jeudi 26 mars 2009

D'un départ



Et puis soudain, il s'impatienta. Il voulut se soustraire, non sans avoir mis préalablement le feu à sa maison, avec l'idée tenace que rien ne devait demeurer. Arrivé au petit bois, celui de l'enfance et de quelques jeux heureux, il ralentit sa course et se retourna pour voir les flammes sortir des fenêtres du rez-de-chaussée. Des flammèches courraient le long de la glycine et la lumière orange dansait déjà derrière les fenêtres du premier étage.
...

Il était au bord de la falaise, son visage fouetté par le vent : il sentit le réconfort des embruns qui excitaient ses terminaisons nerveuses. Les mécanismes obscurs de la mémoire gravaient encore électriquement - et dans quel but ? -, ce que ses yeux voyaient, les informations sur la température et l'humidité, sur la fatigue de son grand corps, le bruit des vagues sur la roche. Au loin, on entendait les bruits de la guerre, bientôt ses cris.
Les ions de calcium et de potassium transmettaient dans un élan incontrôlable toutes ces données chaotiques. Et fatigantes. Les ordonnaient déjà avec un sens mystérieux, croisèrent bientôt d'autres influx nerveux.
Lui revint la conversation qu'il avait eue avec ** peu de temps auparavant.
- Je suis là. Tu ne me vois pas ? Tu ne comprends pas ma tête qui se penche ? Je marche devant toi, ma nuque est là qui attend.
- Oui...
- Tu ne saisis pas le sens de mes silences ? de mon regard qui se pose sur toi dès que je le peux ? Je t'offre davantage que la tendresse. Je t'offre... Et je sais que tu connais la magie du corps. Qu'il suffirait que tes doigts courent sur ma nuque pour que... Tu ne sais pas cela ?
- Si...
Mais le jeune homme, celui qui restait là, silencieux face à l'horizon, dissimulait faiblesse et lâcheté derrière les alibis de la loyauté, de l'amitié pour l'autre, le troisième, celui qui, si souvent encore, caressait le cou et les cheveux de jais. Silence des mots et du corps. Même si la nuque blanche le ravageait. S'il rêvait parfois (souvent) des tendresses de l'aube jaune et de la violence d'un crépuscule, de ses mains redevenues puissantes qui froissaient un peu les flancs, dévoilaient le lisse du dos. Poser la joue sur ses reins. Attendre un instant. À peine davantage.
...

Il monta dans la barque et commença à ramer avec constance : la côte s'éloigna. Mais il lui fallut de nombreuses heures pour que l'arrête de la falaise se perde dans la brume. Il s'allongea comme il put et somnola un peu. Les avions passaient au-dessus de sa tête. Il s'endormit peut-être. Peu lui importait. Son cerveau avait renoncé à tout ordonner. Était-ce la paix ? Il se remit à ramer. Quand il estima qu'il était suffisamment loin, quand il crut avoir la certitude que les courants ne le rendraient pas à la terre ferme et que son corps serait définitivement soustrait aux mains des vivants, il commença à remplir la barque d'eau.

1 commentaire:

  1. Du feu à l'eau, en passant par le vent...
    Je t'avais déjà dit, il y a plusieurs jours, déjà, que j'avais beaucoup aimé ce début.
    Aujourd'hui, je vais pouvoir prendre mon temps pour lire la suite ;-)
    Écrit par : Lancelot | 15 avril 2009
    Répondre à ce commentaire
    > Lancelot : Merci. Mais je ne sais pas si l'on peut parler de début : les différents textes de ma série "forclusion" (mon dieu, comment écrire cela sans rire !) ne sont pour moi que différentes mises en scène, sur des plans différents, dans des mondes différents, d'un dialogue qui, lui, a eu lieu, même si récrit.
    Écrit par : christophe | 16 avril 2009

    RépondreSupprimer