vendredi 2 mars 2012

La première danse ?

J’ai attendu de nombreuses heures assis sur une des chaises du couloir, sans bien savoir pourquoi je la préférais aux confortables fauteuils de la salle de repos, sauf à avouer chercher dans le regard des infirmières la mesure de la gravité : certaines avaient bien naturellement tiqué en apprenant que je venais, suite à la biopsie de vendredi dernier, faire une prise de sang à la recherche des anticorps anti-HLA et voir en consultation le docteur V… Ça sentait le rejet humoral à plein nez. Mais elles sont fortes ces infirmières, puisqu’elles n’ont pas tardé à se recomposer le sourire que je leur connais. De son côté, le docteur T. a pris le temps de venir me rassurer : ce n’était rien, ou pas grand-chose, peut-être moins encore, « mais c’est au docteur V. de l’expliquer », dit-elle…
J’étais calme, comme je le suis le plus souvent, parce que la sidération ne m’a plus quitté, mais aussi parce que, pensée magique oblige, il y a, quelque part en moi, la certitude que si je ne me fais pas remarquer par la poisse lorsqu’elle passe en reniflant dans le couloir, j’échapperai au plus dur.
Dans l’une des chambres de l’hôpital de jour, où sont installés ceux d’entre nous qui vont le plus mal, qui sont les plus fragiles, j’entends le docteur V. qui s’adresse à monsieur B., un vieux monsieur que l’on poussait dans un fauteuil tout à l’heure : « Comment vous vous sentez, monsieur B. ? Ça va bien ? »... Sa voix est forte, parce que le vieux monsieur est peut-être un peu dur de la feuille, et surtout, après un instant silencieux, elle reprend, sur un ton plus virulent : « Mais moi j’y crois monsieur B. ! J’y crois très fort même ! Vous savez, des bien plus mal en point que vous s’en sont tirés ! » J’imagine que monsieur B. a eu un sanglot ou que des larmes silencieuses ont coulé dans les sillons de ses joues, mais je ne pense qu’à la voix du docteur V. Je suis ému par sa conviction, par les mots qu’elle a choisis et qui l’engagent presque… Dans le couloir, les quelques malades et leurs familles se sont tus, tous l’écoutent. Tous nous espérons, si un jour nous devons être dans cette petite chambre, que le docteur V. prononcera ces mots ou quelques autres qui diront aussi bien l’avenir au milieu duquel elle nous voit plantés, inamovibles.
Plus tard, dans son bureau, je n’ai pas osé lui dire à quel point elle m’avait touché, à quel point, aussi, j’aime son hochement de tête confiant lorsqu’elle regarde le moniteur où bat mon cœur avant de dire : « Il est parfait. » Il est parfait, mais quand même : la biopsie a effectivement montré de quoi s’inquiéter légèrement. Mais ce serait curieux, vraiment, que je fasse ce rejet humoral aussi tardivement. Et puis, la dernière recherche des anticorps anti-HLA, faite au mois de décembre, n’avait rien montré. Mais quand même… Va-t-on tout de suite lancer le traitement de choc, au cas où ? Une semaine d’hospitalisation à Tenon, un nouveau cocktail de médicaments et surtout une plasmaphérèse, cinq heures par jour, tous les jours… Je vois bien qu’elle hésite… « En plus, la personne qui lit habituellement vos biopsies était absente… Je préfèrerais qu’elle la voie, elle rentre lundi »… Dans son regard posé sur moi, je devine l’intense activité de son cerveau qui pèse le pour et le contre, et je retrouve exactement le regard, un instant, du généraliste que j’avais en 2001, juste avant qu’il ne décide de m’envoyer faire la prise de sang qui allait lancer la grande machinerie infernale. À un moment, j’ai presque l’impression qu’elle attend que je lui souffle la réponse, ou qu’en tout cas, j’évoque devant elle un de ces symptômes qui l’aideraient à trancher – alors je me contente de sourire, bêtement, et je le lui redis : il n’y a pas pire que moi pour l’examen clinique, parce que je suis incapable de faire le tri entre les choses normales, les troubles épisodiques et les signes inquiétants… « C’est ma première transplantation, vous savez… » Ça l’amuse.
Et puis, le temps reprend son cours normal : elle cligne des yeux, joue un peu avec sa bouche. « On attend lundi, les résultats de la prise de sang et la nouvelle analyse de la biopsie ». Elle a tranché.
Il est presque 16 heures. J’envoie un sms à ** pour lui confirmer la séance de ciné, le dernier Guy Maddin, et je file à Saint-Michel pour acheter des livres, des contes surtout, que je pourrais emporter avec moi lundi soir si je dois être hospitalisé. Les contes, c’est encore ce que j’ai trouvé de mieux pour l’hôpital…



C'est loin d'être le meilleur enregistrement que j'ai entendu...

12 commentaires:

  1. Comme j'aime ton humour dans les moments difficiles! Je m'y retrouve complétement. Un jour que j'avais un problème anal et que j'étais à 4 pattes sur une table, le médecin me dit: "Je vais introduire mon anuscope". Sitôt dit sitôt fait. Et j'éclate de rire. Médecin interloqué. Je venais de penser que c'était un mot composé d'une racine latine et d'une autre grecque.... mais que, malheureusement, je ne pourrais jamais l'employer comme exemple devant mes élèves. Lorsque j'ai expliqué au médecin la raison de ma bonne humeur, il a lui aussi éclaté de rire, en me disant que l'humour dans ces moments-là était assez rare chez ses patients.
    Plein de bises à toi, Christophe, et tiens-nous au courant.

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    1. Tant que je peux préserver l'humour, c'est que cela ne va pas si mal. Devant un médecin, c'est par ce biais-là que je tente de redevenir.
      Merci pour les bises. Je ne manquerai pas de venir vous rassurer dès que je le peux (théoriquement, j'ai les résultats lundi après-midi).

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  2. Bises et douce brise d'ouest, douceur et parfum d'iode, à emporter avec les contes, au cas où !

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    1. Merci beaucoup. Je ne manquerai pas de les emporter avec moi si besoin. Sinon, je suppose que je peux les relâcher dans mon appartement ?

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  3. Pêle-mêle :
    I) Vous n'imaginez pas ce qui peut se dire au sujet des patients lors des transmissions qui relient toubibs, infirmières et aide-soignantes (j'ai cette chance de bosser dans un service où la hiérarchie n'est pas cloisonnée). Quand nous nous adressons à un patient, nous sommes chargés d'informations préalables. Ça influe.
    II) Les cardiologues souvent n'ont guère bonne réputation, avec leur syndrome légendaire de la toute-puissance. Sauvegarder un jeune patient les exciterait plus que donner une énième chance à un octogénaire...
    III) Les contes entretiennent, la poésie régénère : Mieux vaut l'au-delà de l'analyse, la rare poésie.
    IV) La maladie, la faiblesse, n'épargnent pas les soignants. Nous sommes tous dans la représentation.

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    1. I) Oui, je le sais : j'en connais suffisamment de l'autre côté. Mais l'ancienneté y fait aussi : j'ai vu des internes porter sur leur visage les mauvaises nouvelles bien plus lisiblement que les infirmiers (qui n'en savaient pas moins, effectivement)...
      II) Dans le service où je suis (et pour avoir eu un peu accès à l'envers du décor), l'effet mandarinat n'est pas très marqué, et, de fait, leur sentiment de toute-puissance n'est pas tellement frappant, leurs deux grandes obsessions (que partagent bien des spécialistes face aux jeunes patients) est de les rassurer sur 1/ le fait qu'ils pourront (re)travailler (pff !), 2/leurs chances d'avoir des enfants (et, accessoirement, d'avoir le temps de les voir grandir). Ça m'a toujours frappé, aussi bien en hémato qu'en cardio. Pour en revenir à l'opposition entre jeunes gens et octogénaires en cardio, disons que... le problème, c'est que des chances, il n'y en a pas cinquante et quand toutes ont été épuisées, ce qui est parfois le cas des octogénaires...
      III) Merci, mais non. Ma pratique ancienne des hôpitaux me fait nettement préférer le cadre rassurant du conte à l'horizon infini d'interprétation qu'offre la poésie... Elle accueille, trop facilement, chez moi, l'angoisse.
      IV) En tant que patient, j'espère ne pas toujours être réduit à ma pathologie. En retour, je ne réduis jamais le "corps" médical à sa fonction.

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  4. Bon et bien, le suspense est à son comble ! La prise de sang est plutôt... "optimiste" : pas d'anticorps anti-HLA circulants. Il reste toutefois à attendre les résultats de l'analyse de la biopsie, faite dans un autre hôpital. Donc : "Rappelez demain à la même heure !"
    Je suis partisan de plutôt voir le verre à moitié plein.

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  5. rhooooo... ces scénaristes américains avec leur obsession du suspense !!

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    1. Ouais ! Qui a eu l'idée de recruter les vieux scénaristes d'Urgence ? Virez-moi ça ! C'est à petit budget ici, genre "film européen" ! Putain, si on les laisse faire, je vais me retrouver en troisième saison avec le package leucémie + bandana
      :-)

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    2. Bon bon bon... selon le praticien, il ne s'agit pas d'un rejet, mais pour plus de sécurité, il a demandé des coupes plus fines des morceaux prélevés et donc... résultats... vendredi après-midi.
      Je vais marcher. Avec un peu de chance, je me ferai renverser par un camion-poubelle !

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  6. ah non ! si tu as de la chance ce sera un joli car de touristes

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