samedi 30 octobre 2010

Choisir sa pathologie mentale : une question de bon sens I

Préambule : Je dois avouer que tous les ingrédients sont à peu près réunis pour que je décompense quelque chose : quel que soit l’horizon vers lequel je me tourne, je ne vois que plages placées sous le patronage terrible de Santa Mertume. Mais, si on a l’habitude de dire, en psychopathologie, que l’on tombe toujours du côté où l’on penche, il me semble tout de même légitime d’exercer mon libre-arbitre en choisissant ma pathologie.

Avant l’émergence de la psychiatrie moderne et les inventifs travaux (nosographiques notamment) de nos plus grands aliénistes, force est de constater que le panel était restreint – on était normal (et chrétien), idiot, dément ou possédé –, et les traitements étaient plus qu’empiriques (bûchers, chaînes, douches froides, immersions dans des fosses remplies de serpents, etc.). Il fallut en effet attendre les travaux d’Esquirol et ceux de Georget, Morel, Kraepelin, Charcot et Freud pour qu’une véritable offre psychopathologique, s’étayant sur un vaste choix de névroses et de psychoses (nous écartons sciemment la perversion) émerge et remplissent les pages du grand catalogue de l’impossible vie en société. Revue de détails. (Vous noterez l’accroche journalistique terminant mon chapô – un peu long par ailleurs.)
Si l’offre est abondante, le choix n’en demeure pas moins difficile, et le caractère parfois quasi-définitif de certaines pathologies contraint le malade résolument moderne à choisir en toute connaissance de cause. En effet, combien de drames consécutifs à une maladie adoptée précipitamment et se révélant décevante !

La névrose
Popularisée par quelques grands noms du cinéma (Ingmar Bergman, Woody Allen…), la névrose présente l’avantage d’allier symptômes modérément spectaculaires et adaptation relative à la réalité – aussi intolérable et frustrante soit-elle. Vous pouvez prétendre à une vie à peu près normale dès lors que votre entourage se déclare prêt à supporter vos petites manies (névrose obsessionnelle), vos petites peurs irrationnelles (névrose phobique) ou votre grand sens de la scène (névrose hystérique). Le conflit psychique à l’origine des symptômes prend sa source dans la petite enfance et, franchement, en y réfléchissant bien, vous en soupçonnerez bien l’origine. Peu importe que cet événement soit réellement advenu : votre petit cinéma intérieur est là pour compenser les incohérences ou les flous scénaristiques. Notez également que ce conflit est dit intrapsychique : le ça et le Surmoi se livrent une bataille sans merci (et sans vainqueur) dans votre petit intérieur (le Moi) tout encombré de tableaux de famille obstinément transmis de génération en génération et de malles poussiéreuses qui se révèlent mystérieusement vides à chaque fois que vous croyez être parvenu à les ouvrir.
Parmi les mécanismes de défense à l’œuvre dans la structure névrotique, citons à titre d’illustration :
  • Refoulement : un gentil petit désir erratique – ayant par exemple pour objet l’entre-jambe de votre beau-frère – tente de quitter l’inconscient pour s’imposer à vous ! Las, il est réexpédié immédiatement d’où il vient sans avoir eu le temps d’aborder votre conscience.
  • Sublimation : votre prof d’aquagym a gagné tous les concours de maillots de bain transparents, mais il est poilu comme un singe et, quoi qu’en dise Têtu, les poilus ne sont pas durablement revenus à la mode. Qui plus est, il ressemble à votre beau-frère et ça vous ferait tout bizarre si seulement vous aviez véritablement conscience de cette idée saugrenue. Las, vous rentrez chez vous et vous vous remettez à la peinture : une série de Faunes se profile. Mais c’est tout de même étrange cette odeur de singe javellisé que vous avez dans le nez depuis un moment… Notez que dans l’exemple cité, la sublimation est accompagnée d’un refoulement et d’un déplacement.
  • Dénégation : Matthew, votre meilleur ami américain un peu hystérique, de passage en France, flanqué d’une vague inscription à la Sorbonne, vous fait remarquer qu’au mariage de la cousine Clémentine – auquel vous l’avez invité parce qu’il trouve les mariages français de province so glam’ –, vous avez regardé votre beau-frère d’un œil un peu concupiscent tout en dansant avec lui sur un standard d’Abba. La réponse ne tarde pas, cinglante mais peu convaincante : « Mais certainement pas ! On n’est pas dans l’Utah ici : on pratique l’exogamie ! »
  • Formation réactionnelle : quand votre prof d’aquagym vient vous voir dans les vestiaires pendant que vous êtes sous la douche pour vous proposer d’aller boire un verre de boisson énergisante et ce, avant d’aller vous détendre au toboggan, vous lui lancez un regard noir et lui tournez inconsidérément le dos. Vous ne vous étonnez par ailleurs pas d’être inscrit à un cours d’aquagym.
Bien entendu, les mécanismes de défense ne sont pas problématiques en eux-mêmes : ils aident au contraire le Moi à lutter, plus ou moins efficacement, contre l’angoisse. Une structure névrotique non décompensée aura recours dans des proportions variées et sans aucun systématisme aux différents mécanismes de défense mis à sa disposition, lesquels déterminent d’ailleurs, dans une certaine mesure, votre personnalité.

Dans le cas de la décompensation – qui nous intéresse ici – plusieurs voies s’offrent à vous. Il importe que vous teniez compte, sur cette route droite dont la déclivité est sévère, de vos propres goûts, mais aussi des aspirations de votre entourage. Rien n’est plus désagréable que de découvrir ses amis et sa famille peu enclins à vous suivre dans votre hygiénisme exacerbé, eux qui ont par ailleurs le toupet d’apporter chez vous des cohortes de bactéries anthropophages. 

  • Décompensation obsessionnelle : cette petite habitude inoffensive qui était la vôtre et qui consistait à ratiociner pendant deux heures après une réflexion désagréable, à ne marcher que sur la bordure des trottoirs tout en récitant l’alphabet à l’envers ou à chantonner intérieurement C’est nous les gars de la marine à chaque fois que vous entriez dans un cruising bar, cette petite habitude, donc, devient envahissante, pour ne pas dire insupportable (à autrui et à vous aussi d’ailleurs) : vos ruminations vous rendent imperméable à autrui, vous inventez des formules magiques que vous claironnez plusieurs fois par jour, vous devez déballer cinq préservatifs avant d’en utiliser un. Et d’ailleurs, si le dernier sachet ne s’est pas déchiré comme vous l’entendez, vous devez recommencer.
  • Décompensation phobique : il est normal de craindre d’avoir une lamproie accrochée dans le dos après vous être baigné dans la Garonne. Il est anormal de le craindre à la sortie de votre douche – même si vous habitez dans le Bordelais. L'idée peut certes vous traverser l'esprit une fois - mais si vous y penser constamment...
  • Décompensation de type psychosomatique : votre herpès, votre impétigo et votre dermite ne vous suffisent plus. C’est quoi cette douleur à l’estomac ? Et tous ces flashs de lumière devant vos yeux ? Allez consulter pendant que la sécurité sociale existe encore.

1 commentaire:

  1. Craindre une lamproie accrochée dans mon dos ! Je n'y aurais pas pensé, même au sortir d'un bain dans le Gange...
    Bon, c'est vrai que je ne m'amuserais pas à aller me baigner dans le Gange. L'éloignement, ça aide.
    Et si j'étais sur ses berges ? Euh, là non plus.
    Bon, s'agit-il pour moi d'un phénomène de décompensation hypocrite...?

    Avant que tu ne parles de la psychose, laisse-moi mettre mon grain de sel :

    Quelle est la différence exacte entre névrose et psychose ?
    Le névrosé sait que deux et deux font quatre et il trouve ça tragique. Celui qui a une psychose est persuadé que deux et deux font cinq, et il trouve ça merveilleux.
    Benoîte Groult

    J'ai un doute d'ailleurs : n'avais-je pas déjà fait cette charmante citation chez toi ? (décompensation mémorielle)
    Écrit par : Lancelot | 30 octobre 2010
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    > Lancelot : Pourquoi le Gange... C'est très intéressant... Poursuivez...
    Écrit par : christophe | 01 novembre 2010

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