mercredi 29 juin 2011

Journal d'hospitalisation XI

12 mai 2011

Il m’apparait comme évident que la période qui a suivi la transplantation, période au cours de laquelle je devais être particulièrement protégé contre les infections – visiteurs entrant dans ma chambre avec bonnet (pour les plus zélés), masque et blouse – a largement contribué à une réactivation de ma phobie du contact, et je dois bien l’admettre : j’ai maintenu, bien au-delà du temps nécessaire, la distance physique imposée à la famille et aux amis.
Et puis, il a fallu être raisonnable. J’ai donc demandé au cardiologue ce que je savais déjà, à savoir si je pouvais lever les tabous. « Oui, sauf si les gens sont malades », m’a-t-il répondu. Certaines réactions enthousiastes des visiteurs m’ont littéralement paniqué : il n’y a que très peu de proches dont les embrassades ne s’accompagnent pas chez moi de raidissement angoissé. Et lorsque mon ineffable mère est entrée dans ma chambre, elle m’a dit quelque chose comme : « Alors on peut t’embrasser… et te tripoter aussi ! » Le temps passe sans jamais s’épaissir d’enseignements : qu’elle n’ait jamais interprété mes mouvements de recul à son approche, je peux le comprendre ; mais je me fais plus difficilement à l’idée qu’elle n’ait pas même pu les intégrer à ses attitudes corporelles. Elle déborde toujours autant et je ne peux alors m’empêcher de penser que mon individualité glisse sur elle comme une donnée purement théorique – de surcroît jamais validée. D’où l’impression d’inlassable répétition dans les échanges que je peux avoir avec elle.
Lorsque je repense à ma jeunesse chez elle, ce n’est que pour m’arrêter aux souvenirs des difficultés que j’ai eues à me dégager de son étreinte (j’écris cela sans méchanceté), de sa peau même lorsque j’étais enfant, et de ses impudeurs innocentes. Avec un père qui n’était pas pressé de reprendre à l’enfant le corps de la mère, et dont la loi ne visait qu’une chose : lui assurer un minimum de paix les rares soirs où il rentrait et le week-end, en attendant de pouvoir retrouver sa (ses ?) maîtresse(s).
Avec mes amants, ces angoisses ont parfois pu être très prégnantes – et je me demande si je dois en faire une lecture chronologique, avec des progrès et des régressions ou si, au fond, tout dépend des amants. Je serais assez tenté par la seconde hypothèse. Les élans amoureux de certains ont pu m’évoquer une voracité terrifiante, me laissant le souffle court, en apnée sensuelle, prêt à tous les subterfuges pour m’échapper. Avec d’autres, les choses ont pu être plus simples, soit que j’ai pu composer un rôle (mais combien de temps peut-on le tenir ?), soit que – et sans vouloir en faire l’apologie – la composante machiste à l’œuvre dans la relation – qu’elle relève de ma posture ou de celle de l’autre – ait pu terriblement alléger le poids de ma peau. Peut-être parce que les machos s’abandonnent bien souvent à une certaine passivité : la fascination qu’exerce sur eux leur virilité les porte souvent à la contemplation du plaisir que leur toute-puissance délivre – parfois même leurs mains restent calées sous leur tête. Tout cela n’est pas bien clair encore. A creuser entre deux ALD.

2 commentaires:


  1. C'est drôle: dans ma famille, c'était exactement l'inverse. On ne nous touchait guère et j'ai gardé longtemps (encore aujourd'hui même parfois) cette phobie du contact trop généreux jusqu'au jour où j'en ai souffert. Je pense même que beaucoup dans ce que je suis vient de là. Lorsqu'il m'a fallu faire les premiers pas dans la vie de tous les jours (je ne parle pas du contact sexuel que, curieusement, j'ai toujours considéré d'une autre nature, encore que....), j'ai eu du mal à oser des gestes de simple tendresse alors que j'aimais infiniment la personne qui se trouvait en face de moi et que mon attitude était souvent interprété comme une grande froideur et un manque de cœur. On m'a souvent dit que je n'étais pas simple à approcher et que je pouvais réfrigérer au premier abord.
    Une de mes plus grandes émotions: le jour où mon père, sans un mot, m'a tapoté l'épaule alors que je rentrais de l'enterrement de mon ami d'enfance.

    Écrit par : calystee | 29 juin 2011
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    un jour où j'ai voulu serrer ma soeur dans mes bras, elle s'est reculée, ne pouvant répondre à mon étreinte et s'est excusée, elle pleurait prrsque, me disabt que l'éducation rrçue par notre père ne nous avais jamais rapproché. elle était désolée je crois de sa réaction incontrôlée. c'était trop brutal, j'y suis allée trop franco. depuis jamais je n'ai osé récidivé et la prendre à nouveau dans les bras. mon frère, n'en parlons pas. il faut dire que maman m'a porté trous ans exclusivement dans ses bras. ma soeur se sentait rejetée, était jalouse (mon frère aussi). moi l'aînée j'étais considérée comme la plus petite. ma maman a eu tellement peur que je ne meurre qu!'elle ne m'a jamais lâché. c'est toujours complexe nos rapports aux parents, à la famille. grosses bises. j'espère te voir le 6 juillet à la cafét de l'hosto.

    Écrit par : Juliette | 30 juin 2011
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    Je comprends tellement ce que tu dis... La négation de l'individualité... J'en suis là. C'est difficile pour moi, culpabilisant, d'avoir envie de dire, s'il te plait, ne me touche pas.

    Écrit par : Georges | 30 juin 2011
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  2. oui la négation de l'individualité. j'ai toujours senti mon corps comme une excfoissance de celui de mamaman et comme appartenant aux médecins. pour me construire j'avais au contraire un immense besoin des bras amis. christophe l'a compris. je crois qu'on n'a jamais eu aucun souci de ce côté là car on se comprenait. mais oui je comprends cette négation. je la vis autrement, et en même temps je tente d'être entière dans ma réflexion, mes rêves. c'est en dedans que je me construos un corps auquel ni ma maman ni les médecins ont accès. ce corps externe je peux m'en séparer comme une coquille vide.
    c'est complexe et il faudrait de longues pages pour expliquer tout ça. gros bisous depuis le jardin du gite breton. il fait doux.

    Écrit par : Juliette | 30 juin 2011
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    Juste, je suis venu relire ce post.

    Écrit par : Georges | 01 juillet 2011
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    De retour de vacances et lectures en retard, donc. Forcément je pourrais m'étendre (côté soignant) sur la "contrainte" des aplasies et autres protocoles d'isolement. Puis, plus intimement, sur les contacts, cette dichotomie entre mes névroses, mes fantasmes et les nécessités de mon métier (l'effet pervers de la pseudo-pudeur inculquée dans l'enfance, la gêne et ma réfraction quand mon hétéro de conjoint me donne des leçons d'affection publiques, mon dédoublement spontané quand je lave un patient ou bien lui empoigne la main quand la détresse l'accapare, etc)(dans la foulée je pense à ce patient très angoissé lors d'une grave décompensation respiratoire lors d'une nuit : "Ne me touchez pas, ça me stresse" ; je consolais son épaule tandis qu'interne et infirmière opéraient de froids examens). S'avérer maladroit, par les temps qui courent, devient de plus en plus facile et identifiable (nous sommes des Hommes bien avant d'incarner un idéal professionnel).
    J'ai appris "par hasard" qu'un de nos pneumologues était décédé de son lymphome (53 ans ; la veille il auscultait encore). Que le père d'une de mes jeunes collègues était hospitalisé dans notre service pour un cancer du poumon déjà métastasé (même âge). Alors, oui, écrire peut servir à nuancer des représentations. Et je connais des blogs de taximen qui le font bien.
    Tu prends le métro ? Alors je t'attends ici après l'été (parce que là les huîtres sont désormais laiteuses ;) )

    Écrit par : Kab-Aod | 02 juillet 2011

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