samedi 12 avril 2008

De la nostalgie



J’ai passé ma soirée du côté de Ménilmontant pour fêter l’anniversaire d’une amie. Je n’ai plus beaucoup l’occasion d’aller dans les rues de ce quartier. Un de mes amis habitait autrefois rue Oberkampf. Un autre rue Moret. Le vendredi ou le samedi soir, je quittais ma ville de la petite couronne (à l’époque je n’habitais pas Paris) pour les rejoindre. Nous dînions chez l’un ou chez l’autre, ou nous allions au Merivan, un restaurant kurde, en pèlerinage au Royal Belleville ou aux Trois marmites. Les soirs d’été, on s’attardait à la terrasse de Chez Bichi pour y manger des brochettes. JP était souvent malheureux : il avait conservé de sa jeunesse, de son enfance peut-être, un malaise qui ne le quittait que les premiers jours d’épanouissement du sentiment amoureux. Il buvait beaucoup trop, il fumait inconsidérément et il est mort de ne pouvoir renoncer à ces deux béquilles. Il nous a fait des scènes inoubliables à se rouler par terre, à se lever et partir en faisant du scandale. Il pouvait être épuisant, se fâcher avec tout le monde. Mais s’il n’avait aucune distance à son mal-être, si d’entre nous tous, il était le moins apte à relativiser, s’il pouvait être cruel parfois, il avait une culture, une finesse d’esprit, une capacité à s’enthousiasmer, un goût pour le détail qui nourrissaient constamment nos amitiés. Et il n’avait pas peur d’approcher les douleurs d’autrui, ce qui est une qualité rare, même chez les amis. Sous ses airs d’égocentrique insupportable, il s’intéressait terriblement à l’autre. Il me parlait avec intérêt de ma thèse, des amants à la rencontre desquels je tardais parfois à aller, d’un amant, enfin, qui était reparti dans son pays et m’avait laissé plus que blessé. Mon autre ami a déménagé. Il est d’abord parti habiter en banlieue une maisonnette à l’agencement invraisemblable, avant de partir plus loin encore, à l’autre bout de la France. Dès que je peux, je vais le voir dans ce Sud-Ouest que j’aime avec une familiarité toujours réconfortante. Je ne peux pas prétendre que ces deux amis ont laissé orphelin ce coin de Paris : rien n’est plus fugace qu’une présence humaine dans la grande ville. Et malgré l’intimité ancienne que je partage avec ce quartier, je me suis rendu compte en le traversant au retour que j’en étais presque rejeté – comme un corps étranger – par la violente épaisseur à laquelle participent les nouveaux bars, la jeunesse conquérante, les magasins devenus autres. Peut-être certains quartiers sont-ils irrémédiablement liés à certaines époques de la vie. Et si un jour je retourne régulièrement dans cette partie du 11e, ce sera vraisemblablement à l’issue d’une reconquête et surtout de retrouvailles avec une certaine légèreté. Il est maintenant 2 heures passées, les fantômes sont là et la légèreté me semble bien lointaine…

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