lundi 6 décembre 2010

Naissance des roches

Assis en tailleur dans la vieille forêt de feuillus, son dos ployait sous la voûte verte. Tout autour de lui les arbres étendaient bas leurs branches et le soleil peinait à percer la frondaison. Aucun bruit ne venait plus troubler la conscience du peuple du monde. Les oiseaux s’étaient tus et n’étaient plus que de lointaines taches blanches et noires, comme suspendus par un fil au plafond bleu. Il n’y avait plus un avion dans le ciel et des locomotives abandonnées rouillaient quelque part au soleil. Les rues des villes étaient vides de joies et de courses folles : le temps était mort et gisait à la surface de la terre.
Il était assis en tailleur et, tout autour de lui, dégouttait sa mémoire que ne buvait pas le sol pourtant sablonneux.
Au loin, par delà la forêt et les prés, les vallées et les terres des hommes, les immensités d’eau étaient étales et, sur leurs fonds, dans la nuit éternelle où retournent aussi nos souvenirs, les vies minuscules tombaient en scintillant.
Seul s’élevait dans l’air un silence d’autrefois qui avait su être patient.
Les souvenirs orangés de l’enfance, les plus heureux, se drainaient. Il n’aurait pu les garder sans retenir pareillement les autres, ceux des maisons brûlées qui craquaient et s’effondraient sur les meubles, sur les portraits à l’huile des ancêtres, sur les visages riants photographiés dans des après-midis roses.
Et la guerre suinta à son tour, en écume noire, et, avec elle, le souvenir de l’abject.
À la surface de son corps, une fine pellicule de calcaire apparaissait, là où la peau était exsangue de mémoire. De petites tâches blanchâtres tout d’abord, qui s’étendaient de loin en loin.
Il devenait enfin statue de pierre et, sitôt la dernière tache de calcaire apparue, laquelle finit couvrir sa peau vide à son tour du temps, il eut un hoquet et la vie alentour reprit son cours…






1 commentaire:



  1. cela se passe donc ainsi, c'est magnifique.

    Écrit par : joss | 06 décembre 2010
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    Que c'est étrange, et que c'est beau. Sous les arbres tout peut arriver.

    Écrit par : KarregWenn | 11 décembre 2010
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    > Joss : Oui, je crois que c'est ainsi que cela se passe. Ne sens-tu pas parfois, au plus profond de toi, la trace des mémoires vierges de la roche ?
    > KarregWenn : Merci Dame K. Une Bretonne peut-elle être insensible aux résonances de la roche ?

    Écrit par : christophe | 12 décembre 2010
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    Hum hum, tu sais, le calcaire en Bretagne....Bon je rigole bien sûr, mais c'est vrai que "Assis en tailleur dans la vieille forêt de feuillus..." là j'étais déjà partie pour le voyage !

    Écrit par : KarregWenn | 12 décembre 2010
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    J'ai lu et relu ton texte ces derniers jours. Maintes fois. Il me parle et je reste muet. Cela m'est déjà arrivé plusieurs fois. Chez toi, uniquement.

    Écrit par : calystee | 12 décembre 2010
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    > KarregWenn : Oui, je ne suis pas spécialiste de la formation du granit... :-)
    > Calystee : Je ne vais pas feindre la modestie en te demandant si tu es muet de consternation. Disons que le rouge me monte aux joues et que je ne sais pas trop quoi répondre ("oui bah ferme là alors ! - D'accord, je la boucle.")

    Écrit par : christophe | 13 décembre 2010
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    Rien à voir, mais c'est l'époque: Joyeux Noël à toi, Christophe.

    Écrit par : calystee | 24 décembre 2010
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    Merci Calystee. J'espère que tu auras passé de bonnes fêtes. J'irai lire ça.

    Écrit par : christophe | 26 décembre 2010
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    Chaque visite ici, prend des langueurs de hamac balancé entre tiédeurs poétiques et frimas de non-espoir.
    Chaque visite, ici, est un délicieux venin.

    Écrit par : Henri-Pierre | 27 décembre 2010
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    Humm, j'aurais voulu piquer le commentaire d'Henri-Pierre.

    Mon Dieu, ça remonte déjà à Noël, tout ça...

    Et me voici assis dans ton blog, à me recouvrir lentement de plaques de calcaire... "Seul s’élevait dans l’air un silence d’autrefois qui avait su être patient."

    C'est très beau, mon Chris. Mais Calyste a raison : quelque part, dès que je te le dis, je trouve mes paroles vulgaires et incongrues.

    Écrit par : Lancelot | 20 février 2011
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    lancelot : inutile de piquer, je donne. Honoré e cette reconnaissance.

    Écrit par : Henri-Pierre | 20 février 2011
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    > Lancelot : Merci.
    > Henri-Pierre : J'ai l'impression de tenir salon ! ;-)

    Écrit par : christophe | 21 février 2011
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    Mais... tu tiens salon ;-)

    Écrit par : Henri-Pierre | 22 février 2011
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    > Henri-Pierre : Ah ? Bah alors, d'accord ! :-)

    Écrit par : christophe | 01 mars 2011
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    ;-)

    Écrit par : Henri-Pierre | 01 mars 2011

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