vendredi 4 janvier 2013

Une histoire d’horreur, d’intrusion, de culpabilité et de psychanalyse – 3e journée

Si vous avez manqué le début :
V - Troisième nuit


Quelques jours s’écoulèrent, et je dois dire qu’ils le firent dans la plus grande sérénité. Contrairement à ce que j’avais pu craindre cette nuit-là, suite à la capture accidentelle d’une souris et à la mort d’une autre, ma cuisine semblait ne pas être infestée – du moins ne plus l’être : ces deux disparitions, tragiques à hauteur de rongeur, avaient peut-être servi de leçon aux autres. Le lendemain, j’avais tout de même pris un moment et quelques outils pour colmater les brèches, boucher les trous, réduire les espaces interstitiels, au moyen de plâtre et de carton. Bref : je m’étais assuré que pareille aventure ne se reproduirait plus de sitôt. En outre, j’avais cru bon de remettre en place le piège, au cas où une souris serait restée cachée, témoin assurément muet de mes crimes – mais si bruyante ! 

Ces aménagements ne me prirent qu’une matinée et je mis donc à profit les quelques jours encore à ma disposition pour me relaxer et avancer dans mes travaux d’écriture. Quelques jours seulement, car le monde du travail, ses turpitudes et autres forfaitures ne tardèrent pas à me rattraper : ma collaboratrice, Vanity Kaïs, avait – selon la terminologie employée par la secrétaire – « littéralement pété les plombs » et avait manqué de s’en prendre physiquement à notre responsable. Je repris donc le chemin du travail, de guerre lasse, mais au moins pour partie satisfait : ma vie avait repris son cours normal, et si D. me manquait, les longs courriers qu’il m’adressait presque quotidiennement distrayaient ma solitude. Il m’assurait que la chasse au Troll, à laquelle il se livrait pour un gouvernement nordique que je ne peux citer ici, était sans danger, et pour tout dire, requerrait bien plus de patience que d’adresse. J’avais donc toutes les raisons de croire qu’il me reviendrait en un seul morceau. 

De même, mon sommeil retrouva la totalité de sa qualité et je ne tardai pas à voir disparaître de mon visage encore juvénile les traces de la fatigue non réparée. 

Je crois l’avoir dit en préambule : quelques jours s’écoulèrent dans la plus grande sérénité. Hélas, quelques jours seulement. Un soir que madame Strata achevait de faire un brin de ménage chez moi et que j’étais dans la cuisine à ranger les courses, je l’entendis pousser un petit cri. « Quelle mouche vous pique, Lydie ? », m’enquerrai-je. 

« Fenez-foir, ch’ai trouvé quelque chose de très zétranche. Des petits crottes de cros inzectes sans doute ! » (comme son nom ne l’indiquait pas, madame Strata avait un fort accent prussien, sa famille ayant été longtemps au service de Guillaume II). 

En effet, derrière le sofa-canapé-lit-divan qu’elle avait soulevé d’un seul bras, on trouvait un premier monticule de petits morceaux de… biscottes (sans sel) eut-on dit – comme une réserve –, un deuxième, composé de petits bouts de tissus chapardés ici ou là, et enfin, un troisième, un peu plus à l’écart, à l’emplacement où l’animal avait décidé d’installer ses commodités. 

D’émotion, je lâchai le cheddar allégé que j’avais encore dans les mains et poussai un cri de douloureuse surprise. Je crois me souvenir qu’il s’agissait d’un « ah », mais je ne le parierais pas, tant ces sinistres événements ont pu finir par jouer des tours à ma propre mémoire. 

En mon for intérieur, je dus bien l’admettre : tout cela était trace sinon preuve d’une présence – passée ou présente – de souris. En une fraction de seconde, le doute me reprit. M’étais-je débarrassé de tous ces rongeurs, vraiment ? Ou bien certains étaient-ils demeurés en mes murs, plus discrets que jamais, ne vivant leur misérable vie qu’en mon absence ? Je renvoyai madame Strata chez elle et inspectai soigneusement tout l’appartement : il ne restait pourtant plus un espace qui aurait permis à de nouvelles souris de pénétrer chez moi. De deux choses l’une : soit ces traces appartenaient aux deux souris initialement éliminées (signant là l’aveu de mon goût très modéré pour le ménage), soit elles étaient celles de nouveaux rongeurs – mais alors, comment avaient-ils pénétré chez moi ? Mon Dieu… la seule explication logique… avait-on écarté trop rapidement les théories d’Aristote, de Descartes, de Saint-Hilaire, de Lamarck et de Béchamp sur la génération spontanée ? Se put-il que, dans mon modeste appartement, se rejoua le débat passionné qui avait enflammé les plus grands scientifiques de notre temps ? Bien décidé à tirer au clair ce nouveau mystère, je nettoyai consciencieusement la place, me promettant de l’inspecter de nouveau le lendemain soir : si de nouvelles preuves apparaissaient, il me faudrait alors me rendre à l’évidence…


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