jeudi 20 juin 2013

Humeur de chien

Tout a commencé hier soir de façon tout à fait insidieuse. Il faisait lourd et le ciel était menaçant encore, après nous avoir déversé sur la gueule des litres de flotte. Et puis quoi encore ? Qui est responsable de cela ? Livrez-le-moi ! Mes jours de mauvaise humeur sont ceux d'un mégalo qui fait l'expérience insupportable de la réalité résistante. Saloperie de réalité. Par la fenêtre ouverte, les voix insupportables d'une écervelée qui ricanait. Comme une conne, il faut bien le dire. Que soient maudits Paris et sa promiscuité.

Mais qu'est-ce que cette vie a fait de moi ? Je méritais 200 mètres carrés en terrasse, à une hauteur et à un standing tels qu'il faut des autorisations aux ondes sonores pour passer. Qui a saboté ces plans parfaits ? Sur ces entrefaites, un message de mon proprio arrive : il y a sans doute un problème avec ma boîte aux lettres puisque son courrier lui a été retourné.

Oh et puis... puis je crois que le germe de cette mauvaise humeur qui va mettre vingt-quatre bonnes heures à se dissiper, je le retrouve dans la conversation que j'ai eue avec un collègue à midi hier. Il était manifestement dans une phase maniaque et se percevait comme le Steve Jobs contrarié de l'édition. Rien de mieux partagé que la mégalomanie. J'avais du mal à démêler les fils de son discours et il me semblait qu'à chaque fois que je croyais le comprendre et que je reformulais pour en être bien sûr, mon interlocuteur en prenait le contre-pied. Le monde se divise en deux catégories. Il y a ceux qui, dans une conversation, passent leur temps à dire « C'est comme moi », et tentent de reprendre la main ; et il y a ceux qui, lorsque vous répétez ce qu'ils essaient de dire (pour être bien sûr de comprendre leur charabia) s'obstinent à vous dire « Non, non, non, ce n’est pas cela », avant de répéter inlassablement la même chose – sans jamais parvenir à se faire entendre. Admirable. Les deux groupes méritent l'enfer.

Ce matin, je me suis réveillé bien avant l'heure. J'avais de nouveau mal dans le bras et dans l'épaule. Près d'un mois après une biopsie ratée au cours de laquelle le chirurgien s’est obstiné à toucher un nerf à chaque fois qu’il essayait d’enfoncer le guide dans la jugulaire (et mon bras s'élançait dans les airs ainsi qu’une patte de grenouille électrocutée sur une paillasse), près d'un mois après, donc, mon bras me fait encore mal. J’ai arrêté les antidouleurs il y a deux jours. Je suis bon pour reprendre. En plus, fallait se grouiller, parce qu'aujourd'hui, c’était la prise de sang à faire avant 8 h. Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter cela ? Pourquoi est-ce moi qui souffre tant et non Hitler, Staline ou Pol Pot ? Maudit karma auquel je ne crois pas. C’est quoi la prochaine fois ? Bousier ?

Je file à la Poste avec mon enveloppe contenant mon tube de sang à envoyer à la Pitié. J'en profite pour demander si un récent remplacement à la distribution peut expliquer mes problèmes de courrier – « J’en sais rien, faut téléphoner là » – et combien de temps sont conservées les enveloppes indûment frappées de la mention « N'habite pas à l'adresse indiquée » dès lors qu'il n'y a pas mention d'un expéditeur. « Oh mais elles sont détruites immédiatement ». Je repars en maudissant la Poste, les postiers bigleux, les boîtes aux lettres, les timbres et les enveloppes – et je souhaite à tout le monde une privatisation rapide mais douloureuse.

D., encore ensommeillé, tente de me raisonner : « Tout de même, faut pas exagérer, ça marche plutôt bien, la Poste » Que... que... quoi... QUOI ? J'explose. Et mon avis d’imposition qui a fait trois fois le tour de Paris avant d’arriver ? Et d’ailleurs, de quoi j’me mêle ! Le pauvre a partiellement fait les frais de ma mauvaise humeur. Et puis, il était là, agaçant, encore couché, rendormi même, alors que j’étais déjà à travailler, à relire un texte parfaitement idiot – ah toutes ces montagnes de papier gâché ! Alors j’ai fait la seule chose raisonnable : j’ai grommelé, j’ai fait tomber des trucs, de plus en plus lourds, pour qu’il se réveille enfin et me laisse accéder à mon bureau (je vous épargne un plan de mon appartement). En partant, il m’a embrassé et m’a appelé « mon petit grognon ». Ça m’a tout de même fait rire – mais pas longtemps.

Toute la journée a été du même tonneau. Rien n’allait comme je voulais. Sorti marcher en fin d’après-midi, il m’a bien fallu cinq kilomètres avant de me calmer. À mesure que j’avançais, les passants me paraissaient de moins en moins cons. Y’avait de l’espoir. Au moment où j’écris, je ne peux rien encore promettre, mais il me semble bien que… oui… voilà… Ça va mieux. À moins que… Qu’est-ce qu’elle a cette pouffe à me regarder comme ça ?

4 commentaires:

  1. Tiens, en dehors des détails du récit, j'aurais pu écrire quelque chose qui ressemble à ça. Il y a des jours comme ça où on en veut à la terre entière et où il vaut mieux pas tenter de nous chatouiller (je parle pour moi). Ce qui est embêtant, c'est qu'il arrive de ne pas se rendre compte de son état (je parle encore pour moi).
    D'un autre côté, il y a aussi de sacrés emmerdeurs intrinsèquement et définitivement cons (si si).

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    1. En lisant entre les lignes de tes notes, j'avais bien perçu en toi un frère en grognerie ! :-)

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  2. Moi, je ne râle jamais, enfin presque, enfin pas trop souvent, enfin quand il le faut, enfin parfois même n'importe quand. Bon, d'accord, je suis un râleur.

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