samedi 17 novembre 2012

Entracte

Quand j’étais petit, je n’étais pas grand (*) et, dans les salles de cinéma – qui portaient des noms comme le Sélect, le Rex ou l’Ermitage –, il n’y avait pas de rehausseurs en plastique : les adultes entassaient leurs vêtements sur un siège et vous posaient au sommet comme une cerise. Si cela ne suffisait pas, des voisins de siège vous prêtaient leurs manteaux. C’était parfois un peu branlant, mais rigolo, et les adultes vous faisaient remarquer, à la sortie, qu’ils appréciaient que vous ayez chauffé leurs vêtements. Faut-il préciser que tout était plus compliqué l’été ? Alors l’été, justement, l’ouvreuse en tailleur, équipée de sa petite lampe torche, faisait particulièrement attention aux enfants, veillant à ce qu’un échalas ne prenne pas place devant eux.

Il y avait un rideau rouge qui coulissait bruyamment pour découvrir l’écran. Parfois le projectionniste, peut-être à cause de ses doigts poisseux de Michoko et autres Raiders (« deux doigts coupe-fin »), coinçait le bouton qui commandait le moteur, et le rideau ne cessait de s’ouvrir et de se refermer. Ça faisait du scandale chez quelques-uns, gonflés de leur importance, et ça faisait rire les autres.

Je tiens à préciser à certains moqueurs que, non, je n’ai pas connu les actualités, mais que si les publicités vantaient des produits d’envergure nationale, elles faisaient également de la réclame pour les commerçants du coin (j’ai connu cela aussi à Paris il y a quelques années) : venez donc dîner à la crêperie, à la pizzeria, à la saladerie (**). Ma sœur, son copain et moi, nous allions manger un hamburger : il n’y avait pas encore de clowns américains, mais on trouvait déjà des hamburgers. Je me souviens des feuilles de salades, des morceaux énormes de laitue qui dépassaient généreusement des pains…

Pendant les publicités, l’ouvreuse repassait, avec son petit panier en osier sanglé derrière le cou. On lui faisait signe de la main et, si l’on était un peu trop éloigné, on faisait passer l’argent de main en main. À l’époque, personne n’aurait eu l’idée de prendre l’argent. À présent, personne n’aurait l’idée de prendre le risque. Au bout de l’allée, elle montrait les différentes confiseries une à une, et on lui faisait signe quand elle désignait celle que l’on voulait. Ma sœur m’achetait des chocolats au lait fourrés. Les carrés étaient prédécoupés, mais il fallait faire attention à ne pas faire trop de bruit lorsque l’on retirait le papier aluminium qui les couvrait.

Après c’était le noir et le film commençait. J’ai sans doute vu beaucoup de films (et d’ailleurs nombre de navets), mais le souvenir le plus précis, c’est le plaisir éprouvés à l'instant où passait une certaine publicité qui fonctionnait comme un code : oui, tu ne rêves pas, tu es bien au cinéma.



Il y a quelque temps, j’expliquais à D. que j’aimais voir les vieux films projetés à l’Accatone pour les rayures sur la pellicule et le son crachotant. Malheureusement, il se murmure que l’Accatone est en liquidation judiciaire...

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(*) J’ai toutefois attendu d’être adulte pour montrer mes fesses aux passants.
(**) Certaines publicités sentaient vraiment fort l'amateurisme, mais peu étaient aussi laides que celle pour le musée du Quai Branly manifestement tournée avec un vieux téléphone portable...

2 commentaires:

  1. J'ai connu un peu tout ça, moi aussi, et j'attendais avec impatience le petit mineur qui se faisait courser par une vache furieuse.

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    1. Ah je n'ai pas connu le petit mineur poursuivi par une vache. Il lançait sa pioche dans une cible.

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