires:

  1. Que je suis heureux d'être revenu ici.
    Retrouver cette plume toute de sensibilité et de conscience aigüe.
    Ainsi va le monde, oui. Heureusement quelques lumières viennent éclairer la scène, celle de ceux qui savent voir et sourire.

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    1. Je me fais rare - c'est le moins qu'on puisse dire -, mais c'est un plaisir de vous accueillir.

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  2. Bonjour Christophe,
    Difficile d'offrir des voeux à quelqu'un qu'on "voit" si rarement car que choisir dans le panier à souhaits ? Mais ils sont de tout coeur. Bises
    Et quelques nouvelles en retour ?

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    1. Coucou, je vais bien, c'est gentil de t'en inquiéter. Je prends tout le panier.
      Bises.

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