jeudi 26 mars 2009

Du nouveau jour



Et puis le soleil se leva dans un ciel apaisé, sur les charniers des plaines et les vallées heureuses. Dans les forêts, ici et là, les rayons blancs frappant, à travers les branches, les jeunes jonquilles, auraient pu susciter bien des espoirs. La vie reprit son cours. Les petites choses grouillantes s'éparpillèrent dans les feuillages, les petits mammifères affamés sortirent bientôt de leurs terriers, agitaient les grandes herbes, à l'affût des proies les plus faibles, les plus fatiguées. Les oiseaux, de branche en branche, recommencèrent à piailler : les oisillons réclamaient l'insecte et le ver. L'eau - les étangs, les rivières et les mers - frémirent à nouveau de la vie. Enfin, les hommes s'éveillèrent et recommencèrent à marcher, droit devant eux, comme dans un premier jour, surpris du bruit sourd qui frappait leur poitrine, de la fraîcheur qui s'éparpillait sur leur peau, qui entrait à l'intérieur d'eux. Ils marchaient, le regard posé sur un monde neuf. Certains retrouvaient le goût de la terre ; d'autres, plus chanceux peut-être, reconnaissaient la douceur de l'eau sur les lèvres gercées. Mais tous marchaient dans l'inconnu de leur vie, de leur mémoire. Tous retrouvaient dans les torsions de leur ventre, la physiologie de la faim, dans le vent frais encore, qui caressait leurs épaules, le froid et la solitude de l'homme. Mais ils marchaient au hasard, dans l'ignorance de leur passé et des chemins qui, au-delà des collines, des forêts et des mers, conduisaient à leurs villes désertes, à des machines monstrueuses qui, certainement, les auraient effrayés. Petit à petit, chacun retrouva la parole, ouvrait la bouche, expirait l'air tiédi de ses poumons et émettait un petit cri d'abord. Ils ne savaient plus ce qu'ils étaient, s'accommodaient mal (vous plissez un peu les yeux lorsque le soleil de midi frappe votre rétine) de ce que les sens (la beauté du monde n'avait aucune réalité) leur disaient du chaos.
Et l'on n'était pas assuré que quoi que ce soit put encore se graver dans leur cerveau.
Pourtant, une image finit par émerger d'un passé qui n'était pas le leur - mais avaient-ils seulement la notion du temps ? Deux jeunes hommes marchaient l'un derrière l'autre, et le second disait au premier, lequel tournait un peu la tête sur sa gauche (ou bien ralentissait) pour mieux l'entendre :
- Je suis là si tu veux... tu n'as qu'un mot à dire...
Celui qui marchait devant, le plus grand des deux, regardait alors droit devant lui, ses yeux fixés sur un point mystérieux de l'épais brouillard, et finissait par répondre, dans un sourire triste (et tous, à cet instant de leur unique souvenir, partageaient ce sourire qui déformait leur visage d'enfants du temps) :
- Je suis loyal, tu sais...
Le plus jeune des deux baissait alors la tête et disait dans un murmure :
- Oui, je sais...
Et tous continuaient à marcher.

1 commentaire:

  1. Et, au fait, pourquoi doit-on toujours marcher en avant, progresser, même après une renaissance...? Ca a un côté épuisant....
    S'asseoir, se poser. Ne plus se poursuivre. S'assurer de loyauté face à face.
    Ou seul, si le premier continue inexorablement son chemin.
    Rester loyal face à soi-même. Ca, c'est encore plus difficile.

    J'aime "l'image qui finit par émerger d'un passé qui n'est pas le leur". Echo de forclusion 1 ? Je ne sais si c'est voulu, mais j'aime ça.
    Écrit par : Lancelot | 15 avril 2009
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    > Lancelot : Nan mais attends là ! Et si moi je voulais les faire marcher sans raison, justement ?
    Écrit par : christophe | 16 avril 2009

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