lundi 5 mai 2008

Je me souviens I (école maternelle)

Joe Brainard (1941-1994), I Remember, Actes Sud, 2002 (1970).
Georges Perec (1936-1982), Je me souviens, Hachette, 1978.

Je me souviens avoir couru dans le sable et être tombé la main sur une guêpe ; j'ai été voir ma grand-mère, en pleurs, en expliquant qu'une « vilaine Maya » m'avait piqué.

Je me souviens d'avoir joué à être poursuivi par les crabes que j'avais ramassés avec mon père en Bretagne et que nous avions relâchés.

Je me souviens de la pièce sombre et poussiéreuse où l'institutrice nous emmenait faire la sieste ; il y avait un grand téléviseur recouvert d'un drap : je me demandais quels enfants en profitaient.

Je me souviens de ma mère revenant un vendredi soir et m'annonçant, alors que je regardais les Maîtres de l'Univers, que je ne reverrais pas Pepsi, notre vieille chienne malade que le vétérinaire venait de piquer.

Je me souviens du goût et du contact poisseux des Coquelicots que je mangeais chez ma grand-tante Suzette.

Je me souviens de l'étang de Bléneau où nous allions parfois camper, avec oncles et tantes, et de la comédie que je faisais pour ne pas en faire le tour à pied.

Je me souviens avoir uriné une fois en même temps que mon père dans les toilettes.

Je me souviens de l'effroi et de la honte éprouvés au réveil quand on a fait pipi au lit.

Je me souviens du contact sur ma peau des maillots de bain en éponge.

Je me souviens de ne m'être jamais vraiment posé la question de savoir d'où venaient les bébés.

Je me souviens d'avoir éprouvé un certain trouble devant un documentaire sur l'haltérophilie, regardé chez une vieille et lointaine cousine du nord, de sa remarque (« Qu'est-ce qu'il a ce gamin-là à regarder ça ? ») et de la gêne qui en a suivie.

Je me souviens de la collection de figurines schtroumpf de mon cousin, et de ses reproductions des vaisseaux et personnages de la Guerre des étoiles (à l'époque, on ne disait pas Star Wars).

Je me souviens du grand serpent empaillé qui était chez eux, dans l'escalier.

Je me souviens d'un ami de vacances qui s'appelait Steeve Denis.

Je me souviens de la cour d'école où nous ramassions de petits cailloux blancs, un peu translucides, que nous croyions être des diamants.

Je me souviens avoir fait semblant, avec Stéphane, de jouer au piano sur le petit décrochement du mur de la maternelle.

Je me souviens du bonbon qu'on nous donnait après un laborieux cours de solfège.

Je me souviens d'avoir éprouvé le sentiment d'immensité dans le jardin de mes parents.

Je me souviens des blagues que je faisais au moment du coucher en me cachant derrière la porte avant d'appeler mes parents.

Je me souviens d'avoir fait un petit lit à mon chien en peluche Toutou.

Je me souviens de l'odeur des marqueurs de mon père.

Je me souviens d’avoir feuilleté avec mon père, un dimanche matin dans la cuisine, un catalogue de jouets en vue de la seule et unique lettre écrite au Père Noël.

Je me souviens d’avoir choisi un mange-disques orange.

Je me souviens d’avoir écouté jusqu’à l’écœurement Sacré Charlemagne.

Je me souviens de la porte horizontale, en haut de l’escalier menant vers l’étage où se trouvait la mystérieuse chambre de ma grande sœur.


Commentaires

que de sourires en lisant ces lignes. merci de partager ça.
Écrit par : Joss | 06 mai 2008

> Joss, je t'invite à lire les auteurs que j'ai vaniteusement plagiés. En tout cas, c'est toujours amusant de voir que des souvenirs aussi laconiques et personnels trouvent un écho - après déformation, après rattachement à d'autres souvenirs peut-être (et tant mieux) - chez autrui.
Écrit par : christophe | 08 mai 2008

"Je me souviens d'avoir éprouvé un certain trouble devant un documentaire sur l'haltérophilie, regardé chez une vieille et lointaine cousine du nord, de sa remarque (« Qu'est-ce qu'il a ce gamin-là à regarder ça ? ») et de la gêne qui s'est ensuivie."
Je l'ADORE, celle-là. Elle me fait hurler de rire. Surtout d'imaginer l'allure soupçonneuse de la 'vieille et lointaine cousine' en question. IRRESISTIBLE !
Écrit par : Lancelot | 13 mai 2008

La vieille cousine était plutôt du genre peau-de-vache. Un jour je me suis vengé (je pouvais être assez peste, à l'occasion, avec les adultes que je préférais par ailleurs aux enfants de mon âge) : alors qu'elle se maquillait dans la salle de bain de mes parents, je lui ai dit quelque chose comme : "tu peux faire tout ce que tu veux, tu seras toujours aussi moche !". Je n'en avais gardé aucun souvenir mais on me l'a répété...
Écrit par : christophe | 14 mai 2008

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