vendredi 1 février 2013

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse - VII

Si vous avez manqué le début :
V - Troisième nuit
VI - Troisième journée



J’avais nettoyé leurs déjections ainsi que leurs scandaleuses réserves de victuailles, et dans la nuit qui suivit, je m’éveillai en sursaut quelques fois. Il me semblait entendre renifler, marcher, crapahuter, grignoter, couiner – ricaner même peut-être, et pourquoi pas ! –, mais dès que j’allumais la lumière, les parasites se faisaient plus discrets, ou bien mes cauchemars, ou bien les deux à la fois. À force de raison obstinément convoquée, je finis tout de même par me convaincre qu’il ne s’agissait, encore une fois, que du produit d’une imagination qu’il aurait décidément mieux valu brider durant mes jeunes années, et que les traces trouvées avaient été laissées là avant l’éradication des… souris. Convaincu ? Pas au point, sitôt levé, de vérifier la présence de nouvelles traces… que je trouvai pour mon plus grand malheur. Je dus donc me rendre à l’évidence : je n’étais pas débarrassé de ces maudits rongeurs. Pour autant, aucun ne s’était laissé prendre au piège, car ils avaient dû se passer le mot, à moins qu’ils ne sentissent la sinistre odeur du sang de leur frère sur le piège en bois. Mais où ces animaux se cachaient-ils ? Et, s’ils ne faisaient que transiter par mon appartement, par où y pénétraient-ils ? Tout cela tournait en boucle dans mon esprit tandis que je me livrai à mes ablutions. Au risque de me mettre en retard, j’inspectais de nouveau toutes les plinthes, tapotant à la recherche d’une galerie ou d’une niche, mais non, rien, il n’y avait rien. C’était à n’y rien comprendre. Cédant à une impérieuse impulsion, que – autant l’admettre – je laissais germer depuis quelques jours déjà, je recherchai dans ma bibliothèque un ouvrage que je savais en ma possession et qui traitait de grandes querelles scientifiques. Car, à rebours des principes édictés par notre Académie des sciences, je n’excluais plus aucune hypothèse. Sitôt l’ouvrage trouvé, je le prenais sous le bras et quittait mon logis incontinent. Installé dans l’hippomobile, je feuilletai avidement le livre, en quête du chapitre consacré à l’abiogenèse, et le trouvai entre le chapitre traitant de l’éther et celui consacré à la métempsychose.

Les premières traces de la théorie de la génération spontanée remontaient à Aristote et les plus grands philosophes l’avaient soutenue. Comment Descartes, qui avait de façon irréfutable prouvé l’existence de Dieu au moyen des seuls muscles de son cerveau génial, aurait-il pu cette fois se tromper ? Geoffroy Saint-Hilaire, Lamarck, nombreux étaient également ceux de nos scientifiques à n’en pas démordre : certes, le cycle de reproduction de la plupart des espèces animales était semblable ou, disons, analogue au nôtre en bien des points, mais il relevait du bon sens que ne devait pas pour autant être balayée d’un revers de main trop orgueilleux l’existence des infusoires, ces formes de vie plus simples qui apparaissaient, elles, par génération spontanée. Je restai interdit un moment… En vertu des principes scientifiques bien connus selon lesquels il n’y a pas de fumée sans feu et que, tout de même, les voies du seigneur sont impénétrables, ne pouvait-on dès lors imaginer que le créateur ait choisi, pour les espèces les plus viles – et assurément, les rongeurs en comptaient – des modes de reproduction plus archaïques ?

L’ouvrage battait en brèche bien des idées trop modernes pour être honnêtes, et il était positivement passionnant. Mais les petites lettres, l’impression peu soignée, la difficulté et la finesse même des concepts abordés, le chaos de l’hippomobile, tout cela rendait la lecture fastidieuse et, pour tout dire, harassante. Malgré moi, et sans doute enivré par les vapeurs ammoniaquées des déjections de l’attelage, je piquais du nez sur mon livre. Oh, quelques instants seulement, car une bousculade me réveilla. Je remarquai aussitôt qu’une feuille de papier, couverte de quelques lignes tracées d’une fine écriture, avait été déposée sur les pages de mon livre ouvert. Presque automatiquement, je levai les yeux et les lançai sans ménagement aux deux ou trois personnes qui descendaient à l’arrêt, à la recherche de celle ou de celui qui, geste prémédité ou non, m’avait abandonné cette feuille. Parmi elles, j’avisai un homme blond habillé d’un Lederhose, qui était jusqu’alors assis derrière moi, ce qui, bien plus encore que son accoutrement si souvent ennemi, me le rendait suspect. Devais-je me lever et essayer d’attraper l’autrichien quidam ? Mais déjà il tournait la rue et l’hippomobile repartait. Je me rassis et entrepris de lire le texte que le mystérieux voyageur m’avait laissé. J’eus d’abord toutes les peines du monde à en déchiffrer les caractères où perçait, graphiquement parlant, la nette influence gothique, mais après quelques minutes le message apparut :

Cher betit monsieur,

Fous afez raison. Bien des choses de ce monde pourraient être zexpliquées si n’était trop zoufent écartée la – ach ! – théorie de la guénération zpontanée.

Un ami qui ne fous feut pas de mal. Nein.


Que cet homme ait, à quelques nuances près, le même accent que ma femme de ménage, Lydie Strata, était déjà par extraordinaire, mais ce n’était pas cela qui nourrissait mon étonnement mâtiné de rage. Donnerwetter ! comme aurait dit mon prévenant ami, la ville entière avait-elle un avis à donner sur la situation ? Pire, il me semblait qu’un mauvais feuilletoniste s’échinait à me pourrir la vie ! À quoi bon ces rebondissements presque quotidiens ? Quel (charmant) diablotin se jouait de moi ? Était-ce trop demander que de me voir – purement, simplement et rapidement – débarrassé de ces souris ? Ces histoires abracadabrantesques étaient-elles nécessaires ?

2 commentaires:

  1. Pourrais-je avouer que l'histoire me parait plus intéressante dés qu'apparait un charmant blond en Lederhose avec un petit accent autrichien...?

    RépondreSupprimer