jeudi 2 mai 2013

La chicha, le porte-bonheur et…

Les objets ne me sont pas anodins. Jamais. Ces objets dépareillés qui finiront désolés et abandonnés, je voudrais en sauver quelques-uns des décombres.

À l’époque, je fumais – et comme un pompier encore ! C’était quelques mois, quelques semaines peut-être avant mon premier naufrage.

M., qui vivait alors dans une petite chambre de bonne à Botzaris (studette avec tout confort sur le palier et dont la seule fenêtre était au plafond), l’avait acheté dans un bazar près de Belleville. Il y a, aujourd’hui encore, une grande boutique un peu en dessous du métro Pyrénées où l’on trouve de ces objets « asiatisants ». S’y croisent ceux qui viennent très sincèrement acheter de « jolies choses » à offrir, et ceux, plus ricanants, excités par la laideur supposée, et qui flânent dans les rayons à la recherche de l’improbable fait objet en série.

Le papier d’emballage était bleu ciel. C’était il y a douze ans.

M. a pris la ligne 2 à Belleville. Il a changé à Barbès-Rochechouart, a pris la ligne 4 jusqu’au terminus d’alors, Porte d’Orléans. Puis il est monté dans un bus pour venir chez moi à Montrouge, avenue Pierre Brossolette. Peut-être que je l’ai vaguement guetté à l'arrêt de bus qui était presque face à mon balcon, dans la douceur du soir, une cigarette à la main, un thé dans l’autre. Il y avait deux bus, mais je ne me souviens pas de leurs numéros à trois chiffres. Pourtant, je les ai pris pendant des années.

Quand j’ai déballé le cadeau – ce cendrier géant –, je me suis dit que les motifs étaient tout de même très audacieux ; mais c’était un cadeau de M., et je l’aimais. C’était un cadeau sans raison – ce n’était pas mon anniversaire, ce n’était pas ma fête.

Avait-il pris le temps de le choisir, parmi tous les autres objets, pour sa fonctionnalité ? L’avait-il au contraire emporté un peu au hasard ? Voilà bien une question dont je ne voulais absolument pas entendre la réponse. Pas davantage à présent.

Je n’ai jamais utilisé ce cendrier, au contraire de la vieille chicha (qu’il m’a d’ailleurs laissée lorsqu’il est reparti la première fois en Égypte) et du porte-bonheur que j’ai toujours soigneusement suspendu – même si c’était parfois dans des endroits parmi les plus discrets : il m’impose soit le mensonge de superstition, soit l’aveu de tendresse conservée à un autre.

Je n’ai jamais utilisé ce cendrier et il est d’ailleurs longtemps resté dans des cartons de déménagement ou dans des placards, mais il ne me serait jamais venu à l’esprit de m’en séparer, au contraire de la kyrielle de cendriers autrefois « maraudés » dans les bars.

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