dimanche 20 avril 2008

Du statut des objets III

Mircea Eliade écrit dans Forgerons et Alchimistes de très jolies pages sur les rapports que les premiers hommes entretenaient – et entretiennent encore dans les rares sociétés traditionnelles – avec l’objet, la chose, le minéral. Il explique que beaucoup de cultures croient qu’en laissant reposer un gisement épuisé, il se reconstitue : les métaux et les pierres sont censés pousser comme toute chose vivante.
L’homme qui extrait du sol le métal commet toujours un sacrilège (une éventration exercée sur la mère nourricière). D’où le caractère magique qui entoure cette activité (il faut calmer les dieux, se faire pardonner ou obtenir l’autorisation). D’où également le statut particulier de l’Homo Faber, lequel suscite tout à la fois fascination (il apporte à la collectivité le début d’un confort technique) et la répulsion (il est, de par son activité, tabou). On peut dès lors deviner que l’objet technique – aussi primitif soit-il – voit inscrit dans son essence même une dimension surnaturelle. Cette dimension, l’objet la conservera tardivement : au Moyen Âge, on ne trouve personne pour douter de ses fantaisies ; on y reconnaît la main de Dieu, ou plus souvent encore, celle du Diable, l’un et l’autre s’étant substitués aux divinités plus archaïques.
Avec le triomphe des Lumières et leur goût pour les objets techniques (entendons les outils) qu’ils étudieront d’ailleurs soigneusement, on est en droit de s’attendre, à ce que la rationalité évacue ces aspects-là. Et pourtant…
Quelques décennies plus tard, rien n’a vraiment changé : l’illustrateur Grandville signale à ses contemporains la vie secrète ou bruyante qui anime les objets. Des bottes refusent de se laisser enfiler, une plume d’oie devise gentiment avec un porte-plume, des bobines de fil frappent à la porte d’une couturière… Giorgio Agamben, je crois, rapporte dans Stanze que Baudelaire – lequel était terrifié par les illustrations de Grandville dit-on – manifesta à l’issue de l’exposition universelle un peu plus que de la fascination inquiète à la vue de la profusion des objets qui s’y exposaient…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire