mercredi 12 décembre 2012

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse – 3e nuit

Si vous avez manqué le début : 


Je pris le parti de musarder le long des quais, autant pour égarer un peu mon temps – un luxe – que pour calmer la sourde rage que cet imbécile de commerçant avait fait germer en moi avec ses remarques inappropriées, son air suffisant de spécialiste, spécialiste – autant le dire carrément – en rats crevés : y a-t-il vraiment de quoi adopter des airs aussi condescendants ? Et puis quel cinéma à propos de l’âme des rats ! L’avait-il dit, oui ou non ? Pourtant, il me le semblait bien… En mon for intérieur, quelque part derrière la rage, là où bouillonnaient toutes les réparties qui m'avaient échappé, grommelaient des forces plus noires encore, qui lui promettaient les pires malédictions. Pourtant, le ciel était bleu et pur, aurait dû pouvoir garantir la paix de l’esprit, ce d’autant que, dans ma poche, je jouais avec ma promesse (de bois et de métal) de nuits à présent apaisées. Tout de même, il était invraisemblable qu’un événement somme toute aussi mineur – je pouvais retourner les choses dans tous les sens, il ne s’agissait que d’une souris agitant mes placards à la recherche de nourriture – ait pu à ce point ébranler mes nerfs. Ces réflexions et mes pieds, ainsi que quelques considérations impossibles à retranscrire ici tant elles étaient désordonnées, m’abandonnèrent finalement devant mon immeuble où l’employé des postes m’attendait. Avec un télégramme de D.

Dans mon appartement, je me servis un verre d’eau plate et me calai confortablement dans mon sofa. Je lus le télégramme : « Bien arrivé STOP Mission plus intéressante que je ne l’imaginais STOP Espère ton mystère résolu STOP Longue lettre suit STOP Tendrement, D. »

Après avoir armé le piège à souris et l’avoir posé dans un coin de ma cuisine, je descendis déjeuner dans le petit restaurant tout proche, emportant avec moi du papier et quelques livres. Je comptais bien mettre à profit le temps libre offert par cet arrêt maladie pour travailler à mon projet de roman, ce qui requerrait une sérieuse documentation. Le serveur, qui avait développé avec moi une certaine familiarité que la joliesse toute juvénile de ses traits autorisait, s’amusa des titres des ouvrages que j’avais apportés, me demandant à plusieurs reprises si j’envisageais de quitter mon emploi pour devenir exorciste, où était mon balai, si les fantômes portaient quelque chose sous leur linceul et j’en passe. En dépit des taquineries du serveur et de la conversation inintéressante de quelques quidams, bruyants à défaut d’être intelligents, l’après-midi, studieux, s’étiola sans incident majeur, et je rentrai chez moi à la tombée du jour, intellectuellement épuisé, animé toutefois d’une certaine fierté, à mesurer le travail accompli. La soirée, consacrée à la dégustation de jus de légumes, à la lecture du journal et au classement des notes prises, ne parvint pas à m’emporter au-delà dix heures. Je m’allongeai parfaitement détendu et ne tardai pas à m’endormir.

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Quelle heure pouvait-il bien être ? Je n’eus pas même le réflexe de regarder ma montre pour le savoir. J’allumai la veilleuse et restai un très court instant dans mon lit, à essayer de recouvrer mes esprits, à tenter de rationaliser ce qui se produisait : régnait dans ma cuisine une agitation effarante ! On aurait dit qu’un esprit-frappeur s’amusait à y froisser des tombereaux de papier. Chaussé de mes espadrilles, saisissant un objet contondant qui traînait opportunément dans les environs pour les stricts besoins du scénario, je pénétrai dans la cuisine.

Était-ce à cause de la pression qui retomba brutalement ? Était-ce à cause de son air tout à la fois paniqué et ahuri ? Je ne sais… mais la petite souris grise que je découvris affolée dans ma poubelle, où elle était tombée je ne sais comment, déclencha ma subite hilarité. Elle me regardait de ses petits yeux noirs, et je voyais son cœur battre la chamade sous la peau. Elle se mettait à courir en tous sens, à la recherche désespérée d’une improbable issue, puis s’arrêtait de nouveau. Son œil me fixait, dedans la poubelle, au comble de sa panique animale. Je fus pris de pitié. Et puis, autant l’avouer, je ne savais pas comment la tuer, sauf à jeter le piège dans la poubelle et à espérer qu’il se refermât malicieusement sur elle. Surtout, je voyais cette petite créature dans la plus grande détresse, et qui ne voulait après tout qu’un peu de nourriture à l’heure des premiers frimas de l'hiver… Je pensai également aux mignonnes et coquines souris des livres pour enfants, humanisées de façon si charmante. Si ravissantes et amusantes, quoi qu’en disent ces puristes qui ne souhaiteraient que l’interdiction pure et simple de lectures semant, selon eux, la confusion symbolique dans les cerveaux encore gourds de nos chères têtes blondes. Enfin, je pensai aux surmulots de mon enfance, que j’arrachais des griffes de notre chatte, Michounette. Ma décision était prise. Je renonçai au rôle de bourreau – au risque de décevoir Michounette – pour endosser celui de sauveteur. Il était donc près de cinq heures du matin lorsque je descendis l’escalier de l’immeuble, ma poubelle sous le bras, sentant presque à travers la paroi les battements de cœur du petit rongeur en mode colibri. Comment oublier sa joie, manifestée par une course effrénée vers le premier caniveau lorsque je libérai le rongeur ! Ô que ne puis-je conserver intacte cette image en ma mémoire, afin de pouvoir m'en saisir, heureux réconfort, à l'heure de la dernière !

Outre ma fierté d’adopter l’attitude juste, j’éprouvais une tranquille assurance : il me semblait en effet que, sur un plan tout karmique, mon geste était susceptible de me réconcilier durablement avec l’univers.

Quelques instants à peine plus tard, allongé entre les draps, pas peu fier de mon incommensurable générosité, hésitant à prendre un livre ou même à commencer la narration de cette bien belle aventure humaine – une histoire édifiante qui apporterait la preuve, à rebours du bien triste fait-divers scandinave, qu’hommes et parasites peuvent vivre en bonne harmonie… – quand soudain, un bruit terrible se fit entendre dans la cuisine. Un clap sec suivi d’un terrible cri presque surnaturel. Cette fois, sans plus de précautions, je m’élançai dans la cuisine, trouvai miraculeusement l’interrupteur, accoutumai mes yeux à la lumière crue, mais... n’habituai que difficilement mon cœur au morbide spectacle… Car dans une mare de sang (à échelle de souris), la tête enserrée dans le piège de métal, les yeux grand ouverts sur l’injustice de ce monde, adressant à mon intention toute l’incompréhension du monde animal, une souris était morte à l'instant, appâtée par le petit morceau de chocolat (ami lecteur cardiologue, ce n’est pas ce que tu crois) que j’avais déposé sur le piège !



ENTRACTE
Pendant ce temps-là, dans une autre dimension, à une autre époque, à la veillée du club des « Ados souriceaux » :

- C’était par une nuit sombre et orageuse, peu de temps après la fête que les humains appellent Halloween. Jean-Louis et Pamela avaient fait le mur et avaient décidé de faire l’amour, au chaud de la tuyauterie de la cuisine d’un inverti…

- Pfff ! Jean-Louis et Pamela ?! C’est trop des prénoms des années vingt !

- Mickey, veux-tu bien te taire ? Tu veux que j’appelle tes parents pour qu’ils viennent te chercher ?
FIN DE L'ENTRACTE



Dès lors, il me fut tout simplement impossible de retrouver le sommeil. Le moindre bruit me faisait sursauter, car je croyais entendre courir le long des plaintes, tout près de mon lit, une cohorte de souris vengeresses, prêtes à déferler à l’occasion d’une attaque éclair. Il n'était plus question de petites souris riantes d’illustrés pour enfants. Mes visions se peuplaient à présent de rats grimaçants, rependant la peste et le choléra, qui détruisaient les villages et en dévoraient les habitants. Des rats qui courraient dans les rues pavées trop étroites, assoiffés de sang. Les rats du joueur de flûte de Hamelin… Et moi seul contre eux… Car s'il y avait deux souris dans ma cuisine... pourquoi pas cent ?

4 commentaires:

  1. Sais-tu que ce que tu dis de la libération de la première souris, je l'ai réellement fait, un soir d'hiver à la campagne. Lorsque je suis ressorti, deux heures plus tard, elle était toujours là devant la porte, minuscule et glacée. Alors, je l'ai réinstallée dans la cuisine. Je n'ai jamais su ce qu'elle était devenue...

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    1. Quand je l'ai relâchée, elle est partie ventre à terre, si vite que je n'ai même pas eu le temps de voir dans quelle direction !
      Je trouve ton geste très touchant.

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  2. Et moi quand j'habitais dans les monts d'Arrée il y avait une souris qui venait tout les soir au coin de la cheminée où je lisais et un soir elle s'est carrément installée sur mon pied posé sur la pierre du foyer. c'est seulement quand elle a fondé famille, très rapidement et très nombreuse la famille que, j'ai décidé de la virer. De les virer. Opération grosse boîte d'allumettes en guise de piège. Une miette de fromage au fond, et hop on ferme. Évidemment elles revenaient, on était en plein hiver et je me suis résolue à faire emplette de ces foutues tapettes. C'était ça ou tous mes bouquins se réduisaient en miettes; les souris devraient apprendre qu'il y a des choses auxquelles il ne faut pas toucher.

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    1. J'aime bien les rongeurs et je trouve les souris particulièrement mignonnes. MAIS il y a chez moi des kilomètres de câbles à ronger. En outre, être réveillé en pleine nuit n'est pas agréable. Enfin, je dois dire que l'immunodépression m'inquiétait un peu. Certes, je ne craignais pas la peste, mais... :-)

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