lundi 19 novembre 2012

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse – 1re journée

1re nuit

J’avais éprouvé les pires difficultés à trouver le sommeil, contrairement à mon acolyte qui avait eu, lui, tôt fait de renouer avec Morphée, à croire qu’il avait été infecté par un parasite exotique, de ceux qui vous plongent dans une sévère narcolepsie. Je m’étais, quant à moi, tourné et retourné dans le lit jusqu’aux premières heures du jour, ayant tour à tour trop chaud ou trop froid, repoussant ou attirant à moi les couvertures, attentif au moindre bruit – en vain –, mais plus encore, victime des affres de mon cerveau qui, en dépit des consignes, s’échinait déjà à trouver des explications et des moyens d’investigation. Devais-je abandonner des morceaux de nourriture (de nature et de consistance différentes) afin de déterminer le régime alimentaire de l’animal ? – en mon for intérieur, j’implorais (à vous, je peux le confier) le Très Haut pour qu’il s’agît au moins d’une créature divine… Devais-je laisser un morceau de fromage (allégé, ami lecteur cardiologue) ? Un verre de lait ? Des biscuits ? De la poule au pot ? 

La journée du lendemain, consacrée à mes activités professionnelles, fut un véritable calvaire. Non que les « cadors » se fissent plus malveillants, plus opportunistes ou plus imbéciles qu’à l’accoutumée – ils étaient manifestement tels que je les avais laissés le vendredi précédent et tels que je les laisserais le soir. Mais, en proie à l’agitation nerveuse, je pressentais que la moindre contrariété pourrait se traduire par les plus vifs accès d’humeur. Comme pour donner raison à mes craintes, j’étais à peine arrivé que ma responsable me convoquait dans son bureau. Après m’avoir confortablement installé dans un fauteuil de cuir, elle me demanda, après moult précautions, après m’avoir assuré de ses plus cordiaux sentiments à l'endroit de ma personne, si je voulais bien m’occuper du dernier livre conçu par la direction, ouvrage promis à être un coûteux four… Je ne pus que rester muet quelques instants, le visage fermé. Au comble de mon self-control (comme disent nos voisins d’outre-Manche), je ne pus que répondre : « je préférais ne pas ». Je me levai et retournai à mon bureau pour y reprendre le cours agité de mes réflexions. 

Que fallait-il faire ? Épandre de la farine par terre afin d’identifier plus aisément les empreintes et les chemins suivis par la bête ? 

Le téléphone sonna. Je vis apparaître le numéro du responsable de ma responsable. Je connaissais la manœuvre : le ton se ferait plus appuyé, la marge de manœuvre plus étroite. Il en appellerait à ma conscience professionnelle. J’effleurai sans guère plus d’émotion le petit bouton portant la mention « Rejeter » et repris le cours de mes réflexions, non sans pester après ce pays qui autorisait le recrutement de tels butors ! 

Devais-je m’équiper d’une de ces petites caméras miniaturisées qui offrent la nuit, derrière les rideaux soigneusement tirés, des images d’une troublante obscénité – mais peut-être aussi, cette fois, le portrait du coupable ? 

Du tube translucide qui dépassait de l’un des murs de mon bureau, un pneumatique tomba soudainement, me faisant sursauter, dans le panier en osier. Je me levai en soupirant, ramassai la petite boîte, l’ouvris et dépliai la missive qui provenait du bureau de la chef du responsable de ma responsable. Je lus en diagonale. Il était question de responsabilités de fonctionnaire, de la Nation, de la Garde républicaine, de l’honneur du serviteur de l’État – mais aussi, de façon plus inintéressante encore, de Jeux olympiques, de médailles et d’avis éclairés sur la question. Je froissai, en ricanant méchamment, le courrier et le jetai dans ma corbeille. 

Fallait-il prévenir quelqu’un ? Courais-je un quelconque danger ? Le gardien, un homme d’âge moyen qui sentait fort l’alcool de contrebande, ou sa mégère, une effrayante guenon qui était à elle seule un vibrant plaidoyer en faveur de l’exogamie, avaient-ils eu vent d’une affaire similaire ? 

On frappa à ma porte. Je reconnus immédiatement le bruit typique du pommeau d’argent d’une canne contre le bois : le responsable de la chef du responsable de ma responsable entendait faire son entrée. Estimant à juste titre que je ne manifestais ni enthousiasme ni vivacité à venir à sa rencontre, il se mit d’ailleurs à vociférer : « C., ouvrez-moi nom d’un chien, je suis votre directeur ! ». 

Je me dirigeai vers la porte, mais, croisant mon regard déformé et sombre, mon visage pâle et mes joues creusées par la fatigue, dans le petit miroir qui surplombait la patère de l’entrée de mon bureau, j’eus un sursaut, ayant peur de comprendre. De l’autre côté de la porte, mon directeur braillait de plus belle, m’agonissant d’injures. Mais j’étais impuissant, comme figé d’effroi à l’idée qui venait de me traverser l’esprit… La cause de ces troubles n'était-elle pas à trouver dans ces livres anciens, rapportés de chez ma grand-mère le jour même, et ayant trait à la sorcellerie et à la démonologie, ouvrages à l’origine incertaine que je comptais compulser en vue de l’écriture d’un roman ?

Pris d'un malaise, je tombai sur le sol.

4 commentaires:

  1. Un malaise ? Remet-toi, je te laisse l'adresse d'une sorcière : http://azeizdazeiz.canalblog.com/

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    1. Ah, c'était ça l'odeur de soufre dans le bureau...

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  2. Tout un programme, ton titre! On attend la suite!

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    1. Oui, le titre est ambitieux, surtout si l'on considère que je navigue à vue ! Seul le premier épisode est vrai.

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