samedi 8 juin 2013

On n'oublie pas, on ne pardonne pas

Il y avait des garçons et des filles avec une colère épaisse, et qui leur faisait comme un masque. Ce masque, ils parvenaient à le tenir par la force de leurs crispations, mais, chez certains, il couvrait mal une tristesse insondable. C'est l'un des leurs qui est tombé. C'est con, mais j'ai pensé à Nizan et à son Cheval de Troie...On avait volontiers laissé entendre que cette génération-là était encore plus conne que la précédente – plus individualiste que jamais, fendant le monde avec une parfaite indifférence, en quête permanente de désirs qu'on ne leur avait jamais dit de toute façon impossibles à assouvir. Samedi dernier, cette sociologie-là a été piétinée. 
J'étais avec eux et je les regardais, et je criais avec eux, et je partageais tout de leur colère. Leur violence ne m'était pas étrangère. 
J'étais triste avec eux et certains visages me fendaient le cœur. Je me suis dit qu'ils seraient quelques-uns de leur génération à porter cette blessure avec laquelle ils devront finir de grandir. Ce n'est pas rien. Même ceux qui, politiquement tourneront casaque, se souviendront de ces journées. 

Il y avait des parents qui se trimbalaient beaucoup de peine en bandoulière : c'était un de leurs mômes qui était mort, un gamin tout fluet dont on entendait presque dire, à présent, qu'il avait frappé le poing d'un type avec sa tête. Un innocent gaillard qui aime bien faire des saluts nazis – mais qui n'aime pas ? (et c'était bien avant l'abjecte couverture d'un torchon d'ultra-droite qui, dans n'importe quel pays un peu de gauche, vaudrait à leurs auteurs le saccage des locaux ; et c'était bien avant les attaques ultra lâches : des hommes battant une femme, assez pour provoquer un avortement ? C'est ça la virilité nationaliste ?). 
A la place Gambetta, on est resté là comme des cons. Il aurait fallu ne jamais arrêter de marcher, mais nous n'étions pas dans un livre de Platonov. On s'est assis par terre et on est resté silencieux un moment. C'est impressionnant une foule qui contient soudain assez sa rage et sa peine pour se taire.
Il y avait un jeune homme qui contenait mal ses larmes, et qui s'est mis un peu à l'écart lorsque la foule a commencé à se disperser. Il s'est appuyé à un arbre et il est resté là un moment. Une jeune fille pleurait, elle aussi, un peu plus loin. Si je m'étais écouté, je les aurais pris l'un et l'autre dans mes bras.

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