jeudi 2 juin 2011

Journal d'hospitalisation IV - lettre à Juliette

Le 29 mars 2011

Ma chère Juliette

Je préfère t’écrire plutôt que de te téléphoner pour l’instant, à cause de mes difficultés respiratoires, mais aussi parce que je me sens moralement un peu faible et que prendre le risque de m’effondrer au téléphone est au-dessus de mes forces...
La question de la greffe avait déjà été évoquée, mais comme – à mes yeux en tous cas – la menace absolue. D’avoir observé ces jours-ci la diminution progressive de mes traitements m’avait plutôt porté à croire que ce ne serait pas/plus nécessaire. Mais il y a mes difficultés respiratoires, mais il y a les difficultés à diminuer la dobutamine. Si ces diminutions échouent, il faudra changer de stratégie du tout au tout et donc envisager la greffe.
La greffe... C’est évidement complètement abstrait, mais ça me fait terriblement peur, pas tant l’opération elle-même que toute la portée de cet événement, à commencer par : est-ce que je veux vraiment de tout cela... Dix ans après mon cancer, ce nouveau gros pépin... Et puis quoi encore ? Et puis quoi après ?
coeurLa transplantation me donne l’impression de soustraire le cœur à quelqu’un qui attend aussi et qui en aurait plus besoin : qui serait mieux quoi en faire...
Et puis j’écris cela tout en me disant que l’on finit par s’habituer à tout ou qu’il s’agit juste de me familiariser avec cette nouvelle voie de mon existence, sur un horizon de plus en plus restreint...
Je suis vraiment désolé d’être à nouveau l’ami fragile, parce que je sais bien dans quel état cette lettre va te mettre, mais je crois que si je le taisais – et d’ailleurs combien de temps le pourrai-je... – tout cela (et tu vas me trouver grandiloquent mais dans « tout cela », je mets notre amitié et la vie même) n’aurait plus aucun sens.
Je viens de me relire, quelques heures après, et je voudrais tout de même te rassurer... si le principe de l’abandon des médicaments sous perfusion échoue, ce n’est pas pour autant que la greffe sera pour tout de suite. D’abord on laissera une autre chance à mon cœur de récupérer... qui sait...

Je t’embrasse fort et te dis à bientôt.

Christophe

1 commentaire:



  1. Une éventuelle greffe de cœur, outre la lourdeur de l'intervention et le stress de figurer parmi des centaines de candidats (ton âge aura sans-doute permis de grimper haut et vite dans la liste, ainsi que les arguments de ton chirurgien), laisse facilement imaginer qu'écrire fut plus aisé que parler : le pas à sauter est énorme et directement symbolique.
    Diminuer progressivement les traitements après un semblant de stabilisation permet souvent de "bilanter" (mesurer l'effet des dernières prescriptions tournées vers le sevrage) pour préciser le diagnostic et jauger la tolérance de ton organisme (la voie chirurgicale, donc intrusive, restant le recours d'urgence).
    De réputation, les cardiologues, comme en "réa", mettent un point d'honneur à privilégier les patients récupérables (une trop forte mortalité tâcherait leur blouse)(syndrome de la "toute-puissance"). Trop souvent la pneumo (où je bosse) reçoit des cas désespérés sur le prétexte d'un diagnostic un peu hasardeux d'une "légère" dyspnée. Te garder dans ce service "cardio" était un bon signe :)
    Aveu : les commentaires compulsifs de Juliette m'ont souvent irrité, je l'ai imaginée en fofolle maîtrisant mal la différence entre "e-mail privé" et "contexte bloguesque", "logorrhée" et "soin de faire écho au billet de façon ouverte et ,d'une seule pierre, pertinente". Je tacherais désormais de l'imaginer en meilleur(e) ami(e).

    Écrit par : Kab-Aod | 03 juin 2011
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    je devrais répondre par mel je sais. mais c'est un besoin chez moi de m'étaler. besoin d'être entendue christophe a su m'entendre merci je sais bien que j'en fais trop, et christophe dis-moi si ça te gêne. parfois je préfère déposer au sein d'un blog car je n'arrive pas forcément en privé. je suis désolée. si mes commentaires t'ennuient christophe dis-le moi. j'ai toujours été trop démonstrative. une façon de construire ce corps. je ne sais.

    Écrit par : Julietre | 05 juin 2011
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    > Kab-Aod : Un ami qui bosse là-bas m'a dit que de toute façon, ils avaient vite compris qu'a priori, "on" n'échapperait pas à la greffe. Je pense que la tentative de sevrage - certes indispensable d'un point de vue protocolaire - ne leur laissait guère d'illusion. D'ailleurs, la vraie question a peut-être été celle de l'appareillage...
    Et oui, mon âge a compté... Pour des questions statistiques, mais pas seulement.
    Quant à Juliette, bien malin celui ou celle qui peut prétendre à l'hermétisme des frontières (intérieur/extérieur) - et je lui pardonne toutes ses porosités. Après tout, un commentaire, ça se zappe très bien à la lecture. :-)

    > Juliette : Tu es évidemment pardonnée ! ;-)

    Écrit par : christophe | 11 juin 2011

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