samedi 28 septembre 2013

Retour en Belgique. II - Bruges

Retourner à Bruges ne m'enchantait pas outre mesure. J'avais en effet le souvenir d'une ville comme abandonnée à des conservateurs patrimoniaux qui l'auraient verrouillée dans son histoire, ne laissant entrevoir qu'un orgueil un peu tatillon, une sévérité méticuleuse, une religiosité intransigeante – je pense aussi à la chanson de Brel, Les Flamandes. J'avais également très présent le souvenir des descriptions fantomatiques de Bruges-la-morte. Comment son personnage ne pourrait-il être brutalisé par les tombereaux de touristes (dont nous) se déversant sur la ville ? Comment y éprouver encore la solitude ? Comment se perdre dans sa brume ? Enfin, il me semblait deviner dans l'âme même de la ville une forme de gêne indépassable : je la croyais de ces villes secrètement navrées de se livrer complaisamment aux piétinements des voyageurs évasifs et, en même temps (à tort ou à raison), certaines de leur devoir la survie.

En somme, j'avais le souvenir d'une journée passée un peu rapidement autrefois, presque consterné par ce décor trop beau pour être vrai. Une Pompéi nettoyée de ses cendres par un Viollet-le-Duc. Vous l'avez compris : comme d'habitude, j'en faisais intérieurement des tonnes...

Mais il y avait D. qui voulait vraiment la visiter à cause d'un film. Et puis... Et puis je n'étais pas mécontent de mettre peut-être mes pas dans ceux de Charles Bertin, auteur du livre cité il y a peu par Calyste, et dont la lecture m'a beaucoup ému La Petite Dame en son jardin de Bruges

Une fois encore, nous nous sommes égarés, à cause des nombreux travaux à sa périphérie, à cause de cette absence presque obstinée de panneaux un tant soit peu utiles, à cause, enfin, de cet effacement des frontières entre les villes, leurs faubourgs et les banlieues.

Dans le jour déclinant, nous sommes tombés par hasard sur le Minnewater, près duquel se trouvait notre hôtel. L'accueil m'a surpris par sa chaleur, prenant à rebrousse-poil mes clichés. De belles boiseries sombres au rez-de-chaussée et, dans la salle de restaurant, un papier bleu sombre et une collection de bibelots, de petites peintures, de vieux objets d'artisanat écrasant douillettement la pièce, qui auraient pu créer une atmosphère étouffante sans les sourires en contrepoint de notre hôtesse.

Sitôt nos sacs posés dans la petite chambre aux couleurs marines, nous sommes immédiatement repartis en vadrouille dans des rues incroyablement vides tout d'abord. Des maisons de ville que l'on aurait pu croire désertées : aucune lumière aux fenêtres, à croire que les habitants avaient tous investi des pièces donnant sur la cour ou le jardin.

De longs et minces nuages défilaient rapidement dans le ciel obscurci, mais l'on voyait au loin des lumières orange monter en brume légère de la ville.

Il y avait un nombre raisonnable de promeneurs dans les rues et aux abords des canaux (qui ne reflétaient plus guère que des ombres), la plupart semblant déjà massés dans les bars ou les restaurants.

Nous avons marché longtemps dans les rues, les sens un peu brouillés en ce qui me concerne, à cause de la fraîcheur qui gagnait du terrain, à cause de la distance de mes souvenirs écrasés par ces nouvelles images qui mêlaient étrangeté, histoire, familiarité et souvenirs de lecture. Cette ville que je croyais morte me semblait plutôt être comme une vieille personne désorientée, ne reconnaissant plus le monde pour lequel elle avait été bâtie. Je me suis laissé guider par D., plus enthousiaste que jamais. Moi, je pensais à ma grand-mère, je pensais à toutes les grands-mères du monde, je pensais à celles de Charles Bertin et de Calyste – et je me permettais à mon tour de leur dédier cette promenade. 

Nous avons fini pas entrer dans un petit restaurant où s'agitait une très belle femme blonde avec laquelle j'ai ri quand j'ai renversé ma bière (« Alors, on fait un petit akcident ? »). C'était bon, c'était riche, mais ça ne manquait pas de finesse... Et nous sommes repartis pour une longue marche nocturne, toujours guidés par le seul hasard – et la carte que tenait D. J'avais un peu l'impression d'être dans une bande dessinée (belge) ayant la ville pour décor. À cause des ombres millénaires projetées sur les murs de briques roses, des ombres où se cachent des secrets que l'on n'ose pas approcher.

Levés de bonne heure, nous voulions profiter tôt de la ville, avant que le flux de visiteurs ne grossisse et qu'elle ne soit plus que promenades en carriole et groupes obéissants. À peine entrés dans le béguinage, nous les avons sentis sur nos traces, réussissant à les perdre, le temps de découvrir une église (dont je ne parviens pas à retrouver le nom), près de l'AstridPark où jouait une fanfare, une église avec... une marelle et qui hébergeait... un jardin japonais et un espace de méditation orientale !

Visite du musée Groeningue, enfin, qui offre un large panorama de la peinture flamande, des primitifs aux expressionnistes. Et une surprise de taille : au détour d'une salle, je suis tombé sur la peinture d'un dénommé Alphonse Asselbergs. Le paysage peint m'était familier... Et pour cause, il s'agissait de la mare aux fées (en forêt de Fontainebleau), où j'ai passé un nombre considérable d'heures à attraper des têtards étant enfant.

En sortant, un dernier petit tour par le marché aux puces – j'étais sidéré par la modestie des prix – le temps d'acheter une cloche surmontée d'une vache pour la maison béarnaise de G., un dernier passage par le Burg, envahi de monde, et nous sommes repartis...

1 commentaire:

  1. On peut effectivement craindre une telle ville-musée. Je l'ai visitée deux fois, en 2008 et 2010 (nous pouvons y aller pour la journée, ce n'est pas trop loin), mais heureusement à des périodes pendant lesquelles les flux de touristes n'étaient pas trop importants. Nous nous sommes très bien sentis pour circuler dans le centre historique de cette ville. Nous y retournerons pour aller visiter des musées dans lesquels nous ne sommes pas allés.

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