lundi 13 juin 2011

Journal d'hospitalisation VIII

La mythologie, les autels et pandémonium que les uns et les autres élaborent dans le vaste capharnaüm des croyances spirituelles ne laissent pas de m’étonner. Ainsi ma tante me dit-elle très sérieusement, dans ma chambre d’hospitalisation, une semaine après la greffe, qu’il lui semble évident – parce que l’opération s’est déroulée le jour de son anniversaire – que « la petite tante Suzette » a veillé sur moi « de là-haut » et qu’elle n’est pas étrangère à ma récupération jugée jusqu’alors assez exemplaire par le corps médical. Je pense à la sœur de Jean-Philippe et à son connard de copain, ce dernier ayant dit, alors que nous fumions tous les trois des cigarettes dans le jardin, quelques jours après la mort de Jean-Philippe : « En tout cas, j’espère bien que maintenant, de là-haut, il va nous filer un coup de main ! ».
Je préfère ne rien répondre à ma tante (et, plus tard, cette anecdote deviendra un gimmick entre Julietta et moi), parce que je crois que je pourrais me mettre à hurler, notamment sur cette famille dont la « bienveillance » supposée (et bien souvent contestable : les liens familiaux sont balisés de mauvaises intentions) vous englue et ne s’arrête jamais, même avec la mort donc. Il nous faut encore et encore être redevable. Envie de crier aussi forte que lorsque ma mère me disait avant l’opération (comme d’ailleurs elle me le dira après – et que ce soit dans un sourire n’y change rien ou pas grand chose) : « On peut dire que tu nous en causes du souci ! ».
Non seulement je leur dois la gratitude, celle d’une sollicitude qui voudrait, qui aimerait pouvoir vous débarrasser de votre mal – modèles de mères-courage qui vous écrasent le torse en essayant de vous faire du bouche-à-bouche – mais en plus le potlatch (car il s’agit bien de cela : vous êtes vite taxé d’ingrat si vous tenez mal le compte des sacrifices consentis) se poursuit dans l’au-delà.

2 commentaires:

  1. Fiouu, quelle colère ! J'aimerais être là et ...
    et...
    et te serrer dans mes bras, tiens !

    Écrit par : Al West | 13 juin 2011
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    Ah oui, saine colère ! Le chantage affectif des familles, quel poids...
    Et qu'ils vous aiment n'y change rien, hélas, juste alourdir encore un peu plus la cumpabilité.
    Alors quand l'au-delà s'y met, basta !

    Écrit par : laplume | 13 juin 2011
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    La famille ne cesse de créer des dettes... J'aime beaucoup ton blog qui me laisse souvent sans voix.

    Écrit par : Georges | 13 juin 2011
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    La famille ne cesse de créer des dettes... J'aime beaucoup ton blog qui me laisse souvent sans voix.

    Écrit par : Georges | 13 juin 2011
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    excuse le doublon, et aussi... Je te souhaite du courage et porte toi bien. G.

    Écrit par : Georges | 13 juin 2011
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    je ne rajoute rien. je comprends ta colère et me faisais l'avocat du diable!! un gros bisou pour toi et qu'elle reste où elle est la tante suzette, dans le ventre des vers de terre. je pense à jean-philipoe que j'ai peu connu. il est en paix et n'a plus à entendre les mauvaises langues. bisous fort.

    Écrit par : Juliette | 14 juin 2011
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    > A Al West et Laplume : Je me suis un peu vengé quand, quelques jours après, elle nous a ressorti ça, en me foutant un peu d'elle et en expliquant que, quitte à m'aider, la chère Tante Suzette aurait mieux fait d'intervenir au moment de la cancérisation d'il y a dix ans : ça m'aurait épargné la suite ! Je l'aime bien cette tante délirante (et elle a été très présente et souvent d'un grand secours matériel) - mais elle perpétue sans cesse les mécanismes familiaux qu'elle croit dénoncer...

    > Georges : Merci. J'en ai autant à ton intention...

    > Juliette : En paix... de nos mémoires ? J'espère...

    Écrit par : christophe | 14 juin 2011
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    Heureusement, pas de gens comme ça dans mes proches et ma famille. En revanche, la petite phrase de ta mère « On peut dire que tu nous en causes du souci ! », je pense que ma propre mère pourrait la prononcer, uniquement pour rire après avoir montré son amour sans ambiguité. Je conçois bien que certaines personnes aient du mal à dire leurs vrais sentiments (quand ils en ont vraiment évidemment) et pourtant, qu'est-ce que cela ferait du bien de ne pas être jugé ou redevable.

    Écrit par : Cornus | 14 juin 2011
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  2. les mémoires laissent-elles nos morts aimés en paix ? je ne sais. non car toujours on se souviendra, mais de quelle façon ? paisible je l'espère, même si. la poésie et l'écrit aident et nous relient à eux. les mots nous survivront. je ne sais trop.

    Écrit par : Juliette | 14 juin 2011
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    on pourrait lire "les morts nous survivront" et pas "les mots"...! vrai aussi!! on survivra dans d'autres mémoires, j'espère.

    Écrit par : Juliette | 14 juin 2011
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    > Cornus : Je ne doute guère de l'amour de ma mère, parfois (souvent) inadapté, peut-être. Et pour être tout à fait sincère, cette sortie est plus une illustration des fonctionnements de ma (la ?) famille qu'un véritable reproche que je pourrais lui adresser et qui glisserait sur elle. J'y reviendrai... Mais merci pour cette lecture attentive et curieuse.

    > Juliette : J'ai beaucoup pensé en écrivant ce billet et mon commentaire au livre (et particulièrement au titre) de Marie Depussé, Les Morts ne savent rien. Là dessus aussi je reviendrai.

    Écrit par : christophe | 15 juin 2011
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    merci pour Marie. je pense toujours à la lettre que je lui ai promis suite à sa dédicace. oui, ça donne toujours à réfléchir. j'ai beaucoup aimé ta dédicace à Jean-Philippe sur ta thèse. rien que pour la dédicace, je la lirai un jour, avant d'y passer. promis. j'espère encore grapiller quelques annnées ici. j'aimerais me faire euthanasier quand je n'en pourrai vraiment plus de cette fatigue, mais ça parait délicat. gros bisous. et encore merci pour ce beau journal.

    Écrit par : Juliette | 15 juin 2011
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    > Juliette : Oh je pense que Marie n'attend plus après ! (ça remonte à quand cette promesse ? 2003, la sortie du livre). Lire ma thèse avant d'y passer ? Tu vas me trouver grinçant, mais je te souhaite d'autres lectures d'ici là !

    Écrit par : christophe | 15 juin 2011
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