samedi 2 mars 2013

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse - VIII

Si vous avez manqué le début :

I
V
VI
VII

Arrivé sur mon lieu de travail, et bien que croulant sous la charge, j’éprouvai les plus grandes difficultés à me concentrer. Je commis des erreurs de débutant, répondis de façon inappropriée à mes collègues, égarai des manuscrits important. En début d’après-midi, n’y tenant plus, j’envoyai un pneumatique à l’Académie des sciences. Il me fallait obtenir un rendez-vous avec le professeur Hornet, un éminent zoologue qui m’aiderait à y voir plus clair et, pour cela, j’étais prêt à tous les stratagèmes. Gonflant nettement mon pedigree professionnel, je prétendis dans la missive être envoyé par un éditeur écossais, Oliver Lindenbrook, ambitieux mais tout fictif personnage qui s’était donné pour mission de réunir les contributions des plus grands spécialistes de notre temps en vue de la publication d’un ouvrage de référence. Quelques minutes après, je reçus en retour une invitation à venir le rencontrer dans la soirée. 

 Ne prenant pas le temps de repasser chez moi pour me changer, je filai directement à l’Académie, trouvant sans difficulté, malgré la multitude d’étages, de couloirs et de bureaux, celui de l’éminent spécialiste. Tout de même, mon culot me donnait le vertige… Je frappai timidement à la porte, songeant enfin à la façon dont il convenait d’aborder avec ménagement le sujet. Une voix gutturale m’invita à entrer. La lourde porte en bois était déjà entrouverte. Je la poussais doucement, autant par prudence que par crainte : l’embrasure dévoilait un effarant désordre. Sur les très nombreuses étagères de bois qui occupaient la totalité des murs, des bocaux de toutes tailles rayonnaient d’une faible mais inquiétante lumière jaune, qui venait d’on ne savait où. Je finis par constater qu’ils contenaient les créatures les plus étranges. Je promenai mon regard sur les étagères pendant un temps que je crus durer indéfiniment. Je reconnus quelques espèces animales, mais, pour la plupart, les… choses que contenaient les bocaux m’étaient parfaitement inconnues… Tout de même, ne s’agissait-il pas, çà et là, de fœtus humains victimes des plus abominables fantaisies de la nature ? 

 Sorti de derrière sa paillasse, un instrument tranchant encore à la main, mon interlocuteur vint à ma rencontre. Il me gratifia d’un sourire franc quoiqu’un peu sévère. 

 « Hum. Monsieur McC. je présume ? »
Acquiesçant, je lui rendis son sourire et acceptai bien volontiers son invitation à m’asseoir. Il remplit deux verres de Porto et engagea la conversation en me citant quelques noms fameux de scientifiques anglo-saxons, noms que je feignis de ne pas comprendre immédiatement, pour mieux les prononcer à mon tour avec quelque improbable accent– mais supposé écossais et donc incompréhensible – en poussant des exclamations que je lui laissais le soin d’interpréter. 

 « Que nous vaut l’honneur ? » finit-il tout de même par demander.
Je me lançai dans les explications les plus farfelues, mais plein d’assurance, évoquant tour à tour l’importance de ses travaux et l’ambition de l’éditeur qui m’employait.
« Êtes-vous scientifique vous-même ? »
Je dus bien admettre que non, mais j’ajoutai aussitôt, et avec une jeune fougue qui ne me caractérisait – professionnellement parlant – plus depuis des lustres, que mon inextinguible curiosité avait gagné la confiance de mon éditeur. Lorsque mon interlocuteur me demanda si j’avais déjà rencontré beaucoup de ses confrères, je sautai sur l’occasion.
« Justement, que pensez-vous de la théorie de la génération spontanée ? Je sais fort bien qu’elle est battue en brèche, mais l’un de vos confrères… un Autrichien, m’a assuré qu’elle avait été écartée bien trop rapidement et que sans doute… »
Il ne me laissa pas finir et partit d’un grand éclat de rire. « Je vous en prie, ne me donnez pas le nom de ce… “confrère” qui entend défendre de telles sottises ! Tous les grands scientifiques – les sérieux, dois-je le préciser – ont renoncé à cette idée absurde. Toutes les expérimentations menées avec rigueur les ont définitivement enterrées ! » Plus grave, il ajouta : « Ceux qui prétendent le contraire sont des escrocs... ou des fous ! » S’ensuivirent de longs développements théoriques, effectivement parfaitement convaincants, même si suffisamment abscons pour que je n’éprouve pas le besoin de les retranscrire ici. Près d’une heure plus tard, je quittai ce cher professeur Hornet, non sans l’avoir remercié pour la qualité de nos échanges et l’assurant que si le projet de mon éditeur devait se concrétiser, je ne manquerais pas de reprendre contact avec lui.
Je rentrai à la tombée de la nuit. La femme du gardien m’intercepta dans l’escalier pour me remettre mon courrier. Je reconnus immédiatement la fine écriture de D. sur la première enveloppe que je m’empressai de déchirer. Je ne peux évidemment pas dévoiler ici la totalité de son contenu, bien trop passionné pour de chastes lecteurs, mais il évoquait également largement son périple, apportant certaines informations qui aiguisèrent particulièrement ma curiosité… En effet, son équipe et lui avaient suivi les traces d’un troll qui les avaient conduits non loin du village victime de l’invasion de rats. Il avait pu échanger en latin avec un savant local, lequel lui avait rapporté des faits assez troublants : dans les jours qui avaient précédé le chaos, un scientifique viennois avait loué une petite maison aux abords du village pour, avait-il dit, mener des expérimentations biologiques. Il avait disparu le jour même de l’éclatement des troubles qui avaient conduit à la presque destruction du village…

Malgré moi, mon pas avait ralenti dans l’escalier… Pouvait-il y avoir un lien entre tous ces événements ?

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