mercredi 25 juillet 2012

Mon enfance au bord du Mississippi

Enfant, je n’étais pas un super-héros, même s’il m’arrivait de marcher à flanc de volcan ou de me réfugier in extremis sur de salutaires icebergs. Mais, le plus souvent, je n’étais donc que Tom Sawyer, un gamin qui grandissait dans un semblant de campagne et que ses parents laissaient volontiers crapahuter avec ses copains Bertrand, Stéphane ou Olivier.

Entre nous, il était beaucoup question de trésors dissimulés par nos pirates d’eau douce – comprenez : des mariniers peu scrupuleux ayant amassé des fortunes au gré des larcins perpétrés d’escales fluviales en escales fluviales.

Les mariniers aiguisaient ma curiosité et nourrissaient nos craintes : dans ma famille, circulaient des histoires sulfureuses dont les nuances m’échappaient – mais pas l’essentiel –, des histoires qui effrayaient tout particulièrement les femmes. Je suppose à présent que l’on tenait ces voyageurs à une distance (sociale ? symbolique ?) d’autant plus ferme qu’après tout, nous en comptions au nombre de nos ancêtres les plus proches.

Il y avait donc les trésors enterrés par les mariniers, mais aussi les cadavres abandonnés là par quelque fou-furieux (la mort ne pouvait alors appartenir qu’au monde de l’aventure), et je pense que peu d’enfants étaient aussi préparés que nous à tomber sur un squelette – dans les broussailles, dans les sous-bois, dans les herbes hautes au bord de l'eau – ou sur le cadavre boursoufflé d’un noyé. On m’a d’ailleurs tant raconté d’histoires de noyade que je me prends parfois à douter : ai-je vu un noyé, oui ou non ?

Et pourtant, nos bâtons, prudents prolongements de nos mains, ne dénichaient pas le moindre cadavre. Pas le moindre cadavre découvert, tout au moins, car nous ne doutions pas que la vieille péniche vermoulue, celle qui s’enfonçait de mois en mois dans la vase du bras mort, en abritait un des regards, allongé sur une vieille couchette. Et un autre, resplendissant de calcium blanc, attendait sa délivrance dans le terrifiant van qui rouillait, rideaux tirés sur ses secrets. Nous étions bien contents qu’il fut soustrait à notre curiosité par un grillage infranchissable. Sans cela, il aurait bien fallu y aller…

Alors nous enquêtions, inlassablement, arpentant des kilomètres de berges, colportant pour passer le temps les légendes les plus improbables, le plus souvent inventées par nos soins (mais nous mettions une telle passion que l’on peut douter : s’agissait-il vraiment de mensonges ?), notamment à propos du vieux qui faisait peur aux enfants et à quelques autres - qui faisait peur, mais à peine plus que sa femme à moustache... On disait de lui qu’il avait une carabine et qu’il n’hésitait pas à s’en servir sur ceux qui le dérangeaient. On disait d’elle qu’elle enfermait des enfants dans sa cave.

On faisait des commentaires inspirés à propos des traces relevées dans la terre un peu glaiseuse. On inspectait discrètement les péniches à quai dans le chantier qui dégageait une enivrante odeur de goudron. On montait sur l’oléoduc qui passait au dessus de la rivière, en se disant qu’il serait bien dangereux de sauter de là-haut, en ne rêvant que de cela.

De temps en temps, l’un de nous criait : « Courons », avec dans la voix la tension d’une menace imminente, et l’on détalait comme des lapins, poursuivis par tout ce que le canton recelait de dangers, ceux pour lesquels nous avions des mots, et les autres.
 
 

7 commentaires:

  1. Tom Sawyer, on en avait parlé, tu te souviens? Tu me rappelles là un livre qui m'avait à la fois épouvanté et fasciné autrefois: l'Auberge de la Jamaïque, de D. Du Maurier. L'as-tu lu?

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    1. Oui, je m'en souviens !
      Et non, je n'ai pas lu ce livre de Du Maurier - et j'ai résisté à aller l'acheter en pensant très fort à ceux qui s'entassent... Mais je me le réserve.

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  2. tu connais la chanson d'Aldebert qui s'appelle Les coups de pied à la Lune ?

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    1. Ah non, je ne connais pas. Je vais écouter ça.

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    2. Alors, oui, il y a de cela, à ceci près que nous étions beaucoup plus jeunes - trop jeunes pour penser aux premiers baisers. Mais c'est une jolie chanson.

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  3. Intéressant. Il m'est arrivé de rencontrer des mariniers ou fils de mariniers, dont une que j'ai eu comme élève (adulte en formatiopn continue) et qui officiait dans les bateaux de croisières fluviales et qui a dû y retourner. Lui-même n'avait pas eu une vie facile lorsqu'il était enfant vis-à-vis de l'école notamment et c'était également pas simple pour sa propre vie familiale et ses enfants.

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    1. Des enfants de mariniers passaient de temps en temps quelques jours ou quelques semaines dans l'école, mais beaucoup moins qu'autrefois (crise du secteur oblige, beaucoup avaient laissé tomber). Dans mon souvenir, ils étaient souvent assez solitaires - à quoi bon se lier, se demandaient-ils peut-être.

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