samedi 4 août 2012

Journée à Fontainebleau

Journée passée à Fontainebleau, ville des origines, si je puis dire, puisque j’y suis né, ainsi que la plupart des enfants des environs, ville où j’ai été à l’école à partir de onze ans.
J’attends ma mère, ma tante et ma grand-mère pour déjeuner, assis à la terrasse de la brasserie, en regardant passer les Bellifontains et quelques autres qui, en vingt ans, n’ont guère changé. Vieilles du premier cercle bourgeois, catholiques, raides – pardon : toniques –, cheveux gris et courts, dans leurs petits tailleurs sobres, pas toujours bleu marine, pas toujours en feutre. Elles sortent ragaillardies de la messe, et s’en vont tancer leurs petits-enfants, trop nonchalants, au repas de famille, une pâtisserie que l’on peinera à qualifier de douceur dans un sac. Tout de même, quelle contrariété, le divorce annoncé de l’aîné ! Les maris, dans leurs costumes marron ou verdâtres, un peu élimés au coude, d’une usure disons avaricieuse, laissent la messe aux « bonnes femmes » (la rare grossièreté qu’ils s’autorisent) et sont restés dans leur bureau à ruminer des choses autrement plus importantes, le plus souvent de vieux cas – médicaux ou notariés – ou bien pour écrire un courrier au député : il est prévu de se voir, quelques jours plus tard, lors de la réunion (bon vin et gibier) d’une quelconque société savante, mais l’usage de la correspondance n’a que trop tendance à se perdre et il y a de menus services à demander et à rendre.
Quelques mètres derrière, sur le même trottoir, mais à une distance sociale raisonnable, la petite bourgeoisie commerçante vient de fermer la boutique. Entre la messe et le commerce, le choix est vite fait, l’hésitation légère comme la soie. Je les regarde : il faudra bien qu’un jour quelqu’un se décide à faire une analyse comparative des nuances de blond chez les teintées de Versailles, de Saint-Jean-de-Luz, du septième arrondissement parisien ou de Fontainebleau.
J’ai été autrefois à l’école avec les enfants de ces dernières, parfois de parfaits petits porcs sans éducation, curieux de rien, que l’on mettait dans des écoles privées parce qu’il n’aurait pu en être autrement – et l’on annonçait le nom de l’école avec un petit air pincé (signe d’une fierté contrainte à une assourdissante modestie) aux cousins plus provinciaux qui, tout de même, s’enquerraient : « Bon sang, qui était donc ce saint ? »
Les touristes flânent. La part de Chinois dans les consciencieuses colonnes asiatiques a progressé, aux dépens des Japonais devant l’objectif photo desquels, autrefois, il nous prenait parfois de jouer, histoire de les savoir repartir avec autre chose que les seuls vestiges mille fois rapiécés d’une cité impériale trop jalouse de Versailles pour rester parfaitement digne.
« Il y a un feu d’artifice pour le 14 juillet ? » J’ai posé la question à ma mère, par association d’idées, en voyant une affiche annoncer celui du mois d’août. Pour la Saint-Louis. « Tu plaisantes ? Pour une fête républicaine ? »
J’ai si peu de souvenirs de cette ville où j’ai pourtant été à l’école sept ans que c’en est presque troublant. Est-ce à cause du mépris qui aiguillait les rêveries de quelques-uns d’entre nous (grands saccages de la ville, bolcheviques ou surréalistes), lesquelles laissaient si peu de place au réel ?
Assis à la terrasse de ce café encore, regardant passer cette foule mêlée de touristes et de résidents, je me suis revu à cette même place quinze ans plus tôt, et je me suis souvenu, tout de même, du terrible ennui éprouvé toutes ces années. M’est revenue la mémoire de textes de jeunesse (poèmes et prose), écrits faute d’oser le anywhere out of the world ou le saccage véritable, des textes qui mimaient inlassablement (plus qu’ils n’évoquaient) l’ennui, celui de l’adolescence, qui disaient le morne intime, plus épais à Fontainebleau encore que dans les tristes après-midis de ma chambre en novembre. La découverte terrible de la vacuité lorsque l’enchantement de l’enfance nous quitte et que rien encore ne peut se déverser dans ce vide.

15 commentaires:

  1. Ce billet m'a provoqué un frisson dans le dos me remémorant une année d'adolescence passée à Versailles ; année que j'ai toujours décrite comme une plongée dans l'horreur balzacienne.

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    1. Ah, sa grande rivale... A Fontainebleau, on a tout de même plus l'impression d'entrer chez Chabrol...

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  2. Quand on citait Fontainebleau chez moi c'était toujours l'occasion pour mon père de mentionner, avec une nuance évidente quoique discrète de plaisir un poil provocateur, qu'à l'occasion de son premier emploi dans une banque de la ville il y avait rencontré Trotsky qui fréquentait le même café que lui. C'était apparemment le seul souvenir vraiment plaisant qu'il en avait gardé. Et moi j'étais tellement fière !

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    1. C'est assez excitant comme anecdote ! Je savais que Trotsky avait résidé à Barbizon. Ils avaient discuté ?

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  3. Je ne connais pas Fontainebleau mais le septième arrondissement est l'un des endroits de France où les femmes se teignent le moins les cheveux ! Plus elles sont issues de la haute bourgeoisie, plus elles assument le gris et le blanc de leurs cheveux.

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    1. Je te garantis que cette fierté s'est arrêtée à l'entrée de la rue Saint-Do' !

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  4. Je te crois sur parole !
    et j'emporte avec moi la dernière phrase, sur la vacuité des sorties d'enfance, vacuité dans laquelle il est si facile de se noyer avant que les premières terres n'apparaissent au loin.

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  5. Cette ambiance m'angoisse par tout ce qu'elle a de morbide.

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  6. J'ai l'impression de connaître si bien ce que tu décris ici... J'en suis désolée pour toi.

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  7. Fort bien vu, d'autant que je partage tout ça. Durant mon enfance surtout, j'ai été quelque épargné, même si dans la ville ouvrière de mon enfance, il y avait malgré tous des "cas" très ressemblants à tes mangeurs d'osties.

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    1. Oui, je crois en effet que les proportions peuvent être très inégales selon les villes, mais qu'il demeure toujours un noyau... mais malheureusement, pas toujours un Chabrol.

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