vendredi 3 juin 2011

Journal d'hospitalisation V

Première semaine d'avril

Le jeune médecin qui parle trop bas alors que l’oxygène chuinte à mes oreilles m’annonce qu’une curiosité sanguine – comprenez certains marqueurs – évoque une récidive de mon Hodgkin… à moins que… « Vous avez des douleurs dans les os ? ». Ils vont devoir pratiquer un myélogramme, une ponction de moelle. Oui, je connais. « Malheureusement, ajoute-t-il gêné, des résultats effectivement positifs vous retireraient d’emblée de la liste d’attente des greffons. »
Pour la première fois depuis que je suis ici, je me sens véritablement et durablement vaciller – rien ne pourra me protéger, aucun mot ne saura me réconforter – et les larmes me montent aux yeux. Je les contiens du mieux que je peux, et je m'en veux de si mal les retenir devant lui. Je ne veux plus que la sortie du médecin de ma chambre. Et qu’il ferme bien la porte, qu’il interrompe un moment la ronde incessante des dames d’entretien, des aides-soignantes et des infirmières.
Je resterai toute la journée du lendemain sans en parler à quiconque, à faire comme si de rien n’était – une certaine habitude : j’attends les résultats de la ponction en me disant que cette fois, je risque de crever à l’hôpital sans même avoir pu remettre un pied dehors, car il me semble évident qu’ils ne pourront pas soigner simultanément un cancer et une cardiopathie arrivée à ce stade de sévérité, et que, même s’ils se mettent en tête d'essayer, je ne suis pas certain, moi, de le vouloir ; et je me prends à rêver à une défaillance organique rapide et fatale qui me soustraira à la chimio au cas où leur viendrait l’idée de m’en imposer tout de même une, car une chose est sûre, je ne pourrai pas mener les deux « combats ».
Je n'ai jamais voulu employer ce mot « combat » depuis dix ans, même au temps du Hodgkin – et je le fais soudainement pour celui qui me semble ce soir perdu d’avance.

1 commentaire:



  1. [J'écris ce commentaire après avoir rédigé le précédent, par ordre de lecture. Je te laisse des messages plus que de coutume mais, forcément, CETTE expérience ultime m'inspire, et m'inspire d'autant plus que tu as régulièrement provoqué une sympathie de longue date chez moi (jugement purement intuitif)]
    "Vous avez des douleurs dans les os ?" : Suspicion de métastases. Comme si Hodgkin ne t'avais rien appris des protocoles et des vices possiblement cachés ou récidivistes. Cet interne techniquement a fait son boulot. Or des "douleurs dans les os" j'ignore ce que ça produit (très peu de patients, voire quasiment aucun, savent clairement évoquer une douleur "osseuse" ; seule une scintigraphie localise le problème).
    Cette nuit, fumant en cachette à la fenêtre des vestiaires, j'ai ressassé ce que tu livres.
    Je souffre d'une double pincement des deux derniers disques lombaires. Or C'est aux aines que la douleur principale se répercute.

    Écrit par : Kab-Aod | 03 juin 2011
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    je t'embrasse fort et je comprends très bien que tu n'aies su nous le dire. on est trop choqué soi-même. je peux te lire de bretagne. j'ai le 3G sur mon iphone. je suivrai ton blog. merci pour ta voix hier. gros bisous. je t'aime fort mon christophe. reste avec nous surtout. mais je comprends ce ras le bol. je suis pour qu'on m'euthanisie si je suis vraiment trop épuisée. de plus en plus. et je peste qu'en france ce ne soit accepté que pour nos compagnons à 4 pattes. grosses bises et merci.

    Écrit par : Juliette | 05 juin 2011
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    > Kab-Aod : oui, métastase ou ostéosarcome - je ne sais pas exactement à quoi il pensait... mais au fond, cela aurait été vraiment pas de chance que la récidive du Hodgkin ne soit visible que dans la moelle avec toutes ses localisations possibles (extension très contiguë).

    > Juliette : Ce n'était pas un problème du savoir dire. Plutôt du vouloir dire : je ne voulais pas entrer dans cette intimité-là tant que je n'avais pas plus de certitude.

    Écrit par : christophe | 11 juin 2011

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